Les brigands prirent un sentier qui grimpait perpendiculairement à la chaussée. Le nain ouvrait la marche et son comparse, qui dégageait une odeur pestilentielle, la fermait.
Ils parvinrent devant une grotte, dont l’entrée était partiellement dissimulée par un gros bloc rocheux. Ils furent poussés à l’intérieur. Des coffres fermés et cadenassés s’entassaient au fond. Allongé sur un lit de fortune, un homme trapu toussait et crachait du sang qui maculait par endroits sa barbe sombre et épaisse.
Les deux brigands les conduisirent à lui.
– Peuh ! Des gamins… Ont-ils des pierres sur eux ?
– Pas grand-chose, chef, répondit le brigand à la fourrure d’ours. On les a fouillés, et on n’a trouvé que ça…
Il déposa sur le lit de son chef, blessé à la poitrine lors d’une précédente embuscade, une petite poignée de pierres précieuses ainsi qu’un collier en or, un bracelet en argent et deux boucles d’oreilles bleues.
– C’est toujours mieux que rien, commenta le brigand dont le torse couvert de poils noirs était en partie bandé par un linge souillé. On décidera de leur sort demain. Thunku paye cher les filles aussi bien que les garçons.
Le nain émit un ricanement, qui fit frémir Coralie plus que son compagnon.
Les deux amis furent conduits sans ménagements au fond de la grotte où on les ligota complètement.
– Oh, c’est affreux ! gémit Coralie dont le menton tremblait.
– Ça va s’arranger, tenta de la rassurer Romaric. On s’en sortira, je te le promets.
Deux autres brigands paressaient dans la grotte, à l’abri de la chaleur, ce qui portait à cinq, en comptant leur chef alité, le nombre de leurs geôliers. Romaric soupira. C’était beaucoup. Il échafauda des plans d’évasion, qui s’effondraient les uns après les autres. Peut-être qu’à la faveur de la nuit…
Un jeune archer, affreusement maigre et dont le visage était fendu par une vilaine cicatrice, fit irruption dans la caverne, tout essoufflé ; il annonça des voyageurs à l’entrée des gorges.
– Bon, tout le monde en place, décida le chef des bandits. On rançonne encore ceux-là, et demain on décampe. Il y a assez de pierres dans ces coffres pour nous offrir à tous une vie de seigneur !
Sa déclaration fut accueillie par des cris de joie. Les brigands se ruèrent à l’extérieur. Romaric en profita pour essayer de détendre ses liens. Mais ils avaient été ligotés par des hommes qui connaissaient leur affaire, et il ne réussit qu’à s’écorcher les poignets. A côté de lui, Coralie bougea.
– Tu sais, je préfère savoir cet horrible nain loin de la grotte ! souffla-t-elle. Tu as vu comment il me regardait ? J’en ai encore la chair de poule !
– Calme-toi, et essaye de te reposer, lui répondit Romaric. Je suis là. Je te protégerai.
Mais, au fond de lui, il se savait totalement impuissant II ne pourrait que hurler, si les brigands décidaient de s’en prendre à son amie. Cette pensée le plongea dans une rage terrible, et il s’acharna encore sur ses liens, une nouvelle fois en vain. Il cessa bientôt de s’agiter et, silencieusement pour ne pas affoler davantage Coralie, il se laissa aller à son désespoir.
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33 DES BRIGANDS MALCHANCEUX
– Ce passage est sinistre.
– Je suis bien d’accord avec toi, musicien.
Le géant au crâne tatoué inspecta les alentours de son regard gns. Les gorges dans lesquelles ils venaient de s’engager ne lui disaient rien qui vaille. Si lui-même avait dû tendre une embuscade à des voyageurs, pour les détrousser ou les assassiner, c’est sans hésiter l’endroit qu’il aurait choisi !
– Tu crois que nous courons un danger ? lui demanda Gontrand en pinçant nerveusement les cordes de sa cithare.
– Ça, petit, c’est mon problème ! Notre accord est clair. toi tu égayés nos veillées avec tes chansons, moi je m’occupe des périls sur notre route.
