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– Non, c’est là que je compte aller… Dites donc, s’étonna Romaric, pour des paysans, je trouve que vous savez beaucoup de choses !

– C’est une insulte ou un compliment ? répondirent les deux hommes en riant. Tu crois qu’il faut nécessairement être un crétin pour cultiver la terre ou s’occuper des bêtes ?

– Non, bafouilla le garçon, non… Je voulais dire que vous semblez avoir beaucoup voyagé, c’est tout !

– On n’a pas toujours besoin de voyager pour s’instruire ! ironisa le premier paysan. Il y a un peu l’école, beaucoup les livres.

– Et puis les récits de ceux qui voyagent ! s’esclaffa le second.

Romaric les salua longuement puis reprit le chemin de la plage.

Il retrouva sans plaisir la mer, le sable et les rochers. L’endroit était toujours désert. La prudence aurait commandé qu’il s’abritât dans les rochers, mais l’attente n’était pas son fort ni la patience sa principale qualité ! Il trompa le temps en faisant des exercices d’assouplissement, et en répétant les mouvements qu’il connaissait du Quwatin, l’art martial en usage à Ys ; puis il marcha un moment sur la grève. Dans le lointain, il apercevait une terre qui pouvait être une île et, dessus, une montagne fumante qui devait être un volcan. Jamais il ne tiendrait, à ronger son frein, sur cette plage. Combien de temps le pourrait-il, d’ailleurs ? Il n’avait de provisions que pour deux jours encore. Sa décision fut prise aussitôt : il donnerait deux jours à un bateau pour se montrer ! Passé ce délai, il tenterait sa chance par voie de terre. Et au diable les prêtres de Yénibohor ! Il préférait vendre chèrement sa peau en entreprenant quelque chose, plutôt que la perdre bêtement en ne faisant rien.

Il retourna dans la grotte où il avait passé la nuit et se mit à étudier longuement la carte du Monde Incertain, recopiée à l’abri d’autres rochers, en ces temps meilleurs où il était encore dans son cher Pays d’Ys, entouré de ses amis.

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26 TOUR DE FORCE

Des torches brûlaient, prises dans des anneaux de fer qui saillaient des murs, et éclairaient de leur lumière dansante les tentures rouge sang d’une grande pièce ronde. Gontrand s’avança de quelques pas. L’endroit était encombré de meubles débordant de livres et de cartes, et sur des tables s’amoncelaient des éprouvettes et des cornues ; certaines étaient chauffées par un bec de gaz, et le liquide qu’elles contenaient bouillonnait en faisant de grosses bulles.

« Bienvenue chez Gargamel ! » pensa très fort Gontrand en promenant son regard autour de lui.

Au centre de la pièce se dressait une Porte semblable à celle qu’ils avaient empruntée au Pays d’Ys.

« Nous étions cinq devant la Porte, et je me retrouve tout seul de l’autre côté », se dit le garçon.

Il croisa les bras puis se gratta le menton de sa main droite, l’air perplexe, comme il le faisait toujours lorsqu’il s’abîmait dans une intense réflexion.

Une chose était sûre : le sortilège de Guillemot avait fonctionné, puisqu’il avait franchi la Porte. Mais quelque chose d’anormal s’était passé, puisqu’il se retrouvait tout seul de l’autre côté.

La magie ne devait pas être très éloignée de la musique : il suffisait d’un demi-ton de décalage avec la partition, et l’on jouait un autre air que celui qu’on avait voulu ! Ou alors, si l’on attaquait une partition dans une autre clef que celle indiquée sur la portée…

Voilà, c’était sans doute cela qui s’était produit : chacun avait abordé le même morceau (le Monde Incertain) avec une clef différente (une Porte différente) ! Pourquoi ? Il n’était pas Sorcier, mais il savait qu’il fallait réparer 1 erreur, raccorder les instruments pour jouer le même air. En un mot, se retrouver.

Il se dirigea vers la porte métallique qui ouvrait sur un escalier en colimaçon. Soudain, il s’arrêta net. Son oreille entraînée entendait un bruit provenant de cet escalier, un bruit qui s’amplifiait. Il n’y avait pas de doute possible : quelqu’un, non, deux personnes montaient les marches.

