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— Demain auront lieu les obsèques du quatrième mort par venin de recluse. À 11 heures au cimetière Pont-de-Justice.

— Vous croyez à un meurtre ?

— N'en dites rien.

— Compris. J'aimerais pas être à votre place, Adamsberg.

— Il est donc possible que ses deux derniers amis, Alain Lambertin et Roger Torrailles, soient à l'enterrement. Mes hommes y seront en surveillance rapprochée et la femme, pseudo-journaliste, prendra des clichés de l'assistance.

— Pour le cas où l'assassin assiste à l'enterrement.

— On ne peut pas le négliger, capitaine.

— Non.

— Ils se présenteront à vous dès leur arrivée. Vous pouvez me donner le nom d'un journal local de Nîmes ?

— Les Arènes, c'est le plus actif, question photos.

— J'insiste, Fasselac : laissez courir le bruit d'une araignée mutante. Personne ne doit savoir qu'on suspecte des meurtres. Ou la tueuse s'affolera et dézinguera les deux derniers avant qu'on ait le temps de lui mettre la main dessus. Elle doit finir sa mission. Et elle a déjà vingt années d'avance sur nous.

— Elle ?

— Je le crois, oui.

— Foutu truc, commissaire. Tordu, vicié. Bonne chance, et merci pour la relève.

Adamsberg posa la main sur l'épaule de Danglard, figé près de sa voiture.

— Vous, commandant, ne bougez pas. On ne s'en va pas comme ça sans un petit mot d'adieu, après tant et tant d'années. Je reviens. Quelle heure est-il ?

— Huit heures moins cinq.

Il traversa la salle jusqu'au bureau de Retancourt, qui repliait ses affaires.

— Attendez-moi, lieutenant. Qui est encore ici ? demanda-t-il en parcourant la longue pièce du regard.

— Kerno, Voisenet, Mercadet, Noël. Kerno et Voisenet sont de garde, et Mercadet dort.

— J'ai besoin de deux hommes pour demain. Et de vous, Retancourt. Départ pour Nîmes à 6 h 07. Pas 6 h 05, lieutenant, 6 h 07. Ça ira ?

— Avec qui ? Lamarre est avec son gosse.

— On ne dérange pas.

— Justin est avec père et mère.

— On dérange. Ils sont collés jour et nuit.

— Y a pas de mal à ça.

— Aucun, mais appelez-le, il part avec vous. S'il veut emmener père et mère, libre à lui. Mission : obsèques de Vessac demain à 11 heures au cimetière Pont-de-Justice.

— Et Torrailles et Lambertin y seront peut-être. Protection rapprochée, donc.

C'était un autre atout de Retancourt, il n'était pas nécessaire de lui expliquer les choses par le menu.

— Et vous, lieutenant, vous serez photographe pour le journal local Les Arènes.

— Clicher toute la foule. Je fais surtout les femmes ?

— Vous les faites tous. Elle peut très bien se grimer en homme. C'est encore plus facile quand on est âgé.

— Vous la croyez vieille ?

— Oui. D'une certaine manière, elle date du Moyen Âge.

— Vu.

Adamsberg monta prévenir Noël, qui s'envoyait une bière dans la salle du distributeur à boissons, aux côtés de Mercadet qui dormait.

— Vous le veillez, lieutenant ?

— Les réunions me donnent soif. Pourquoi m'avez-vous empêché de lui casser la gueule ce matin ? Il s'est conduit comme un porc. Lui, Danglard.

— Exact, Noël. Comme un porc, mais comme un porc au désespoir. On ne frappe pas un porc au désespoir.

— Pas faux, reconnut Noël après un moment. Plus jeune, j'aurais dû y penser parfois. Et comment va-t-il revenir ? Je veux dire : comment le vrai Danglard va-t-il revenir si un bon coup de poing ne le réveille pas ? J'ai vraiment pensé qu'un sérieux coup ferait sauter en éclats sa putain de face de con. Enfin, je l'ai pensé après.

