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— Alors ? dit Veyrenc. Il va à la pêche ? Il téléphone au hasard à des gars là-bas pour leur proposer un trafic de venin ? C'est mauvais, cela.

— Très mauvais, mais c'est notre meilleure piste, Louis. Injecter plusieurs doses de venin est sacrément plus convaincant que fourrer soixante araignées dans un pantalon à la nuit.

— Et comment Jarras — ou un des autres — pique-t-il sa victime ? Ils ont été mordus à la jambe. Donc ? Il sort une seringue et prie l'homme de lui présenter sa cheville ?

— Aucune idée, dit Adamsberg en haussant les épaules. Un faux médecin peut-être ? Une vaccination obligatoire ?

— Et contre quoi ?

Adamsberg leva les yeux, regardant filer quelques lents nuages, puis revint au merle, en pleine activité.

— La grippe aviaire ? Elle réapparaît dans le Sud.

— Et les gars vont accepter ?

— Mais pourquoi pas ? On va lancer Retancourt. Surveillance de Richard Jarras et de René Quissol, à Alès. Il est quelle heure ?

— Deux heures et demie. Tu devrais réparer tes montres.

XXIII

Le lieutenant Retancourt finissait un sandwich au Cornet à Dés, le bistrot du coin de la rue, bon marché mais rebutant par l'humeur revêche du maigre petit patron, et qui concurrençait dans une âpre lutte sociale la bourgeoise Brasserie des Philosophes qui lui faisait face. Adamsberg s'assit à sa table.

— Le train de 16 h 07 pour Alès. Ça vous laisse le temps de passer chez vous prendre un bagage ?

— À peine. Quelle est l'urgence à Alès ?

— Deux hommes à surveiller. Vous partiriez avec Kernorkian et quatre brigadiers.

— Planque jour et nuit, donc. Voitures de location.

— C'est cela.

— Sur qui ?

Adamsberg attendit d'être hors du café pour poursuivre.

— René Quissol, mais surtout Richard Jarras. Deux des enfants mordus.

— Amputés ?

— Non, morsures blanches.

— Et pourquoi Jarras ?

— Il a travaillé vingt-huit ans comme acheteur à l'hôpital Sainte-Rosalie de Marseille, là même où est basé le Centre antipoison.

— Et ?

— Et ce centre commande les anti-venins de recluse à l'entreprise Meredial-Lab, qui centralise les venins, en Pennsylvanie ou au Mexique. Jarras avait accès au circuit.

— Vu. Et l'on sait si Jarras s'est rendu là-bas ?

— Jamais.

— Et comment trouve-t-il un complice par-delà l'Atlantique ?

— On n'a rien d'autre.

— Vu.

Quand Retancourt était en mission, et elle l'était déjà, elle économisait ses paroles et concentrait son énergie sur l'objectif. Pas le temps de bavarder.

— Secret sur l'opération, lieutenant.

— Pourquoi ?

— Richard Jarras est marié.

— Vu.

— À une femme qui s'appelle Ariane Danglard.

— Pardon ?

— Oui. C'est sa sœur.

Retancourt s'arrêta sur le trottoir, devant la haute porte voûtée de la Brigade, sourcils blonds abaissés.

— Alors on comprend, dit-elle. Ce n'est pas que Danglard est devenu con, c'est qu'il a peur.

— Et le résultat est le même, lieutenant. Il ne doit rien savoir.

— Ou il fait décamper notre Richard. Dites à Kernorkian de ne pas perdre de temps, je prendrai des fringues pour lui.

— Les autres vous rejoindront en fin de matinée. Attention à vous, Retancourt. Une seule injection et vous y passez en deux jours.

— Vu.

Adamsberg fit le tour de la Brigade et distribua les consignes. À Kernorkian et à quatre agents, départ vers Alès, planque sur Richard Jarras et René Quissol. À Voisenet, départ pour Fontaine-de-Vaucluse et Courthézon avec Lamarre, Justin et six agents, surveillance de Louis Arjalas, dit Petit Louis sans jambe, de Marcel Corbière sans joue et de Jean Escande, dit Jeannot sans pied. À Froissy, remonter les signaux des GPS et portables de Richard Jarras et René Quissol depuis le 10 mai, date de la première morsure mortelle. À Mercadet, même opération sur Arjalas, Corbière et Escande. Suivi de leurs déplacements en direction des trois derniers blaps vivants, Alain Lambertin à Senonches, Olivier Vessac à Saint-Porchaire, Roger Torrailles à Lédignan.

