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Cependant, Guillemot n’avait pas vraiment d’inquiétude. D’après les relevés fréquents qu’il effectuait sur la carte, où figuraient les coordonnées telluriques, aérologiques et astronomiques de Ferghânâ, il n’en était plus très éloigné. A chaque instant, il remerciait son Maître de l’avoir obligé à se plonger dans ces sciences rébarbatives ! Grâce à elles, grâce à l’expérience acquise à Troïl et à la connaissance des courants variés du Monde Incertain, dont il avait soigneusement relevé la position lors de son séjour à Gifdu, il savait précisément où il se trouvait. La brise qui soufflait, les ondes qu’il ressentait sous ses pieds, le soleil et les étoiles le guidaient plus sûrement qu’une carte routière.

En effet, un peu plus tard, au sommet d’une colline plus haute que les autres, il découvrit les remparts de Ferghânâ.

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23 LA MER DES BRÛLURES

Coralie ouvrit enfin les yeux qu’elle avait fermés au moment du passage de la Porte et les laissa s’habituer à l’obscurité.

Elle était couchée au milieu d’un bric-à-brac invraisemblable, amoncellement d’étoffes, de vaisselles précieuses, de coffres et de meubles sculptés empilés les uns sur les autres. Elle promena son regard au-dessus d’elle ; le toit ainsi que les parois étaient en toile épaisse, et des fentes sur les côtés laissaient passer la lueur de la lune. Coralie imagina qu’elle se trouvait sous une grande tente. Elle s’assit sur le sol de planches et tourna la tête. Derrière elle, une Porte renversée était coincée entre une table basse et une malle éventrée de laquelle s’échappaient des écharpes de soie qui semblaient abîmées par un long séjour dans l’eau.

La jeune fille se releva et s’inquiéta de ne pas voir bouger les autres. Elle remarqua, sur le coin d’un meuble proche de l’entrée, une lampe à huile dont le bec en cuivre luisait dans la pénombre. Elle en alluma la mèche à l’aide d’un vieux briquet, déposé juste à côté, signe que l’on venait ici de temps en temps. Puis elle entreprit de fouiller la tente.

– Hé, les copains ! C’est pas drôle de jouer à me faire peur ! Allez, sortez de là… Ohhh !

En soulevant une tenture tramant par terre, elle découvrit une cassette métallique piquée de rouille, et remplie de bijoux.

« Il faut être fou, pensa-t-elle, pour laisser tramer des bijoux dans un endroit ouvert à tous les vents. Ils sont tous magnifiques ! »

Elle en choisit quelques-uns et chercha un miroir, qu’elle trouva sur un meuble déformé par l’humidité. Elle accrocha deux pierres bleues à ses oreilles, un collier d’or à son cou et un bracelet d’argent au poignet.

– J’ai une tête à faire peur, murmura-t-elle.

Elle sortit une brosse qu’elle avait pris soin d’emporter dans son petit sac et se recoiffa soigneusement. Puis elle se mit en quête des autres.

Après avoir fouillé la tente sans résultat, elle se dit qu’ils étaient peut-être déjà sortis. Sans l’attendre ! Elle pinça les lèvres. Ce ne serait pas la première fois… Elle jeta un regard sur son manteau de Petit Bonhomme du Virdu et haussa les épaules. Décidément, ce n’était pas possible d’enfiler une chose aussi affreuse ! De toute façon, dehors, il faisait nuit. Elle écarta les battants de toile.

– Ouahhhh ! Ça alors !

Coralie eut du mal à en croire ses yeux. Elle était en mer ! Enfin, c’était bien la mer qui scintillait tout autour d’elle sous la lumière du croissant de lune ! Elle se trouvait sur une large plate-forme, comme un gros radeau. De toutes parts, d’autres radeaux flottaient, reliés entre eux par des passerelles de bois ; de petites vagues faisaient entendre des clapotis lorsqu’elles venaient frapper les rondins.

– Ambre ! Guillemot ! Gontrand ! Romaric !