— Je m'en occupe, Noël. Vous partez demain matin pour Nîmes par le train de 6 h 07, avec Justin et Retancourt. Elle vous expliquera. Avant le cimetière, présentez-vous tous les trois au capitaine Fasselac, à Lédignan.

— Compris, commissaire, dit Noël en vidant sa bière dans l'évier. J'aime bien ce que raconte Voisenet sur l'homme et les bêtes à venin.

Le lieutenant remonta la manche de son tee-shirt, laissant voir un serpent cobra noir et bleu dressé, langue rouge sortie.

— À dix-neuf ans, je me suis fait tatouer ça, dit-il en souriant. Maintenant, je comprends mieux ce que j'avais dans la tête.

— Hier, j'ai aussi compris un truc que j'avais dans la tête, mais à douze ans.

— Un serpent ?

— Pire, un spectre couvert de toiles d'araignée.

— Et finalement ?

— On a fini par communiquer.

— Et lui ? demanda Noël en regardant son serpent.

— Lui, c'est autre chose, vous l'avez apprivoisé.

— Pas vous ? Votre spectre ?

— Non, Noël. Pas encore.

XXXV

Danglard avait refermé le coffre de la voiture et s'était assis dessus, en posture recourbée, les bras serrés contre sa poitrine. « On ne s'en va pas comme ça sans un petit mot d'adieu. » C'est à quoi il aurait voulu échapper ce soir, le temps de prendre ses dispositions. À cette explication avec le commissaire, au discours, à la lettre de démission.

Et à la suite, le procès pour « non-dénonciation de crime ». Danglard connaissait la loi, et la sanction. Consiste en le fait pour une personne ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives. Citation dont, pour une fois, il aurait aimé ne pas se souvenir. Circonstances aggravantes du fait de sa fonction : cinq années de taule. Il avait déraillé, comme un train qui file hors voies et sans frein à travers la campagne. Et il avait basculé. Le commissaire n'avait pas d'autre choix que de le démettre. Sauf à plonger avec lui. Ç'avait été malheureux qu'Adamsberg ait eu le génie de s'intéresser à ces saletés de recluses. Qui d'autre que lui y aurait jamais pensé ?

Le temps de prendre ses dispositions, avait-il espéré. Mais lesquelles ? Voir les enfants avant toute chose. Et ensuite ? Fuir ? Entrer en reclusoir ? Voir le monde par la fenestrelle ? Bouffer son flingue ? À quoi donc lui avait servi tout son foutu savoir, philosophique compris ? À quoi ? Sinon à mortifier Adamsberg ce matin même, se faisant plus arrogant et blessant qu'un maître Carvin ?

Traversant la cour à nouveau, alors que le jour commençait à faiblir, Adamsberg prit un appel d'Irène, passé depuis le portable d'Élisabeth.

— Je voulais vous prévenir, commissaire, les obsèques auront lieu demain matin à Nîmes. C'est vrai ce que disent les films à la télé ? Que les tueurs reviennent souvent voir l'enterrement ?

— C'est assez vrai, c'est une dernière jouissance, le final de l'œuvre.

— C'est dégoûtant, non ? C'est pour cela que je voulais vous appeler. Au cas où vous voudriez mettre des policiers là-bas, vous voyez ?

— C'est déjà prêt, Irène, je vous remercie.

— Pardon, vraiment je m'excuse. Évidemment c'est déjà prêt, vous êtes flic quand même. Mais comment vous avez su si vite ?

— On se débrouille, Irène.

— Oh pardon, c'est vrai. J'aurais dû le savoir, mais je ne pouvais pas être sûre, vous comprenez. L'enterrement a lieu si vite après le décès. Mais tout était pris samedi. Et moi, je me disais que plus tôt ce serait fait, plus tôt je pourrais emmener Élisabeth loin d'ici.

— À ce propos, Irène, elle est avec vous ? Pendant que vous me parlez d'un tueur ?