L’homme des steppes laissa échapper un petit rire. Gontrand passa sa main dans ses cheveux.
Il est vrai que depuis qu’ils avaient quitté la caravane des marchands de Ferghânâ, personne ne leur avait jamais cherché querelle. Il faut dire qu’à la vue de Tofann, on n’avait qu’une envie : ne pas devenir son ennemi’
Un long sifflement retentit dans les gorges. Il n’avait pas fini de résonner que le géant avait disparu comme par enchantement. De sorte que Gontrand fut seul à faire face aux hommes surgis de derrière les rochers. Ceux-ci se regardèrent, inquiets.
– Ils ne devaient pas être deux ? Hé, l’archer !
– J’ai bien vu deux voyageurs à l’entrée des gorges, se défendit le jeune brigand.
– Si tu en as vu deux, continua un manchot qui brandissait une hache au bout de son bras valide, où est passé le deuxième ?
– Il est ici, messieurs !
Comme venant de nulle part, Tofann avait bondi. Il empoigna le crâne du manchot et le fracassa contre la plaque d’acier qu’il portait sur sa tunique de cuir, à l’emplacement du cœur. Rapide comme l’éclair, il sortit ensuite un couteau plat de sa botte, et l’envoya se planter dans la gorge d’un grand échalas qui bascula en arrière sous le choc, brisant dans sa chute son bouclier contre une pierre.
Les autres en restèrent figés de stupeur.
– Passons aux choses sérieuses, maintenant, si vous le voulez bien !
Le géant avait tiré une épée impressionnante du fourreau de métal et de cuir qu’il portait dans le dos. D’un mouvement circulaire de l’arme gigantesque faillit décapiter l’archer, qui eut la bonne idée de se baisser au dernier moment. Un autre coup de haut en bas fendit presque en deux l’homme à la fourrure d’ours, moins rapide, qui grogna de douleur avant de s’effondrer sur le sol. L’archer, délaissant son arc peu approprié à un corps à corps, avait dégainé un poignard et faisait bravement face à Tofann. Celui-ci se déplaçait avec agilité. Ses gestes étaient précis, et fulgurants. L’archer avait beaucoup de mal à éviter les coups de son redoutable adversaire. Il tenta quelques bottes, que Tofann déjoua facilement. Finalement, le géant blessa le jeune homme à la main, l’obligeant à lâcher son couteau, puis à la cuisse, lui faisant mordre la poussière. L’archer au sol jeta un regard farouche à Tofann qui, couvert de sang, le toisait de haut, l’arme posée avec nonchalance sur l’épaule. Le contraste entre les deux, accentué par la maigreur extrême de l’un et la formidable musculature de l’autre, était saisissant.
– N’aie crainte, petit. Ce n’est pas dans mes habitudes de frapper un homme à terre. Surtout quand celui-ci s’est bien battu ! Tu as la vie sauve.
Dès le début de l’engagement, Gontrand avait trouvé refuge derrière un rocher et, stupéfait, suivait le déroulement de la bataille. Le jeune archer hors de combat, il ne restait plus désormais en face du guerrier que le nain difforme, qui le regardait avec une indescriptible expression de terreur.
Tofann s’avança sur lui. Le gnome jeta son fléau d’armes et s’enfuit en hurlant. Tofann s’élança à sa poursuite, suivi par Gontrand qui, pour rien au monde, ne serait resté seul avec l’archer au milieu des cadavres.
Tout haletant, le garçon pénétra dans une caverne éclairée par des torches. Tofann avait coincé le fuyard et s’était contenté de lui briser le crâne d’un coup de poing. Il achevait de régler son compte à un homme qui hurlait de rage dans un lit.
– Gontrand ! Ça alors, Gontrand !
Comme électrifié, le joueur de cithare se tourna vers le fond de la grotte. Ligotés contre des coffres, Romaric et Coralie le regardaient comme s’ils avaient vu un fantôme.
– Voilà, c’est ici que l’on se quitte, annonça Tofann aux trois jeunes gens.