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L’Apprenti avait les jambes en coton. Il n’était cependant pas question de rester à découvert. Romaric le soutint par le bras et ils coururent en direction des gorges, s’arrêtant pour souffler derrière un gros rocher, hors de vue du monastère.

– Ouf ! haleta l’évadé, j’ai cru que je n’y arriverais jamais… Quelle galère !

– La galère, ça a été pour venir jusqu’ici ! objecta Gontrand.

– Oui, c’est vraiment le bout du monde ! renchérit Coralie.

– Vous avez bien reçu mon message, alors ? s’enquit Guillemot qui reprenait peu à peu son souffle.

– Ben tiens ! bougonna Romaric. Comment est-ce qu’on serait là, sinon ?

– Cette surprise, quand on a vu le maître du pigeonnier se diriger vers Romaric et lui tendre un message de la Guilde ! s’exclama Coralie. On a d’abord cru qu’on t’avait enlevé.

– C’était un peu ça, commenta ironiquement Guillemot.

– Et je ne te dis pas quand on a lu le message ! continua la jolie brune : « Retenu prisonnier dans le monastère de Gifdu. Venez me tirer de là. Je mettrai un mouchoir rouge à la fenêtre de ma chambre. Pensez à prendre des provisions… »

– Vous y avez pensé, au moins ? s’enquit Guillemot.

– Ne t’inquiète pas, le rassura Ambre, on a caché les affaires un peu plus bas dans les gorges. Désolée pour le retard, mais il a fallu qu’on invente une histoire pour ta mère et qu’on se prépare…

– Il a fallu trouver ce fichu monastère, aussi ! intervint Gontrand. Ces Sorciers sont vraiment tordus pour aller s’installer dans des coins comme celui-là !

– Et ce monastère de Gifdu, alors ? demanda Coralie, les yeux brillants de curiosité. C’est quand même l’un des endroits les plus mystérieux d’Ys ! Raconte-nous !

– Oui, raconte, Guillemot !

– Doucement, doucement… Vous oubliez que, tout évadé que je suis, je reste toujours tenu par le secret des

Apprentis ! Il vaut mieux ne pas s’attarder : Qadehar ne se rendra compte de ma disparition que ce soir. Il faut gagner du temps.

– Est-ce que l’on peut au moins savoir où nous allons ? grogna Romaric.

– Vous le saurez bien assez tôt… En route !

Tous les cinq se faufilèrent sur l’étroit chemin des gorges de Gifdu.

Ils atteignirent Dashtikazar alors que le soir s’annonçait. Un homme avait eu la gentillesse de les prendre dans sa carriole au sortir des gorges, et un autre les avait conduits à proximité de la capitale. Durant l’été, personne à Ys ne s’étonnait de la présence de bandes de gamins en vadrouille sur les routes : n’était-ce pas la période des grandes vacances ?

– Et maintenant, on va où ? interrogea Romaric qui acceptait de plus en plus mal de ne pas être tenu au courant par Guillemot de ses projets.

– Aux Portes des Deux Mondes, lâcha l’Apprenti d’une voix tranquille.

Tout le monde se figea.

– Aux… aux Portes des Deux Mondes ? s’exclama Coralie les yeux écarquillés.

– Tu es devenu fou ? s’inquiéta Romaric en dévisageant son cousin comme s’il s’était agi d’une autre personne.

– Du calme, du calme ! intervint Gontrand. Et si tu nous disais plutôt pour quoi faire ?

Guillemot réfléchit puis acquiesça.

– D’accord. Pour ne rien vous cacher, j’ai l’intention de me rendre dans le Monde Incertain !

– Ça y est, gémit Romaric, j’en étais sûr : il est devenu fou !

– Écoutez-moi, expliqua Guillemot. J’ai eu le temps de réfléchir, à Gifdu. Je n’ai pas l’intention de rester prisonnier toute ma vie dans ce monastère ! J’ai appris des choses atroces là-bas, des choses qu’on voulait me cacher. C’est au sujet de l’Ombre, et puis d’Agathe.

– Agathe ? s’étonna Gontrand. Je croyais que tu étais fou de joie d’en être débarrassé !

