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Le vieillard avait gravi la dune du côté opposé et n’avait pas vu cette affiche en arrivant.

Il monta sur la borne où il était assis, et posa sa main sur le coin du placard que le vent soulevait; le ciel était serein, les crépuscules sont longs en juin; le bas de la dune était ténébreux, mais le haut était éclairé; une partie de l’affiche était imprimée en grosses lettres, et il faisait encore assez de jour pour qu’on pût les lire. Il lut ceci:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, UNE ET INDIVISIBLE.

«Nous, Prieur, de la Marne, représentant du peuple en mission près de l’armée des Côtes-de-Cherbourg, – ordonnons: – Le ci-devant marquis de Lantenac, vicomte de Fontenay, soi-disant prince breton, furtivement débarqué sur la côte de Granville, est mis hors la loi. – Sa tête est mise à prix. – Il sera payé à qui le livrera, mort ou vivant, la somme de soixante mille livres. – Cette somme ne sera point payée en assignats, mais en or. – Un bataillon de l’armée des Côtes-de-Cherbourg sera immédiatement envoyé à la rencontre et à la recherche du ci-devant marquis de Lantenac. – Les communes sont requises de prêter main-forte. – Fait en la maison commune de Granville, le 2 juin 1793. – Signé:

«PRIEUR, DE LA MARNE.»

Au-dessous de ce nom il y avait une autre signature, qui était en beaucoup plus petit caractère, et qu’on ne pouvait lire à cause du peu de jour qui restait.

Le vieillard rabaissa son chapeau sur ses yeux, croisa sa cape de mer jusque sous son menton, et descendit rapidement la dune. Il était évidemment inutile de s’attarder sur ce sommet éclairé.

Il y avait été peut-être trop longtemps déjà; le haut de la dune était le seul point du paysage qui fût resté visible.

Quand il fut en bas et dans l’obscurité, il ralentit le pas.

Il se dirigeait dans le sens de l’itinéraire qu’il s’était tracé vers la métairie, ayant probablement des raisons de sécurité de ce côté-là.

Tout était désert. C’était l’heure où il n’y avait plus de passants.

Derrière une broussaille, il s’arrêta, défit son manteau, retourna sa veste du côté velu, rattacha à son cou son manteau qui était une guenille nouée d’une corde, et se remit en route.

Il faisait clair de lune.

Il arriva à un embranchement de deux chemins où se dressait une vieille croix de pierre. Sur le piédestal de la croix on distinguait un carré blanc qui était vraisemblablement une affiche pareille à celle qu’il venait de lire. Il s’en approcha.

– Où allez-vous? lui dit une voix.

Il se retourna.

Un homme était là dans les haies, de haute taille comme lui, vieux comme lui, comme lui en cheveux blancs, et plus en haillons encore que lui-même. Presque son pareil.

Cet homme s’appuyait sur un long bâton.

L’homme reprit:

– Je vous demande où vous allez?

– D’abord où suis-je? dit-il, avec un calme presque hautain.

L’homme répondit:

– Vous êtes dans la seigneurie de Tanis, et j’en suis le mendiant, et vous en êtes le seigneur.

– Moi?

– Oui, vous, monsieur le marquis de Lantenac.

IV LE CAIMAND

Le marquis de Lantenac, nous le nommerons par son nom désormais, répondit gravement:

– Soit. Livrez-moi.

L’homme poursuivit:

– Nous sommes tous deux chez nous ici, vous dans le château, moi dans le buisson.

– Finissons. Faites. Livrez-moi, dit le marquis.

L’homme continua:

– Vous alliez à la métairie d’Herbe-en-Pail, n’est-ce pas?

– Oui.

– N’y allez point.

– Pourquoi?

– Parce que les bleus y sont.

– Depuis quand?

– Depuis trois jours.

– Les habitants de la ferme et du hameau ont-ils résisté?

– Non. Ils ont ouvert toutes les portes.

– Ah! dit le marquis.

L’homme montra du doigt le toit de la métairie qu’on apercevait à quelque distance par-dessus les arbres.

– Voyez-vous le toit, monsieur le marquis?

– Oui.

– Voyez-vous ce qu’il y a dessus?

– Qui flotte?

– Oui.

– C’est un drapeau.

– Tricolore, dit l’homme.

C’était l’objet qui avait déjà attiré l’attention du marquis quand il était au haut de la dune.

– Ne sonne-t-on pas le tocsin? demanda le marquis.

– Oui.

– À cause de quoi?

– Évidemment à cause de vous.

– Mais on ne l’entend pas?

– C’est le vent qui empêche.

L’homme continua:

– Vous avez vu votre affiche?

– Oui.

– On vous cherche.

Et, jetant un regard du côté de la métairie, il ajouta:

– Il y a là un demi-bataillon.

– De républicains?

– Parisiens.

– Eh bien, dit le marquis, marchons.

Et il fit un pas vers la métairie.

L’homme lui saisit le bras.

– N’y allez pas.

– Et où voulez-vous que j’aille?

– Chez moi.

Le marquis regarda le mendiant.

– Écoutez, monsieur le marquis, ce n’est pas beau chez moi, mais c’est sûr. Une cabane plus basse qu’une cave. Pour plancher un lit de varech, pour plafond un toit de branches et d’herbe. Venez. À la métairie vous seriez fusillé. Chez moi vous dormirez. Vous devez être las; et demain matin les bleus se seront remis en marche, et vous irez où vous voudrez.

Le marquis considérait cet homme.

– De quel côté êtes-vous donc? demanda le marquis; êtes-vous républicain? êtes-vous royaliste?

– Je suis un pauvre.

– Ni royaliste, ni républicain?

– Je ne crois pas.

– Êtes-vous pour ou contre le roi?

– Je n’ai pas le temps de ça.

– Qu’est-ce que vous pensez de ce qui se passe?

– Je n’ai pas de quoi vivre.

– Pourtant vous venez à mon secours.

– J’ai vu que vous étiez hors la loi. Qu’est-ce que c’est que cela, la loi? On peut donc être dehors. Je ne comprends pas. Quant à moi, suis-je dans la loi? suis-je hors la loi? Je n’en sais rien. Mourir de faim, est-ce être dans la loi?

– Depuis quand mourez-vous de faim?

– Depuis toute ma vie.

– Et vous me sauvez?

– Oui.

– Pourquoi?

– Parce que j’ai dit: Voilà encore un plus pauvre que moi. J’ai le droit de respirer, lui ne l’a pas.