Il pianota sur son clavier pour essayer de contourner le mot de passe, mais rien n’y fit. Ses connaissances étaient trop limitées pour pirater le système. Il réfléchit. Tout à coup, il eut une idée ! Fébrilement, il ouvrit un logiciel de dessin. A l’aide de la souris, il dessina avec application une image copiée cent et cent fois pour son Maître : Elhaz, le Graphème du Cygne, débloquant les situations et ouvrant les verrous !
Ce travail accompli, il importa le dessin sur la page étoilée et le glissa sur l’emplacement du mot de passe. Puis il attendit. Rien ne se passa.
– Il doit manquer quelque chose, marmonna de nouveau Guillemot qui réfléchissait à toute allure.
Prenant une brusque inspiration, il brancha le micro de l’ordinateur et en activa le son. Puis il y colla ses lèvres et murmura :
– Par le pouvoir de l’Aïeule et de V Arc-en-Ciel, toi qui crépites quand tu brûles, Elhaz…
Le Graphème sur l’écran se mit à briller, puis sembla
s’évaporer en consumant les symboles du mot de passe. La page d’accueil tremblota puis disparut, cédant la place à un nouveau menu.
– Ouiiiiii !
Guillemot serra les poings en signe de victoire. De quel jeu s’agissait-il ? Il parcourut le menu : « Comptabilité du monastère », « Membres de la Guilde », « Amis et ennemis supposés de la Guilde », « Projets en cours »… La liste était longue. C’était à peine croyable, il était entré au cœur du système central ! Là où il n’avait certainement pas le droit d’aller. Il jeta un regard en direction de Gérald, mais celui-ci était toujours occupé à répertorier ses disques.
– Du calme, du calme. De toute façon, tes intentions ne sont pas mauvaises. Ton objectif n’est pas de nuire à la Guilde. Ce que tu as fait n’est donc pas si grave. Il te suffit simplement de quitter ce programme, d’éteindre ton ordinateur et de t’en aller calmement…
En même temps qu’il tâchait de se rassurer, Guillemot avait du mal à se désintéresser des dossiers qui lui étaient proposés, comme autant d’invitations à assouvir sa curiosité !
– « Plan de Gifdu ». Voyons, ce n’est sans doute pas un crime que d’aller jeter un coup d’œil là-dedans.
Il cliqua sur l’icône et le monastère lui apparut en trois dimensions. En promenant sa souris sur les endroits qui l’intriguaient, il vit apparaître un gros plan des lieux accompagné de commentaires. Dire qu’il avait cru avoir tout vu de l’endroit ! Gifdu était en réalité aussi étendu sous terre qu’il l’était en surface.
Guillemot aurait voulu aller partout ! Cependant, l’heure de la sieste était passée et quelques Sorciers commençaient déjà à investir la salle. L’Apprenti jugea plus sage d’en rester là.
Il demanda l’impression du plan général du monastère, hésita et finalement lança également celle de la liste des dossiers disponibles dans le programme. Il referma ensuite soigneusement tous les éléments qu’il avait ouverts et éteignit l’ordinateur. Il fourra les documents imprimés dans sa sacoche et quitta la salle en saluant de nouveau le petit homme rondouillard et occupé, qui se contenta de lui adresser un signe de la main.
18 LA CURIOSITÉ EST PARFOIS PAYANTE
Plusieurs jours encore avaient passé. Ce matin-là, Guillemot était resté dans son lit plus longtemps que d’habitude. Il aimait, parfois, rester couché et laisser ses pensées s’en aller en rêveries vagabondes. L’une d’elles les mettait en scène, Ambre et lui, sur la lande, près du feu ; elle lui demandait pardon pour toutes les méchancetés qu’elle lui avait faites ! Lui, magnanime, pardonnait à la jeune fille, et la prenait même dans ses bras, pour bien montrer qu’il ne lui en voulait pas… Rêvasser était agréable. Mais ce n’était finalement ni plus ni moins que tromper l’ennui, tout comme c’était pour tromper l’ennui qu’il avait investi l’ordinateur central, et qu’il errait du gymnase aux bibliothèques, des bibliothèques à la chambre.
