Выбрать главу

J’ai vu tout cela, car j’avais pris résolution de suivre le roi et d’aller comme lui à Blois. Il se hâtait à la guerre mais, moi, j’avais mission de faire la paix. Je m’obstinais. J’avais mon plan, moi aussi. Et ma litière avançait, derrière le gros de l’armée, mais suivie de détachements qui avaient manqué de rejoindre à temps le camp de Chartres. Il en arriverait pendant plusieurs jours encore, tels les comtes de Joigny, d’Auxerre et de Châtillon, trois fiers compères qui s’en allaient sans se presser, suivis de toutes les lances de leurs comtés, et prenaient la guerre par son côté joyeux. «Bonnes gens, avez-vous vu passer l’armée du roi? — L’armée? On l’a vue passer le jour d’avant-hier, qu’il y en avait, qu’il y en avait! Cela a duré plus d’une couple d’heures. Et d’autres encore ont passé ce matin. Si vous trouvez l’Anglais, ne lui faites point quartier. — Pour sûr, bonnes gens, pour sûr… et si nous prenons le prince Édouard, nous nous rappellerons de vous en envoyer un morceau.»

Et le prince Édouard, pendant ce temps, allez-vous me demander… Le prince avait été retardé devant Romorantin. Moins longtemps que ne l’escomptait le roi Jean, mais assez toutefois pour lui laisser développer sa manœuvre. Cinq journées, car les sires de Boucicaut, de Craon et de Caumont s’étaient furieusement défendus. Dans la journée du 31 août, l’assaut leur fut donné trois fois, qu’ils repoussèrent. Et ce fut seulement le 3 septembre que la place tomba. Le prince la fit incendier, comme à l’accoutumée; mais le lendemain, qui était un dimanche, il lui fallut laisser reposer sa troupe. Les archers, qui avaient perdu nombre des leurs, étaient fatigués. C’était la première rencontre un peu sérieuse depuis le début de la campagne. Et le prince, moins souriant qu’à son ordinaire, ayant appris par ses espies… car il avait toujours des intelligences très en avant… que le roi de France avec tout son ost se dispose à descendre sur lui, le prince se demande s’il n’a pas eu tort de s’obstiner contre la forteresse, et s’il n’aurait pas mieux fait de laisser les trois cents lances de Boucicaut enfermées dans Romorantin.

Il ne connaît pas exactement le nombre de l’armée du roi Jean; mais il la sait plus forte que la sienne, et de beaucoup, cette armée qui va chercher passage sur quatre ponts à la fois… S’il ne veut pas souffrir d’une disparité trop écrasante, il lui faut à tout prix opérer sa jonction avec le duc de Lancastre. Finie la chevauchée plaisante, fini de s’amuser des vilains fuyant dans les bois et des toits de monastères qui flambent. Messires de Chandos et de Grailly, ses meilleurs capitaines, ne sont pas moins inquiets, et même ce sont eux, vieux routiers rompus à la fortune des guerres, qui l’invitent à la hâte. Il descend la vallée du Cher, traversant Saint-Aignan, Thésée, Montrichard sans s’arrêter à trop les piller, sans même regarder la belle rivière aux eaux tranquilles, ni ses îles plantées de peupliers que le soleil traverse, ni les coteaux crayeux où mûrissent, sous la chaleur, les prochaines vendanges. Il tend vers l’ouest, vers le secours et le renfort.

Le 7 septembre, il atteint Montlouis pour apprendre qu’un gros corps de bataille, que commandent le comte de Poitiers, troisième fils du roi, et le maréchal de Clermont, est à Tours.

Alors, il balance. Quatre jours il attend, sur les hauteurs de Montlouis, que Lancastre arrive, ayant passé le fleuve; le miracle, en somme. Et si le miracle ne se produit pas, en tout cas sa position est bonne. Quatre jours il attend que les Français, qui savent le lieu où il est, lui livrent bataille. Contre le corps Poitiers-Clermont, le prince de Galles pense qu’il peut tenir et même l’emporter. Il a choisi son emplacement de combat, sur un terrain coupé par d’épais buissons d’épines. Il occupe ses archers à terrasser leurs retranchements. Lui-même, ses maréchaux et ses écuyers campent dans des maisonnettes avoisinantes.

