Выбрать главу

– Stupide ! C’est la meilleure chose qui puisse lui être offerte. N’a-t-il pas ici les plus grandes bibliothèques d’Ys à sa disposition ? Les gens les plus savants ?

– Vous ne vous rappelez plus ce que c’est que d’être un enfant, Grand Mage. A cet âge, on ne raisonne pas comme un adulte. Et c’est d’autant plus vrai quand on s’appelle Guillemot.

– Absurde. Vous vous inquiétez pour votre élève, alors que l’on ne comprend toujours pas comment l’Ombre parvient à envoyer ses monstres où bon lui semble, en se moquant bien de la Porte !

Les voix se rapprochèrent. Guillemot n’attendit pas davantage. Il fit demi-tour et dévala l’escalier le plus silencieusement qu’il put.

Qu’est-ce que cela signifiait ? Finalement, le Gommon avait parlé et la Guilde n’en avait même pas informé le Prévost ! Le Pays d’Ys était en péril, l’Ombre voulait l’enlever, lui Guillemot, pour des raisons obscures, et, par sa faute, Agathe croupissait quelque part dans le Pays Incertain… En outre, il était retenu prisonnier dans le monastère, il l’avait entendu de la bouche même de Charfalaq ! Pour sa sécurité ou tout ce que l’on voudrait : n’empêche qu’il était bel et bien captif. Guillemot ne put retenir ses larmes. Et son Maître n’avait rien pu faire… Son cœur se serra davantage. A cause de sa gentillesse, pour lui avoir laissé sa liberté à Troïl, Qadehar avait été désavoué, et cet horrible vieillard avait même osé le réprimander ! Cette affaire allait décidément un peu trop loin. Le sentiment que tout le monde, autour de lui, lui mentait le remplit d’amertume. Il y avait maintenant deux façons possibles de réagir : faire ce qu’on lui disait et ce qu’on attendait de lui, comme un petit garçon bien sage ; ou bien désobéir et suivre son intuition.

Guillemot passa sans s’arrêter devant la bibliothèque de la Nature. Il gravit quatre à quatre les marches conduisant au pigeonnier du monastère. On le traitait en captif ? Il réagirait en captif !

Il s’approcha sans bruit de la vaste pièce carrée qui bruissait des battements d’ailes et du roucoulement de centaines de pigeons acheminant partout dans le pays la correspondance secrète de la Guilde. Le Sorcier Eugène lui avait expliqué le fonctionnement du système, un jour où il l’aidait à trier le courrier…

Par chance, la pièce était déserte !

Guillemot s’approcha du bureau du Sorcier, rédigea rapidement un message sur le papier spécial ultraléger et le glissa dans un petit tube de métal qu’il scella avec de la cire bleue. Il y joignit une étiquette sur laquelle il inscrivit • « Romaric de Troïl, chez Alicia de Troïl ».

Sans cesser de surveiller le couloir, il attrapa l’oiseau qui occupait la niche portant le nom de « Troïl », le caressa et fixa tube et étiquette à sa patte. Enfin, il s’approcha de la fenêtre et lança le pigeon dans le vide. Là-bas, au pigeonnier de Troïl, quelqu’un réceptionnerait le message frappé du sceau confidentiel de la Guilde et irait, sans poser de question, le porter en main propre à son cousin.

L’oiseau déploya ses ailes et ne fut bientôt plus qu’un point dans le ciel.

19

19 L’ÉVASION

Quelques jours s’étaient écoulés depuis que Guillemot avait pénétré dans le pigeonnier du monastère. Personne ne semblait s’en être aperçu, et pour lui la vie continuait à Gifdu comme elle avait commencé. Qadehar n’avait toujours pas trouvé le courage d’annoncer à son élève la décision du Grand Mage le concernant. Parce qu’il avait à faire quelque part, ou alors pour échapper aux regards du garçon, il s’absentait toute la journée et ne regagnait la petite chambre que fort tard. Guillemot, lui, occupait son temps à fouiner dans les différentes bibliothèques du monastère, à la recherche d’informations mystérieuses qu’il relevait dans son carnet avec des airs de conspirateur. Il fréquentait toujours assidûment le gymnase, et Qadwan lui avait enseigné la Salutation au Jour qui consistait en une série d’exercices à faire tous les matins au réveil. Il l’entraînait aux mouvements de base du Quwatin, l’antique art martial d’Ys.

