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— On va s'en occuper, Violette, croyez-moi.

— Sans les flics ? Personne ne doit l'apprendre, jamais.

— Sans les flics.

— Mais nous sommes flics.

Adamsberg éluda le paradoxe d'un geste de la main.

— Ces images ne doivent atterrir entre les mains de personne, dit-il. On prétend les voyeurs passifs, mais quantité de violeurs se nourrissent aussi d'images. Il nous reste six minutes avant la réunion. Filez dans la cour et vérifiez, avec des gants, s'il n'y a pas un traceur GPS sous sa voiture. Si oui, laissez-le en place.

— Je peux convaincre Froissy d'aller à l'hôtel quelque temps.

— Surtout pas. On ne fait rien qui puisse alerter le gars. Elle continue comme avant. Où est situé le mur mitoyen de sa salle de bains ? Est, ouest, sud, nord ?

— Nord.

— Très bien. Pendant la réunion, asseyez-vous à côté d'elle. Débrouillez-vous pour faucher ses clefs dans son sac. Puis glissez-les dans la poche de ma veste. J'irai faire un tour là-bas. J'ai de quoi retenir Froissy ici pour un bon moment. De toute façon, elle n'aura aucune envie de rentrer chez elle.

— Merci, commissaire, dit Retancourt en se levant.

— Une chose encore, lieutenant. Au cours de la réunion qui vient, si vous souriez, ne serait-ce que d'un quart de sourire…

Retancourt fronça les sourcils.

— C'est un chantage, non ?

— Un échange, lieutenant.

La réunion s'ouvrit en salle du concile, appellation sophistiquée que Danglard avait un jour donnée à ce lieu de rassemblement, et qui avait fini par entrer dans le domaine courant. On disait « se retrouver au concile », ou bien « au chapitre », pour désigner la plus petite salle des réunions restreintes. Adamsberg salua tous les agents, et particulièrement Danglard, comme pour le mettre en garde sur la suite à venir, puis, souriant, il distribua à chacun les deux pages du texte parfaitement revu par Veyrenc. Ce qui ne lui donnait pas de sens policier pour autant.

— Je vous laisse en prendre connaissance sans moi, pendant qu'Estalère vous sert les cafés.

Avant de sortir, il jeta un regard à Retancourt, qui lui adressa un discret signe affirmatif.

Un GPS, il y avait une saleté de GPS sous la voiture. Bon sang, Retancourt aurait dû lui parler plus tôt. Pendant qu'il tournait dans la salle de travail en attendant que ses agents aient achevé de lire le texte, il ne se préoccupait pas encore de la manière dont il allait mener cette séance. Qui avait de fortes chances de saper l'unité de la Brigade. Pour l'instant, il songeait à Froissy, à la façon de la protéger absolument tout en informant les types du 9e. À présent, il entendait des exclamations monter de la salle de réunion, des débuts de discussions vives.

Il passa à son bureau, nota l'adresse personnelle du lieutenant et revint affronter ses collègues. Il prit sa place sans se préoccuper des mouvements divers des agents ni du silence qui s'installait rapidement. Il nota combien Froissy était devenue menue, à vif, les doigts tendus sur son clavier.

XIII

Adamsberg n'eut pas besoin de regarder les membres de son équipe pour percevoir la nature de ce silence. Il était fait de perplexité, de lassitude et de fatalisme. Il ne sentait pas même la tentation d'une agression de leur part, pas même l'envie de lui poser des questions. Cette réunion, pressentit-il, allait être l'une des plus expéditives de leur histoire. Chacun semblait avoir jeté l'éponge, dans un geste de renoncement triste qui, dans la foulée, abandonnait le commissaire à sa solitude. À l'exception de Veyrenc, Voisenet, Mercadet peut-être, et de Froissy, tout simplement car l'histoire de la recluse était à des lieues de ses préoccupations. Danglard, lui, considérait le commissaire d'un œil combatif et désolé.

— Je vous écoute, dit Adamsberg.