Romaric, Gontrand, Coralie, Ambre lui manquaient.
Que faisaient-ils en ce moment ? Comment se déroulaient ces soirées à la belle étoile auxquelles il ne participait pas ? Il se dressa et sauta à bas du lit. Il fallait agir ! En parler avec Qadehar ! Le Sorcier était venu une première fois à son secours, chez le Prévost, pour sauver ses vacances : il le ferait certainement une deuxième fois ! Il prit sa sacoche de toile et partit à la recherche de son Maître dans le monastère.
Gérald, à qui il s’adressa, lui apprit que Qadehar se trouvait dans le bureau du Grand Mage, mais regretta de ne pouvoir lui en indiquer le chemin : les Apprentis n’y avaient pas accès. Comme son insistance ne faisait pas fléchir le Sorcier informaticien, Guillemot prit congé. Vérifiant qu’il était seul, il sortit de son sac le plan du monastère volé dans l’ordinateur qu’il n’avait pas pris encore le temps de consulter correctement. Il trouva sans peine, grâce aux indications précises données par les légendes, le bureau de Charfalaq, dans la tour nord, tout en haut d’un interminable escalier en colimaçon.
Il décida de s’y rendre, se collant contre le mur au moindre bruit, silencieux comme un chat.
Au fur et à mesure qu’il gravissait les marches de la tour qu’il avait atteinte sans encombre, le garçon se sentit devenir hésitant. En même temps qu’il se surprit à remettre en cause la justesse de sa démarche, il eut l’impression que sa volonté s’émiettait. Était-ce la peur d’approcher le Grand Mage ? Ou bien un Galdr, un sortilège ? Dans le doute, Guillemot appela doucement en lui Naudhiz, pour neutraliser un sort éventuel, et plus vigoureusement Isaz, le Graphème de Glace aidant à renforcer la volonté. Ce dernier brilla et le secoua intérieurement ; il sentit son énergie se condenser. Puis il reprit son ascension.
Guillemot parvint enfin devant la solide porte cloutée ouvrant sur les appartements du Grand Mage. Elle était restée entrouverte. Il s’apprêtait à frapper, quand il entendit les voix du Mage et de son Maître qui s’échappaient de l’intérieur. Il eut l’idée de tendre l’oreille :
–… états d’âme de votre Apprenti ne pèsent pas lourd dans la balance, mon cher Qadehar. Ce gamin restera ici le temps qu’il faudra. Un mois, un an si besoin ! J’en prends la responsabilité auprès du Prévost.
– Réfléchissez, Grand Mage, je reconnais que j’ai un peu sous-estimé le danger, mais…
– Un peu ? continua la voix éraillée. Le gosse a été à deux doigts d’être enlevé, et vous osez dire : un peu ?
Le Grand Mage eut une quinte de toux. Lorsqu’elle se fut calmée, il reprit :
– Non, il ne sera jamais autant en sécurité qu’à Gifdu. La discussion est close. Enfin, Qadehar, vous savez que l’Ombre convoite ce garçon, non ? Et vous voudriez le lui donner ?
– Non, non, bien sûr. C’est pour cela que nous l’avons pris sous notre aile si rapidement. Cependant, vous pensez réellement que l’Ombre viendra le chercher ici ?
– Elle le veut à tout prix, c’est certain. Ce qui nous a sauvés pour l’instant, c’est la bêtise des Gommons. Celui que nous avons fait parler nous a avoué qu’ils avaient été envoyés à Ys pour récupérer un enfant portant un soleil en pendentif. Je pense que cette indication était la seule qu’ils pouvaient comprendre ! Qui sait comment cette fille s’est retrouvée en sa possession ? En tout cas, cette confusion nous a laissé un répit, et le garçon est devenu notre principal atout contre l’Ombre. S’il reste ici, elle sera obligée de venir elle-même le prendre : car ni Gommon ni Ork ne se risqueront jamais à Gifdu !
– Votre raisonnement est juste, soupira Qadehar. Je crains seulement que ce ne soit pas du goût de Guillemot…