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— Besoin d'aide ? Je peux être à 14 h 22 à Lourdes.

— Je viens te chercher. Charge la batterie de ton portable. Il n'y a nulle part où loger. Je dors dans la voiture, je me lave dans le ruisseau, je bouffe dans un routier. Cela te convient ?

— Parfait. J'apporte de quoi améliorer l'ordinaire.

— Prends deux tenues anti-contamination et le bazar habituel.

— Et des fringues.

— S'il te plaît.

À huit heures pile, Adamsberg entra dans la mairie de Lourdes, dont dépendait le Pré d'Albret. Deux heures plus tard, rien n'avait progressé, on comprenait bien son problème et sa demande, mais il fallait l'accord personnel du maire. Et le maire n'était pas joignable. Lundi matin, reprise de semaine, rouages grinçants. Le commissaire expliqua avec amabilité qu'on pouvait fort bien ne pas déranger le maire mais s'adresser au préfet des Hautes-Pyrénées, au motif que le maire de Lourdes n'était pas joignable et qu'il avait une requête urgente à adresser dans le cadre d'une affaire de police qui avait déjà coûté la vie de dix personnes. À ce stade, les choses s'accélérèrent et Adamsberg sortit dix minutes plus tard, document en main.

Il avala un deuxième café serré sur la route du retour, acheta eau et sandwich et reprit sa prospection sur le pré, au premier quart de la seconde bande. Il acheva la troisième bande à une heure de l'après-midi, sans avoir décelé la moindre anomalie dans la végétation. Possible que, de même qu'il avait été capable d'oublier le mot « pigeonnier », il refusât à présent de trouver son emplacement et qu'il regardât sans voir. Il s'assit à l'ombre pour avaler un déjeuner que Froissy aurait réprouvé, et particulièrement la pomme pesticidée. Sa pensée revenait à Louise Chevrier. Il appela le labo et demanda à parler à Louvain.

— Je sais, Louvain, tu es surchargé. C'est Adamsberg.

— Content de t'entendre. Sur quoi es-tu ?

— Dix meurtres.

— Dix ?

— Dont les six derniers en un mois.

— Je n'ai rien entendu là-dessus. Je serais au courant tout de même.

— Tu es au courant. Il s'agit de ces décès par venin de l'araignée recluse.

— Les vieux dans le Sud ? Ce sont des assassinats ?

— Garde cela pour toi.

— Pourquoi ?

— Parce que personne n'admettra qu'on puisse tuer avec du venin de recluse. Je ne peux prouver les meurtres qu'avec un ADN.

— Tu veux dire que ta hiérarchie n'est pas informée de ton enquête ?

— Non.

— Et donc ces échantillons, ces cheveux, cette cuillère, tu te les es procurés de manière illicite ?

— Illicite.

— Si bien que tu me demandes une analyse illicite ? Que je ne peux pas inscrire dans mes rapports ?

— Tu as, il y a de cela quelques années, opéré sur toi-même une recherche en paternité clandestine, dans ton labo, pour couper court à la demande de pension de la mère qui te menaçait des pires ennuis. Et en effet, tu n'étais pas le père. Illicite, dirais-tu ?

— Bien sûr que oui.

— Eh bien suppose que ma hiérarchie est une mère inflexible et récalcitrante, ce qu'elle est. Je dois couper court.

— Ça marche, parce que c'est toi. Et parce que la mère est récalcitrante. On a enregistré tes échantillons ce matin, je les raye des registres. Je peux t'avoir un résultat partiel ce soir. Cela te donnera une première idée.

En roulant vers la gare de Lourdes, Adamsberg espéra que l'empressement de Louvain allait dissoudre le ballet affligeant de ses bulles gazeuses. Il n'en fut rien et il les chassa de force à l'entrée du train en gare. L'arrivée de Veyrenc était bienvenue : le terrain était plus complexe à arpenter que prévu et sa conversation l'aidait. En apparence, Veyrenc parlait d'une manière parfois banale, négligente voire obtuse, mais qui avait pour effet insidieux d'arracher ses pensées à leur tréfonds. Soit Veyrenc acquiesçait, surtout quand il pressentait une voie inutile, soit il contredisait, débattait, forçant Adamsberg à revenir sur les éléments les plus simples, à pousser au plus loin l'effort de ses réflexions englouties. Il y avait un mot grec pour cela.

Le lieutenant descendit, chargé de deux grosses valises et d'un haut sac à dos.

— Chambre de luxe, salle de bains de luxe, expliqua-t-il en montrant ses bagages. Bar de luxe, gril de luxe. Je n'ai pas pris de tables de nuit. Du neuf ?

— Ce soir, on en saura plus sur nos analyses ADN. Illicites.

— Et comment t'es-tu débrouillé ?

— C'est Louvain qui est aux commandes. Je l'ai un peu poussé, voilà tout.

— Il arrive à l'arbre tortueux De fournir un fruit harmonieux.

— Louis, à présent que Danglard est au repos, ne prends pas le relais par tes citations. J'en suis fatigué.

— C'est un de mes propres vers. Avec des fautes de « e » muets, ajouterait Danglard.

— Il dit aussi que tes vers sont mauvais.

— Ils le sont.

Les deux hommes chargèrent les bagages, lourds comme du plomb.

— Tu es sûr que tu n'as pas pris de tables de nuit ? demanda Adamsberg. Ni d'armoires ?

— Certain.

— Tu as déjeuné ?

— Sandwich dans le train.

— Moi aussi, mais sous un arbre. Dis-moi, comment s'appelle cette manière de parler qui consiste à emmerder l'autre en le questionnant sans cesse pour lui faire cracher ce qu'il ne sait pas mais qu'il sait ?

— La maïeutique.

— Et qui a inventé ce truc ?

— Socrate.

— Si bien que lorsque tu me questionnes coup sur coup, c'est cela que tu fais ?

— Va savoir, dit Veyrenc en souriant.

Les deux hommes attaquèrent, l'un la quatrième bande, l'autre la cinquième, après qu'Adamsberg eut expliqué à Veyrenc le système du coup d'œil en vue rasante. À dix-neuf heures, Adamsberg entama la sixième bande et Veyrenc la septième. Une heure plus tard, Veyrenc leva la main. Il l'avait, le cercle. Mathias avait eu raison. Une herbe abondante, d'un vert presque outré, était cernée de graminées hautes, de chardons et d'orties. Les deux hommes s'attrapèrent le bras, comme deux gars stupidement victorieux, puisque Veyrenc n'avait jamais voulu fouiller le reclusoir et qu'Adamsberg le redoutait. Il se planta devant le cercle et observa le paysage alentour.

— C'est bien là, Louis. Et c'est ici, ajouta-t-il en tendant le bras, que se tenait ma mère quand j'ai collé mon nez sur la lucarne. La fenestrelle. Je préviens Mathias et Retancourt.

— Comment distribues-tu les rôles ?

— Simple. Toi, Retancourt et moi à la pioche pour évacuer l'humus de couverture, Mathias à la fouille du sol d'occupation.

— Je n'aurais pas dit mieux. Parce que Retancourt vient ?