Des Apprentis étaient arrivés au monastère accompagnant leurs Maîtres, mais Guillemot s’était contenté de les saluer de loin. Peu lui importait que ces garçons prissent sa distance pour de la suffisance : il n’avait pas le cœur à se faire de nouveaux amis. Ceux qu’il possédait semblaient l’avoir oublié, et les certitudes qui avaient accompagné son geste dans le pigeonnier s’étaient émoussées depuis. Il se demandait même comment il avait pu croire que ses amis abandonneraient leur vie agréable et insouciante à Troïl pour venir jusqu’à Gifdu et l’aider dans sa folle entreprise !

L’idée que Romaric et les autres aient pu le laisser à son triste sort le remplit de colère ; il la fit passer en fabriquant avec du papier mâché une fausse Pierre Bavarde, qui envoya les novices se perdre dans les buanderies du sous-sol ! Après tout, pourquoi aurait-il été le seul à voir ses vacances gâchées ? Son mauvais tour déclencha contre lui les foudres de l’intendant général de Gifdu, un grand Sorcier barbu et sévère, mais il ne lui valut qu’une privation de dessert, qu’il contourna d’ailleurs grâce à la complicité de Gérald !

Ce matin-là encore, Guillemot s’étira paresseusement dans son lit. Un coup d’œil à sa droite lui apprit que Qadehar était déjà parti. Il soupira : une nouvelle journée loin de Troïl… Il se leva, passa dans la salle de bains.

Il se frictionnait avec sa serviette lorsqu’il entendit un choc sourd, dans la chambre : comme un bruit de pierre tombant sur un plancher. Il se précipita à la lucarne de la salle de bains. Il aperçut, au pied du monastère, mal dissimulés au milieu des rochers, Romaric, Gontrand, Ambre et Coralie ! Ils lançaient des cailloux en direction de la fenêtre de la chambre qui était restée ouverte et à l’extérieur de laquelle pendait un mouchoir rouge.

Qu’il avait donc été bête ! Ils avaient répondu à son appel ! Comment avait-il pu imaginer que ses amis ne viendraient pas ? Lui-même, n’aurait-il pas soulevé des montagnes pour un seul d’entre eux ? Il faillit se mettre à pleurer, tant il s’en voulait d’avoir douté de leur loyauté !

Un autre caillou vint heurter le plancher.

Il s’habilla précipitamment, prit sa sacoche d’Apprenti ainsi qu’un volumineux sac à dos qu’il mit sur ses épaules. Il récupéra sous son matelas une corde qu’il avait dérobée dans un placard du gymnase et la fixa solidement au crochet du volet. Puis il enjamba la fenêtre, sous le regard inquiet de la petite bande. Il vacilla légèrement et commença à descendre, avec des gestes mal assurés. Il avait passé la corde dans son dos et autour de sa cuisse et progressait tant bien que mal, assis dans le vide, les pieds à plat contre la muraille. A plusieurs reprises, Ambre, Coralie, Gontrand et Romaric hésitèrent à l’encourager : Guillemot s’évadait, mieux valait sans doute ne pas attirer l’attention ! Le vent, qui soufflait par rafales, obligeait l’Apprenti à écarter largement les jambes pour conserver son équilibre. Heureusement, les pierres étaient sèches et lisses, elles offraient une bonne adhérence à ses semelles ! Il commit cependant l’erreur de regarder en bas, et dut s’arrêter un long moment, pris de vertige. Les yeux fermés, il reprit courage et maîtrisa le tremblement de ses muscles. Puis il reprit son interminable descente. Vu d’en bas, Gifdu paraissait imposant, mais d’où il se trouvait, c’était autrement impressionnant ! Les frottements de la corde le brûlaient ; il serra les dents et finit par toucher le sol, au grand soulagement de ses amis.

– Vite, ne traînons pas ! leur lança Guillemot d’une voix blanche après les avoir rejoints.