— Ah quoi bon ? dit Danglard, ouvrant le feu. Vous savez fort bien ce qu'on en pense. Ce n'est en aucun cas pour nous.

— C'est votre opinion, Danglard. Mais les autres ?

— Même chose, dit Mordent d'un ton las en tordant son long cou.

Il y eut plusieurs signes d'approbation — le poids des deux commandants n'était pas rien — et des visages qui n'osèrent pas lever un cil.

— Que ce soit clair, reprit Adamsberg. Je comprends vos doutes, je n'oblige personne à se joindre à cette enquête. Je ne fais que vous informer. Les deux premiers morts se connaissaient depuis l'enfance, vous l'avez lu.

— Nîmes n'est pas si grand, dit Mordent.

— En effet. Seconde chose : selon le professeur Pujol, il n'y a pas mutation du venin de la recluse. Et de ses morsures, on ne meurt pas, sauf exception.

— Mais ils sont vieux, dit Kernorkian.

— Oui, appuya Mordent.

— « Enquête » ? releva Danglard. Vous avez bien dit qu'il s'agissait d'une « enquête » ? C'est-à-dire avec des victimes et un assassin ?

— Je le dis.

— Faudra trois paires de menottes quand on tiendra le tueur, dit Noël en ricanant. Une pour chaque paire de pattes.

— Quatre paires de menottes, Noël, rectifia Adamsberg. Elles ont huit pattes.

Le commissaire se leva, écarta les bras d'un geste impuissant.

— Eh bien, dispersion, annonça-t-il. Froissy, Mercadet, j'ai besoin de vous pour quelques recherches.

La salle du concile se vida dans un bruit de pas lents, la réunion avait duré moins de six minutes. Peu à peu, les agents qu'on avait arrachés à leurs lits s'en allèrent. Adamsberg rattrapa Mercadet devant la porte.

— Lieutenant, vous auriez cinq minutes à me consacrer ?

— Froissy est de garde, commissaire, dit Mercadet d'une voix languissante. Je vacille de sommeil.

— Je ne peux pas demander cela à Froissy. J'ai besoin de vous, Mercadet. C'est une urgence.

Le lieutenant se frotta les yeux, secoua sa tête, étira ses bras.

— De quoi s'agit-il ?

— Voici l'adresse, 82, rue de Trévise, escalier A, 3e étage, porte 5, je vous l'ai notée. Je veux en savoir le plus possible sur le voisin, côté nord. Au moins son nom, son âge, sa profession, sa situation de famille.

— J'essaie, commissaire.

— Merci. Cela reste entre vous et moi, strictement.

Cet appel au secret parut réveiller un peu Mercadet, qui partit tête plus haute vers son ordinateur. Adamsberg fit signe à Estalère d'apporter du café au valeureux lieutenant puis rejoignit Veyrenc.

— Es-tu toujours si certain qu'il fallait leur parler ?

— Oui.

— As-tu déjà vu un tel abattement ? Je crois avoir réussi à plonger en dépression immédiate les trois-quarts de la Brigade.

— Ils s'en remettront. Tu lances Froissy sur l'orphelinat ?

— Et sur les victimes.

Adamsberg entra dans le bureau du lieutenant comme s'il pénétrait dans une chambre d'hôpital. Pour une fois dans sa vie, elle ne faisait rien, mâchant un chewing-gum, tournant entre ses doigts une petite boule souple. Probablement un de ces engins à pétrir censés apaiser les nerfs. Non, rectifia Adamsberg, il s'agissait de la pelote de laine du chat, confectionnée par Mercadet. Bleue, car le chat était un mâle. Un mâle entier qui ne présentait pas la moindre pulsion sexuelle. Un jour, Froissy irait peut-être se lover en rond sur le capot de la photocopieuse tiède.

— Merci pour le petit-déjeuner, dit-il. J'en avais besoin.

Cette reconnaissance arracha un sourire au lieutenant. De ce côté au moins, les choses étaient en ordre. Penser, se dit Adamsberg, à faire disparaître les croissants excédentaires, donner à croire qu'il avait tout avalé.