– Je sais bien que ça peut vous paraître dingue, poursuivit Guillemot, mais l’Ombre me veut moi ! C’est moi aussi que le Gommon voulait sur la plage ! Agathe a été enlevée à ma place. C’est ma faute si elle est prisonnière dans le Monde Incertain. Il faut que je fasse quelque chose pour la sauver ! Mais je ne vous demande pas de comprendre, juste de m’aider.

– Qu’est-ce que tu attends de nous ? demanda Coralie.

– Que vous observiez bien tout ce que je ferai, pour que, si ça rate, vous alliez tout expliquer à Qadehar… En lui demandant de me pardonner de lui avoir désobéi.

– Et comment tu t’approcheras des Portes, hein ? tenta encore de s’opposer Romaric. C’est impossible, il y a des Chevaliers qui la gardent en permanence !

– J’ai confiance en ma magie.

– Et comment est-ce que tu l’ouvriras ? Tu n’es qu’un petit Apprenti, pas un Mage, et même pas un Sorcier !

– J’ai confiance en ma magie, répéta Guillemot.

Ambre, silencieuse jusqu’à présent, s’approcha du garçon et planta son regard dans le sien.

– Tu n’iras nulle part tout seul, Guillemot. Soit on est du voyage, soit on te ramène pieds et poings liés à Gifdu.

– Tu es folle ? s’étonna Guillemot.

– Non, elle a raison, dit à son tour Romaric qui ne savait pas encore comment il devait prendre toute cette histoire mais qui, pour rien au monde, n’aurait raté l’occasion d’un peu d’action. N’est-ce pas, Gontrand ? Coralie ?

– On est avec toi, confirma Gontrand. Tu as assez lâché tes amis comme ça !

– Vous êtes sûrs qu’on ne risque rien ? s’inquiéta Coralie.

– Aurais-tu oublié, princesse ? Nous voyageons en compagnie d’un Chevalier farouche et d’un Sorcier puissant !

Ils se moquèrent de la mine déconfite de la jeune fille puis, formant un cercle, ils joignirent leurs mains en les posant les unes sur les autres, comme ils l’avaient vu faire à ceux qui se juraient : « Tous pour un et un pour tous ! »

– C’est extraordinaire ce que vous faites, dit Guillemot, ému.

– Bah ! répondit Romaric en lui adressant un clin d’œil. A la vie à la mort, pas vrai ?

– N’empêche, répéta l’Apprenti, c’était déjà formidable d’être venus me chercher à Gifdu. Vous n’étiez pas obligés d’en faire plus.

– Personnellement, railla Ambre, je suis curieuse de te voir jouer le sauveur avec cette mijaurée d’Agathe de Balangru ! Je dois même dire que, pour rien au monde, je ne voudrais rater ça !

Ils laissèrent la ville sur leur droite et, ensemble, prirent la direction de la colline où se dressaient les Portes des Deux Mondes.

20 LA PORTE DU DEUXIÈME MONDE

Les Portes des Deux Mondes ressemblaient vraiment à des portes ! Très hautes et larges, en bois de chêne sur lequel étaient gravées des centaines de Graphèmes, rien ne les différenciait de celle que Guillemot avait franchie pour pénétrer à l’intérieur du monastère de Gifdu, si ce n’est qu’elles étaient si anciennes que personne ne savait quand elles avaient été construites, et qu’elles ne s’ouvraient sur aucun bâtiment.

En effet, d’un côté comme de l’autre, il n’y avait rien. Les Portes étaient plantées là, toutes seules, sur une colline pelée au pied de laquelle se dressait un campement de la Confrérie des Chevaliers du Vent. D’ordinaire, deux gardes seulement étaient affectés à la surveillance du lieu. Mais, avec les récentes incursions de l’Ombre au Pays d’Ys, ils étaient à présent dix Chevaliers à jouer les sentinelles vigilantes !

C’est ce que la bande constata en arrivant en vue de la colline.

– Les ennuis commencent ! s’exclama d’une voix étouffée Gontrand, caché en compagnie de ses amis derrière un gros rocher. Qu’est-ce qu’on fait maintenant, Guillemot ?