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Armure noire et robe rouge face à face. Le heaume aux trois plumes blanches interrogeait mon chapeau rouge et semblait en compter les glands de soie. Enfin le heaume fit un signe d’acquiescement.

Le chemin d’Eustache dévalé, où j’aperçus les archers anglais en rangs tassés, derrière les palissades de pieux qu’ils avaient plantés, et me voici revenu devant le roi Jean. Je tombai en pleine palabre; et je compris, à certains regards qui m’accueillirent, que tout le monde n’avait pas dit du bien de moi. L’Archiprêtre se balançait, efflanqué, goguenard, sous son chapeau de Montauban.

«Sire, dis-je, j’ai bien vu les Anglais. Vous n’avez point à vous hâter de les combattre, et vous ne perdez rien à vous reposer un peu. Car, placés comme ils sont, ils ne peuvent vous fuir, ni vous échapper. Je pense en vérité que vous les pourrez avoir sans coup férir. Aussi je vous prie que vous leur accordiez répit jusques à demain, au soleil levant.»

Sans coup férir… J’en vis plusieurs, comme le comte Jean d’Artois, Douglas, Tancarville lui-même, qui bronchèrent sous le mot et secouèrent le col. Ils avaient envie de férir. J’insistai: «Sire, n’accordez rien si vous le voulez à votre ennemi, mais accordez son jour à Dieu.»

Le connétable et le maréchal de Clermont penchaient pour cette suspension d’armes… «Attendons de savoir, Sire, ce que l’Anglais propose et ce que nous en pouvons exiger; nous n’y risquons rien…» En revanche, Audrehem, oh! simplement parce que, Clermont étant d’un avis, il était de l’autre… disait assez haut pour que je l’entendisse: «Sommes-nous donc là pour batailler ou pour écouter prêche?» Eustache de Ribemont, parce que sa disposition de combat avait été adoptée par le roi, et qu’il était tout énervé de la voir en œuvre, poussait à l’engagement immédiat.

Et Chauveau, le comte-évêque de Châlons qui portait heaume en forme de mitre, peint en violet, le voilà soudain qui s’agite et presque s’emporte.

«Est-ce le devoir de l’Église, messire cardinal, que de laisser des pillards et des parjures s’en repartir sans châtiment?» Là, je me fâche un peu. «Est-ce le devoir d’un serviteur de l’Église, messire évêque, que de refuser la trêve à Dieu? Veuillez apprendre, si vous ne le savez pas, que j’ai pouvoir d’ôter office et bénéfices à tout ecclésiastique qui voudrait entraver mes efforts de paix… La Providence punit les présomptueux, messire. Laissez donc au roi l’honneur de montrer sa grandeur, s’il le veut… Sire, vous tenez tout en vos mains; Dieu décide à travers vous.»

Le compliment avait porté. Le roi tergiversa quelque temps encore, tandis que je continuais de plaider, assaisonnant mon propos de compliments gros comme les Alpes. Quel prince, depuis Saint Louis, avait montré tel exemple que celui qu’il pouvait donner? Toute la chrétienté allait admirer un geste de preux, et viendrait désormais demander arbitrage à sa sagesse ou secours à sa puissance!

«Faites dresser mon pavillon, dit le roi à ses écuyers. Soit, Monseigneur cardinal; je me tiendrai ici jusqu’à demain, au soleil levant, pour l’amour de vous.

— Pour l’amour de Dieu, Sire; seulement pour l’amour de Dieu.»

Et je repars. Six fois au long de la journée, je devais faire la navette, allant suggérer à l’un les conditions d’un accord, venant les rapporter à l’autre; et chaque fois, passant entre les haies des archers gallois vêtus de leur livrée mi-partie blanche et verte, je me disais que si quelques-uns, se méprenant, me lançaient une volée de flèches, je serais bien assaisonné.