Sans quitter l’entrée de la tente, elle appela ses amis en chuchotant du plus fort qu’elle put. Elle ne reçut aucune réponse… Elle retourna s’allonger à l’endroit où elle avait ouvert les yeux, non sans avoir pris au passage d’épais tissus pour se confectionner un matelas et une couverture confortables.

Pourquoi était-elle seule, ici ? Coralie n’était pas rassurée. Guillemot avait montré une île sur sa carte en disant -elle se rappelait encore son ton plein de certitude – : « On arrivera dans le Monde Incertain ici… » Ici, tu parles ! Un radeau avait beau être aussi entouré d’eau, ce n’était quand même pas une île ! Elle était sûre, pourtant, que ça ne marcherait pas ! Est-ce qu’elle ne l’avait pas dit aux autres ? Ils avaient beau se moquer d’elle à chaque fois qu’elle s’inquiétait, eh bien, où qu’ils soient tous en ce moment, ils devaient se mordre les doigts de ne pas l’avoir écoutée, cette fois-là. Elle devait sûrement avoir à faire quelque chose de plus intelligent que s’énerver. Elle verrait demain… Il s’était déjà passé suffisamment d’événements extraordinaires !

Coralie s’enroula dans la couverture improvisée et chercha le sommeil. Mais le roulis léger la dérangeait, et le bruit de l’eau contre le radeau la fit sursauter à plusieurs reprises. Elle comprit qu’elle aurait du mal à s’endormir. Elle se mit à penser à sa mère, dans leur village de Krakal, à son père, et à Ambre. Où pouvait-elle être en ce moment ? Elle aurait donné cher, ce soir, pour entendre ses remontrances ! Des larmes coulèrent sur son visage.

Les clapotis finirent par la bercer, et le sommeil emporta Coralie tard dans la nuit.

– Regarde, papa, je t’avais bien dit que j’avais vu de la

lumière, et que j’avais entendu du bruit dans la tente aux objets, cette nuit !

Coralie ouvrit les yeux. Elle était blottie à la même place mais, au-dehors, le soleil avait remplacé les étoiles. Quelqu’un venait de parler. Ce n’était pas un rêve…

– Qu’est-ce que tu fais là ?

Coralie se redressa sur son matelas. Elle découvrit devant elle une fillette et un homme qui la dévisageaient.

– Je répète ma question : qu’est-ce que tu fais là ? Est-ce que tu comprends le ska ?

L’homme ne s’adressait pas à elle méchamment ; il semblait simplement intrigué. Coralie l’observa un instant avant de répondre. Il n’était pas très grand, vêtu seulement d’un short ample. Sa peau était tannée par le soleil et crevassée par le sel. Ce qui étonna la jeune fille d’Ys, c’étaient ses cheveux, presque blancs, et ses yeux vitreux. La fillette lui ressemblait étrangement.

– Oui, monsieur, je comprends le ska. Mais pour vous expliquer ce que je fais là…

La fillette, aux longs cheveux blancs, vêtue d’une tunique légère qui laissait apparaître l’équivalent d’un maillot de bain, agrippa son père par le bras.

– Laisse-la, papa, c’est sûrement une Pachahn. Oh ! s’il te plaît, est-ce que je peux la garder avec moi ?

L’homme sourit avec tendresse en regardant sa fille.

– D’accord, Matsi. Mais jusqu’à la prochaine côte : tu connais la règle !

L’homme à la peau brûlée par le sel quitta la tente. Sa fille, qui devait avoir une dizaine d’années, s’approcha gaiement de Coralie.

– Je m’appelle Matsi !

– Et moi Coralie… Matsi, ton père n’est pas en colère contre moi ?

– Non, répondit la petite fille avec un grand sourire. Il arrive souvent que des Pachahns montent dans nos radeaux pour se cacher, lorsqu’on s’approche des côtes. Mais on les retrouve toujours !

– Des Pachahns… C’est quoi ?

– Des passagers clandestins, bien sûr ! Allez, viens jouer dehors ! Lorsqu’on abordera une côte, tu seras reconduite à terre et moi je me retrouverai toute seule.