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Adamsberg sortit son carnet et, à la lumière du feu qu'il avait ravivé, écrivit à la page où il avait noté ses bulles : Après ADN négatif, j'ai répondu à Louvain : « Je m'y attendais. » Je ne sais pas pourquoi j'ai écrit cela.

Veyrenc se leva sans dire un mot, débarrassa les assiettes, couverts et casserole, qu'il s'appliqua à ranger avec un soin trop lent.

— On ira laver tout cela demain au ruisseau, dit-il d'une voix neutre.

— Oui. On ne va pas y aller de nuit, répondit Adamsberg du même ton lointain.

— J'ai apporté du produit vaisselle. Mais non polluant.

— C'est bien pour le ruisseau.

— Oui. C'est très bien pour le ruisseau.

— On ira après notre café. Ainsi, on emportera tout d'un coup.

— C'est mieux en effet. Cela nous épargnera un voyage.

Puis Veyrenc se rassit en tailleur et les deux hommes laissèrent retomber le silence.

— Qui commence ? demanda Veyrenc.

— Moi, dit Adamsberg. C'est moi qui en ai eu l'idée, c'est moi qui me suis trompé. À la seconde baie fermée, ajouta-t-il en levant son verre.

— Une seconde, Jean-Baptiste. Qui te dit que ce n'est pas Louise qui a tiré, puis déposé les cheveux d'une autre ?

— Rien. Tu as raison, l'analyse ne la dédouane pas.

Adamsberg s'étendit à moitié sur un coude, tâtonna dans l'herbe. Ce soir, la lune couverte ne les éclairait pas. Il tira sa veste jusqu'à lui et en sortit deux cigarettes pliées, qu'il redressa entre ses doigts. Il en tendit une à Veyrenc et attrapa une brindille embrasée pour allumer la sienne.

— Mais pourquoi aurait-elle choisi des cheveux si semblables aux siens ? dit-il.

— Mauvaise question. Quantité de femmes de cet âge se teignent ainsi.

— Et pourquoi ai-je répondu à Louvain que je m'y attendais ?

— Parce que tu t'y attendais.

— Cela s'effritait.

— Je te repose la même question qu'à l'Hôtel du Taureau. Depuis quand ?

— Deux jours à peu près.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas. Ce sont ces bulles gazeuses qui dansent dans ma tête. Elles se racontaient cela, des choses, entre elles, en chuchotant. Sans m'apporter la moindre réponse.

— Les bulles gazeuses ?

— Les proto-pensées, si tu veux le dire mieux. Foutaises. Moi, je crois que ce sont des bulles gazeuses. Elles bossent ou elles jouent, je ne sais pas non plus. Veux-tu que je te lise les mots qui les animent ou les bousculent ? Sans qu'elles m'expliquent ni quoi ni qu'est-ce ?

Adamsberg n'attendit pas l'approbation de Veyrenc pour ouvrir son carnet.

Pigeonnier, j'ai pas trouvé le mot.

Évitement : angoisse de l'entrave (pigeon entravé) ou angoisse d'être pigeon (psychiatre).

Il n'y a plus personne à tuer (Veyrenc).

Tout grince là-dedans (Retancourt).

Ça roucoule sans cesse (Retancourt).

Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée.

Veyrenc hocha la tête et leva la main. Adamsberg le vit à l'éclair de sa cigarette se déplaçant dans la nuit.

— Quand as-tu écrit : « Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée » ?

— Ce matin.

— Et pour quoi faire ? Si l'affaire était réglée ?

Adamsberg haussa les épaules.

— Parce qu'une des bulles s'était énervée dessus, rien de plus.

— Je dirais que tu l'as écrit parce que l'affaire n'est pas réglée.

— Si.

— Je ne crois pas. C'est le médecin qui a énervé les bulles ?

— C'est simplement son nom, c'est tout.

— Cela fait beaucoup d'oiseaux là-dedans.

— Oui, cela roucoule. Crois-tu à la seconde hypothèse du psychiatre ?

— Une trahison ?