Le roi Jean jouait aux dés, pour passer le temps, sous son pavillon de drap vermeil. Tout à l’alentour, l’armée s’interrogeait. Bataille ou pas bataille? Et l’on en disputait ferme jusque devant le roi. Il y avait les sages, il y avait les bravaches, il y avait les timorés, il y avait les coléreux… Chacun s’autorisait à donner un avis. En vérité, le roi Jean restait indécis. Je ne pense pas qu’il se posa un seul moment la question du bien général. Il ne se posait que la question de sa gloire personnelle qu’il confondait avec le bien de son peuple. Après nombre de revers et de déboires, qu’est-ce donc qui grandirait le plus sa figure, une victoire par les armes ou par la négociation? Car l’idée d’une défaite bien sûr ne le pouvait effleurer, non plus qu’aucun de ses conseillers.

Or les offres que je lui portais, voyage après voyage, n’étaient point négligeables. Au premier, le prince de Galles consentait à rendre tout le butin qu’il avait fait au cours de sa chevauchée, ainsi que tous les prisonniers, sans demander rançon. Au second, il acceptait de remettre toutes les places et châteaux conquis, et tenait pour nuls les hommages et ralliements. À la troisième navette, c’était une somme d’or, en réparation de ce qu’il avait détruit, non seulement pendant l’été, mais encore dans les terres de Languedoc l’année précédente. Autant dire que de ses deux expéditions, le prince Édouard ne conservait aucun profit.

Le roi Jean exigeait plus encore? Soit. J’obtins du prince le retrait de toutes garnisons placées en dehors de l’Aquitaine… c’était un succès de belle taille… et l’engagement de ne jamais traiter dans l’avenir ni avec le comte de Foix… à ce propos, Phœbus était dans l’armée du roi, mais je ne le vis pas; il se tenait fort à l’écart… ni avec aucun parent du roi, ce qui visait précisément Navarre. Le prince cédait beaucoup; il cédait plus que je n’aurais cru. Et pourtant je devinais qu’au fond de lui il ne pensait pas qu’il serait dispensé de combattre.

Trêve n’interdit pas de travailler. Aussi tout le jour il employa ses hommes à fortifier leur position. Les archers doublaient les haies de pieux épointés aux deux bouts, pour se faire des herses de défense. Ils abattaient des arbres qu’ils tiraient en travers des passages que pourrait emprunter l’adversaire. Le comte de Suffolk, maréchal de l’ost anglais, inspectait chaque troupe l’une après l’autre. Les comtes de Warwick et de Salisbury, le sire d’Audley participaient à nos entrevues et m’escortaient à travers le camp.

Le jour baissait quand j’apportai au roi Jean une ultime proposition que j’avais moi-même avancée. Le prince était prêt à jurer et signer que, pendant sept ans entiers, il ne s’armerait pas ni n’entreprendrait rien contre le royaume de France. Nous étions donc tout au bord de la paix générale.

«Oh! On connaît les Anglais, dit l’évêque Chauveau. Ils jurent, et puis renient leur parole.»

Je répliquai qu’ils auraient peine à renier un engagement pris par-devant le légat papal; je serais signataire à la convention.

«Je vous donnerai réponse au soleil levant», dit le roi.

Et je m’en allai loger à l’abbaye de Maupertuis. Jamais je n’avais tant chevauché dans une même journée, ni tant discuté. Si recru de fatigue que je fusse, je pris le temps de bien prier, de tout mon cœur. Je me fis éveiller à la pointe du jour. Le soleil commençait juste à jaillir quand je me présentai derechef devant le tref du roi Jean. Au soleil levant, aurait-il dit. On ne pouvait être plus exact que moi. J’eus une mauvaise impression. Toute l’armée de France était sous les armes, en ordre de bataille, à pied, sauf les trois cents désignés pour la charge, et n’attendant que le signal d’attaquer.

«Monseigneur cardinal, me déclare brièvement le roi, je n’accepterai de renoncer au combat que si le prince Édouard et cent de ses chevaliers, à mon choix, se viennent mettre en ma prison. — Sire, c’est là demande trop grosse et contraire à l’honneur; elle rend inutiles tous nos pourparlers d’hier. J’ai pris suffisante connaissance du prince de Galles pour savoir qu’il ne la considérera même pas. Il n’est pas homme à capituler sans combattre, et à venir se livrer en vos mains avec la fleur de la chevalerie anglaise, dût ce jour être pour lui le dernier. Le feriez-vous, ou aucun de vos chevaliers de l’Étoile, si vous en étiez en sa place? — Certes non!