Sans s’affoler, Gontrand chercha une autre issue. En regardant autour de lui à travers l’obscurité, il finit par distinguer, dans le mur situé à l’autre extrémité de la pièce, une ouverture percée à hauteur d’homme. Elle semblait communiquer avec l’extérieur, à en juger par la flamme d’une torche accrochée sur sa droite, qui vacillait sous l’effet d’un léger courant d’air. Sans perdre un instant, il s’en approcha. L’ouverture était suffisamment large pour qu’il puisse s’y glisser. Il devait faire vite : dans l’escalier, les bruits de pas étaient de plus en plus proches. Il se retrouva dans un passage, qui ressemblait à un boyau, si étroit qu’il ne put avancer qu’en rampant. Il parvint à se déplacer, s’aidant des aspérités des pierres, jusqu’à ce qu’il débouche, enfin, à l’air libre.

C’était la nuit. Les étoiles scintillaient dans le ciel, et une pâle lune éclairait un amoncellement rocheux… à une vingtaine de mètres en contrebas ! Plus bas encore, les vagues de la mer venaient se briser au pied d’une falaise. Pris de vertige, le cœur battant, Gontrand ferma les yeux : c’étaient Ambre et Romaric qui auraient dû être à sa place ; grimpeurs intrépides, ils ne connaissaient pas le vertige, eux !

Il respira profondément à plusieurs reprises pour retrouver son calme avant de rouvrir les yeux. Il constata alors qu’il était presque au sommet d’une tour. Comme il était inutile de songer à fuir par le bas, il se trouvait devant une alternative : soit rester caché là, en attendant que les visiteurs dont il avait entendu les pas quittent la salle – ce qui pouvait prendre un bon moment -, soit gagner le sommet de la tour. La crainte d’avoir à affronter son vertige le poussa à faire demi-tour. Il refit donc le chemin en sens inverse et, protégé par l’obscurité qui l’entourait, il promena son regard dans la salle. Il y avait quelqu’un ! Il vit un homme qui s’affairait devant une table sur laquelle étaient disposés différents instruments de chimie. Comme il lui tournait le dos, Gontrand remarqua seulement qu’il était grand et maigre. A un moment, l’homme tendit une éprouvette vers la lumière d’une torche pour en examiner le contenu ; il lui manquait un doigt à la main droite.

Dans l’escalier, l’autre bruit de pas était à présent tout proche. Un bruit lourd, si inquiétant que Gontrand, sans attendre, décida de tenter sa chance par le haut de la tour. Du plus vite qu’il le put il regagna l’extrémité du passage.

Puis, se mettant sur le dos, il commença à s’en extirper, les bras tendus au-dessus de lui, les mains à la recherche de prises. Il se retrouva dans le vide, le corps tout entier plaqué contre le mur extérieur. « Je suis complètement fou ! » gémit-il.

Jamais il n’avait eu aussi peur.

Une prise après l’autre, en prenant grand soin de ne pas regarder vers le bas, il parvint à se hisser lentement et finit par gagner le sommet de la tour. Il franchit les créneaux, puis, épuisé, il se laissa tomber sur le sol dallé. « Mais quel plaisir Ambre peut-elle bien trouver à l’escalade… » pensa-t-il en secouant la tête.

Maintenant, il lui fallait, par n’importe quel moyen, quitter cette maudite tour !

Quelques instants lui suffirent pour reprendre son souffle et récupérer un peu de force. Sautant sur ses pieds, il inspecta rapidement la plate-forme qu’il venait d’atteindre. La seule issue visible était le départ d’un escalier qui s’enfonçait dans le bâtiment. Mais il ne devait pas songer à l’emprunter, car c’était de là, il l’aurait juré, que provenait le bruit des pas qu’il avait entendu. En faisant la grimace, il se pencha au-dessus des créneaux, et finit par découvrir ce qu’il cherchait : une succession de poutres fixées dans la muraille, qui descendaient en spirale jusqu’à la base de la tour. Utilisées, sans doute, lors de sa construction. S’armant de courage, Gontrand posa le pied sur la première d’entre elles, tout en se cramponnant du mieux qu’il put à la paroi.