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— Vous voulez dire qu'on arrive au 52e ?

— Peut-être.

XXXVIII

— Lieutenant, dit Adamsberg, s'arrêtant devant le porche de la Brigade, il m'en faut plus sur ces deux femmes, Bernadette et Annette. Où elles sont, qui elles sont, tout. Et sur Louise Chevrier.

— Commissaire, si je le pouvais, commença Mercadet d'un ton embarrassé.

Adamsberg examina le visage de son adjoint. Les joues avaient blanchi, les paupières se plissaient, les épaules se courbaient. Le cycle terrassant du sommeil avait commencé.

— Allez dormir, je vois ça avec Froissy. Vous ferez jonction plus tard.

Froissy écouta avec intensité le récit que lui fit Adamsberg sur les filles du couple Seguin.

— On peut à présent alerter la Brigade, lieutenant. Rédigez un rapport minutieux sur l'affaire des séquestrées de Nîmes et envoyez-le à tous les agents. Puis voyez tout ce que vous pourrez trouver sur les sœurs Seguin, sur le frère, et sur Louise. Des photos aussi, les plus récentes possible, mais des photos où elles sourient.

— Commissaire, à l'Identité, les photos souriantes ne sont plus admises. Qu'est-ce que vous voulez voir ?

— Leurs dents.

— Leurs dents ?

— Une idée comme cela. Une proto-pensée.

Froissy se tut. Après une phrase de ce type, il était vain de tenter d'approfondir.

— Une bulle gazeuse, dit-elle en hochant la tête. Pour Louise, comme elle a fait de la garde d'enfants, je peux peut-être chercher sur des sites du type « Bambins d'avant », « Nos crèches d'hier », à Strasbourg et Nîmes. Mais franchement, je ne sais pas si cela existe. Quant aux deux malheureuses fillettes, Mercadet dit qu'il ne les trouve pas ?

— Il n'a pas eu le temps. Il a déjà abattu un sacré boulot.

— Et là, dit Froissy en consultant sa montre, il dort.

— Oui.

— Il a de l'avance.

— C'est l'émotion.

Froissy avait déjà repris son clavier et ne l'écoutait plus.

— Lieutenant, dit-il en lui tapant sur le bras. Le prochain train pour Nîmes ?

— 15 h 15, arrivée 18 h 05.

Adamsberg rejoignit le bureau de Veyrenc.

— On y retourne, Louis, au Mas-de-Pessac. Ce salaud n'a pas tout craché.

— Cauvert ? Il m'avait paru cinglé et sympathique.

— Mais il a protégé son père. Il nous a fait perdre des jours. Train à 15 h 15, ça te va ? On rentre ce soir.

Pendant le voyage, Adamsberg exposa à Veyrenc les faits nouveaux, les séquestrées de Nîmes et sa certitude que Seguin père avait travaillé à l'orphelinat. Et à lui, et à lui seul, l'extraction opérée à l'île de Ré. Veyrenc sifflota, une manière pour lui d'exprimer ses sentiments. Selon les mélodies, Adamsberg savait desquels il s'agissait. Ici, un mélange : choc, stupéfaction, réflexion. Trois mélodies.

— Donc nous partons secouer le brave Dr Cauvert sans la moindre preuve que Seguin ait travaillé à l'orphelinat ? C'est bien cela ?

— Oui.

— On s'y prend comment ?

— On l'affirme. Ton oncle y a travaillé un an, comme professeur.

— Ah bon ? Et quel est son nom ?

— Froissy m'a trouvé un enseignant qui y fut suppléant. Ton oncle s'appelait Robert Quentin.

— Admettons. Quelle matière ?

— Catéchisme. Ça te gêne ?

— Au point où nous en sommes. Et donc, j'affirme savoir par mon oncle qu'Eugène Seguin était à La Miséricorde. Et pourquoi mon oncle m'aurait-il parlé de cela ?

— Il t'en a parlé, c'est tout. Ne chicane pas sur les détails, Louis.

— Et si Seguin n'y a jamais travaillé ?

— Il y a travaillé, Louis.

— Comme tu veux. Tu dors ?