Quatre jours, dès l’aurore, il scrute l’horizon, du côté de Tours. Le matin dépose dans l’immense vallée des brumes dorées; le fleuve, grossi par les récentes pluies, roule de l’ocre entre ses berges vertes. Les archers continuent à façonner des talus.

Quatre nuits, regardant le ciel, le prince s’interroge sur ce que l’aube suivante lui réserve. Les nuits furent très belles dans ce moment-là, et Jupiter y brillait bien, plus gros que tous les autres astres.

«Que vont faire les Français? se demandait le prince. Que vont-ils faire?»

Or, les Français, respectant pour une fois l’ordre qui leur avait été donné, n’attaquent point. Le 10 de septembre, le roi Jean est à Blois avec son corps de bataille bien rassemblé. Le 11, il se meut vers la jolie cité d’Amboise, autant dire à toucher Montlouis. Adieu renforts, adieu Lancastre; il faut au prince de Galles retraiter sur l’Aquitaine, au plus rapide, s’il veut éviter que, entre Tours et Amboise, la nasse ne se referme; à deux corps de bataille, il ne peut opposer front. Le même jour, il déloge de Montlouis pour aller dormir à Montbazon.

Et là, au matin du 12, que voit-il arriver? Deux cents lances, précédées d’une bannière jaune et blanche, et au milieu des lances une grande litière rouge d’où sort un cardinal… J’ai accoutumé mes sergents et valets, vous l’avez vu, à mettre genou en terre quand je descends. Cela fait toujours impression sur ceux chez qui je parviens. Beaucoup aussitôt s’agenouillent de même, et se signent. Mon apparition mit de l’émotion, je vous le donne à croire, dans le camp anglais.

J’avais la veille quitté le roi Jean à Amboise. Je savais qu’il n’attaquerait pas encore, mais que le moment ne pouvait plus être éloigné. Alors, à moi d’engager mon affaire. J’étais passé par Bléré, où j’avais pris peu de sommeil. Flanqué des armures de mon neveu de Durazzo et de messire de Hérédia, et suivi des robes de mes prélats et clercs, j’allai au Prince et lui demandai de s’entretenir avec moi, seul à seul.

Il me parut pressé, me disant qu’il levait le camp dans l’heure. Je lui assurai qu’il avait un moment, et que mon propos, qui était celui de notre Saint-Père le pape, méritait qu’il l’entendît. De savoir, comme je m’en portais certain, qu’il ne serait pas attaqué ce jour lui donna certainement du répit; mais tout le temps que nous parlâmes, bien qu’il voulût se montrer sûr de soi, il continua de marquer de la hâte, ce que je trouvai bon.

Il a de la hauteur dans le naturel, ce prince, et comme j’en ai aussi, cela ne pouvait pas nous faire le début facile. Mais moi, j’ai l’âge, qui me sert…

Bel homme, belle taille… En effet, en effet, il est vrai, mon neveu, que je ne vous ai point encore décrit le prince de Galles!.. Vingt-six ans. C’est l’âge d’ailleurs de toute la nouvelle génération qui devient maîtresse des affaires. Le roi de Navarre a vingt-cinq ans, et Phœbus de même; seul le Dauphin est plus jeune… Galles a un sourire avenant qu’aucune dent gâtée ne dépare encore. Pour le bas du visage et pour la carnation, il tient du côté de sa mère, la reine Philippa. Il en a les manières enjouées, et il grossira comme elle. Pour le haut du visage, il tirerait plutôt vers son arrière grand-père, Philippe le Bel. Un front lisse, des yeux bleus, écartés et grands, d’une froideur de fer. Il vous regarde fixement, d’une façon qui dément l’aménité du sourire. Les deux parties de cette figure, d’expressions si différentes, sont séparées par de belles moustaches blondes, à la saxonne, qui lui encadrent la lèvre et le menton… Le fond de sa nature est d’un dominateur. Il ne voit le monde que du haut d’un cheval.