— Suppose, commença Adamsberg, reculant comme devant une phrase qu'on ne doit pas prononcer. Suppose que quelqu'un nous ait bernés. Avec les cheveux. Et quand je dis « suppose », j'ai tort. C'est une certitude : c'était un leurre. J'ai dit qu'on avait de la veine d'en avoir trouvé quatre. Et j'ai dit qu'on était riches. Trop riches bien sûr.

— Quatre, ce n'est pas seulement trop, c'est improbable. Notre tueur n'est pas un débutant. Il — elle — a pris la précaution élémentaire de porter un bonnet, une cagoule, même. Je dis « il-elle » car plus rien ne nous permet à présent d'écarter un homme.

— Et qui, Louis, aurait pu déposer ces cheveux dans le cagibi de Torrailles ?

— Une seule personne : l'assassin.

— Non, deux personnes : l'assassin, ou Retancourt. Je me suis demandé comment, en charge de la garde de Torrailles et de Lambertin, elle n'avait pas supposé que le coup pourrait venir de l'intérieur de la maison. Dès l'instant où l'accès extérieur était bouclé par trois flics. Elle y a forcément pensé.

— Ou pas. Tu n'y pensais pas toi-même. Ni moi ni personne.

Veyrenc jeta son mégot dans le feu.

— Retancourt est bien plus fine que cela, dit-il en souriant. Elle n'aurait jamais laissé quatre cheveux.

— Mais un seul, dit Adamsberg en redressant la tête.

Le lieutenant attrapa la bouteille et emplit les derniers verres.

— Au point où nous en sommes, dit-il.

— Au point où nous en sommes, la réponse est là-bas, dit Adamsberg en tendant son bras dans la nuit, vers l'emplacement de l'ancien pigeonnier. Dans la terre de la recluse. Où nous trouverons ses dents.

— Des dents de femme, dit Louis avec une légère réticence.

— Je sais.

— Enzo. Il possédait la liste.

— Cauvert aussi. Je ne l'oublie pas, Louis.

Veyrenc s'éloigna pour installer coussins et couvertures dans la voiture. Ils seraient un peu serrés. Mais quand on s'est connus enfants, tout passe.

Adamsberg couvrait le feu, rabattant les cendres sur les braises. Il ouvrit une dernière fois son carnet, l'éclairant à la lumière de son portable. Après Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée, il ajouta : Ou pas réglée.

XLIII

Adamsberg et Veyrenc aidèrent Mathias, arrivé un peu avant 11 heures au pré d'Albret, à décharger le matériel. Veyrenc découvrait l'archéologue, robuste et assez muet, les cheveux blonds, épais et longs, pieds nus dans des sandales de cuir, son pantalon de toile retenu à la taille par une corde.

Avec la rapidité de l'habitué, Mathias gonfla quatre tentes en cercle autour du feu éteint, y installa matelas et lanternes, édifia des latrines sommaires derrière un grand arbre et, ces essentiels accomplis, partit aussitôt examiner le cercle et en revint, satisfait.

— Cela te convient ? demanda Adamsberg.

— C'est bien cela. Je ne pense pas que la couche d'occupation soit très profonde. Quinze à vingt centimètres. Donc, on attaque à la pioche, mais pas par la pointe. Par le tranchant.

— Maintenant ?

— Maintenant.

— On t'a gardé du café au chaud.

— Plus tard.

Le cercle étant trop exigu pour y piocher à deux, les trois hommes se relayèrent pendant la première heure, l'un attaquant le sol, les deux autres pelletant et évacuant les seaux de terre. Le coup de pioche de Mathias dépassait en efficacité les capacités d'Adamsberg et de Veyrenc, et la répartition des rôles se modifia.

— Ici, dit soudain Mathias en s'agenouillant et dégageant à la truelle un espace de vingt centimètres carrés de terre tassée d'un brun sombre, qui contrastait légèrement avec l'humus noir. Nous sommes au niveau d'occupation. À combien ? Dix-sept centimètres sous la surface.