— Sur prescription médicale. Sans blague, Louis, c'est pour cicatriser, à cause de l'extraction. Sinon, il paraît que je peux tomber dans une fosse. Et le gars semblait on ne peut plus sérieux.

Avant de se conformer aux ordres médicaux, Adamsberg consulta ses messages. Le psychiatre semblait oublier qu'avec les portables, il n'était plus possible de dormir. Ni de déambuler, de surveiller les mouettes au-dessus des poissons morts, de laisser se croiser les bulles gazeuses.

De Retancourt :

— Lambertin et Torrailles étaient sur les lieux. Sont au bistrot. Garde rapprochée. Je laisse Justin et Noël, suis trop visible. Écho de conversations : Lambertin passe la nuit chez Torrailles.

— Reçu. Ne les lâchez pas.

D'Irène :

— Pendant l'inhumation, Louise a eu ses petits sourires secs de satisfaction, surtout quand les pelletées de terre sont tombées sur le cercueil. Je dirais qu'elle aime les enterrements, il y a des gens comme ça. Mais ces petits sourires, faut dire qu'elle en fait tout le temps. Avec des gloussements des fois, et sans qu'on sache jamais pourquoi. Sainte Mère, par chance elle n'a pas gloussé au cimetière. Je crois que je ne peux plus la voir par moments, et c'est pas bien gentil de ma part. Devant Louise, je prépare le colis où je vous envoie la boule à neige de Rochefort. Elle y croit. Elle dit même qu'elle trouve mal pour un flic de collectionner des boules à neige, qu'ils ont pas de temps à perdre avec ça, qu'après on s'étonne qu'on ne soit pas mieux protégés. Moi je lui dis, si les flics ils ne collectionnent pas des boules à neige ou autres, ils deviennent timbrés. Salut, Jean-Bapt.

— Salut, Irène, répondit Adamsberg, et merci.

De Froissy :

— Toujours rien sur les deux sœurs Seguin, évaporées. Rien dans les HP. Le frère, idem. Pas de photo de Louise Chevrier souriant sur des sites « Bambins d'avant ». Je vais m'attaquer aux cabinets dentaires, Strasbourg, Nîmes. Les fichiers ne sont pas protégés. Mais il y a des tonnes de cabinets dentaires.

— N'oubliez pas le dîner, ce soir.

— Des merles ?

— Oui.

— Comment je l'oublierais ?

— Avant les cabinets dentaires, cherchez si un membre de la famille de Cauvert père a été soupçonné de collaboration. Lui-même ? Père ? Oncle ?

— Histoire de famille encore ?

— Bien sûr.

Les deux hommes sonnèrent à six heures et demie passées à la porte du Dr Cauvert. Volontairement, Adamsberg n'avait pas prévenu, et ils le dérangeaient en plein travail.

— Maintenant ? dit Cauvert d'assez mauvaise humeur. Vous ne m'avez même pas téléphoné ?

— On était dans le coin, dit Veyrenc, on a tenté notre chance.

— C'est un détail qui nous manque, appuya Adamsberg.

— Bien, bien, admit le docteur en les laissant entrer et filant dans sa cuisine, d'où il revint cinq minutes plus tard plus guilleret, avec un plateau chargé. Thé de Ceylan, proposa-t-il, thé vert, café, décaféiné, tisane, jus de fraise, gâteau de Savoie. Allez-y.

Refuser aurait navré le docteur qui disposait déjà les assiettes à gâteau, les tasses, les verres. Dès son café servi, Adamsberg attaqua au cœur du sujet.

— Vous avez sûrement, jeune, entendu parler des séquestrées de Nîmes ?

— Cette abomination ? Mais bien sûr, moi et toute la ville, tout le pays ! On suivait le procès pas à pas !

— Vous avez donc su que le père, Eugène Seguin, louait sa fille cadette à de jeunes violeurs ?

Le docteur secoua la tête avec l'air consterné d'un pédopsychiatre qui ne donne pas cher de l'avenir de la petite. Tandis qu'Adamsberg ressentit une vague tension en prononçant ce nom : Seguin.