Adamsberg s'installa dans le bureau de Froissy pour observer les mouvements de Richard Jarras et René Quissol.

— Pour ce que j'en vois, vos deux types ne bougent pas beaucoup d'Alès, dit-elle. Ils n'ont pas de GPS. Mais d'après leurs cellulaires — un seul par foyer —, je ne repère que de petits trajets dans la ville. Et il s'agit peut-être de leurs femmes. On ne suspecte pas leurs femmes, si ?

— Non. Ce n'est pas une vengeance qui se transmet.

— Ils se servent plutôt de leur téléphone fixe, à l'ancienne. Ah si, le 27 mai, Richard Jarras a appelé son épouse depuis Salindres, à quelques kilomètres d'Alès, à 18 h 05. Ce n'est pas dans la direction de Nîmes. Revenu sur Alès à 21 heures. Rien qui pointe en direction des vieux de la Bande des recluses.

— À moins qu'ils n'aient laissé leur portable chez eux, ce qui serait judicieux.

— Indispensable, même.

Mercadet n'obtenait pas de meilleurs résultats à Fontaine-de-Vaucluse, où Louis Arjalas et Marcel Corbière habitaient à trois rues l'un de l'autre. Comme pour les deux autres « mordus » d'Alès, on ne notait que des courses locales, à l'exception d'un aller-retour à Carpentras. Depuis Courthézon, Jean Escande ne bougeait guère plus, sauf vers Orange.

— Pour des achats, suggéra Mercadet, des visites chez le médecin, des démarches administratives. Pas un qui ait fait mouvement vers Nîmes. À moins qu'ils n'abandonnent leur portable derrière eux.

— Ce qui serait judicieux, répéta Adamsberg.

— Ce qu'on fait tous.

— Vous laissez votre portable derrière vous ?

— Pour ne pas avoir sans cesse les flics sur le dos, bien sûr, commissaire.

— Nos cinq mordus aussi, il faut croire.

— Si ce sont eux.

— Côté viols, vous avez quoi ?

— Trop, soupira le lieutenant, et encore, on ne parle que des agressions déclarées. Pour les années cinquante, où les femmes n'osaient vraiment pas porter plainte, j'en compte tout de même deux.

— À Nîmes même ?

— Oui.

— Quand ?

— Un en 1952. À cette date, Claveyrolle et Barral ont vingt ans, Landrieu dix-neuf et Missoli dix-sept. Lambertin et Vessac ont dix-huit et seize ans. Les trois premiers, ce sont bien ceux qu'on a chopés dans le dortoir des filles ?

— Oui.

— Je cite ces noms car les autres gars de la bande me paraissent un peu jeunes pour être dans le coup : Haubert, Duval et Torrailles, quinze ans. Ménard, quatorze ans.

— Encore que ça s'est vu. Dynamique de groupe.

— La jeune fille a décrit des adolescents, pas des gosses. Le point commun avec le viol de 1988, c'est le traquenard de la camionnette. Et le fait que les gars étaient trois. Elle avait dix-sept ans. C'était sa première sortie, elle avait un peu bu, elle rentrait à pied. Elle avait quoi ? Cinquante mètres à faire. Elle s'appelle Jocelyne Briac.

— Très possible que Landrieu ait emprunté la camionnette d'un copain.

— Jocelyne n'a osé en parler que quinze jours plus tard, il ne restait plus d'indice exploitable. Un seul petit détail : un de ces petits salauds a gaffé. Il a dit à son camarade : « À toi, César, la route est libre ! » Parce que vous voyez, commissaire, elle aussi était vierge. Sûr que des César, il y en avait pas mal dans la région. Mais tout de même, cela pourrait indiquer César Missoli.