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– L’anarchie! interrompit Danton, qui la fait, si ce n’est vous?

Marat ne s’arrêta pas.

– Robespierre, Danton, le danger est dans ce tas de cafés, dans ce tas de brelans, dans ce tas de clubs, club des Noirs, club des Fédérés, club des Dames, club des Impartiaux, qui date de Clermont-Tonnerre, et qui a été le club monarchique de 1790, cercle social imaginé par le prêtre Claude Fauchet, club des Bonnets de laine, fondé par le gazetier Prudhomme, et cætera sans compter votre club des Jacobins, Robespierre, et votre club des Cordeliers, Danton. Le danger est dans la famine, qui fait que le porte-sacs Blin a accroché à la lanterne de l’Hôtel de ville le boulanger du marché Palu, François Denis, et dans la justice, qui a pendu le porte-sacs Blin pour avoir pendu le boulanger Denis. Le danger est dans le papier-monnaie qu’on déprécie. Rue du Temple, un assignat de cent francs est tombé à terre, et un passant, un homme du peuple, a dit: Il ne vaut pas la peine d’être ramassé. Les agioteurs et les accapareurs, voilà le danger. Arborer le drapeau noir à l’Hôtel de ville, la belle avance! Vous arrêtez le baron de Trenck, cela ne suffit pas. Tordez-moi le cou à ce vieil intrigant de prison. Vous croyez-vous tirés d’affaire parce que le président de la Convention pose une couronne civique sur la tête de Labertèche, qui a reçu quarante et un coups de sabre à Jemmapes, et dont Chénier se fait le cornac? Comédies et batelages. Ah! vous ne regardez pas Paris! Ah! vous cherchez le danger loin, quand il est près. À quoi vous sert votre police, Robespierre? Car vous avez vos espions, Payan, à la Commune, Coffinhal, au Tribunal révolutionnaire, David, au Comité de sûreté générale, Couthon, au Comité de salut public. Vous voyez que je suis informé. Eh bien, sachez ceci: le danger est sur vos têtes, le danger est sous vos pieds; on conspire, on conspire, on conspire; les passants dans les rues s’entre-lisent les journaux et se font des signes de tête; six mille hommes, sans cartes de civisme, émigrés rentrés, muscadins et mathevons, sont cachés dans les caves et dans les greniers, et dans les galeries de buis du Palais-Royal; on fait queue chez les boulangers; les bonnes femmes, sur le pas des portes, joignent les mains et disent: Quand aura-t-on la paix? Vous avez beau aller vous enfermer, pour être entre vous, dans la salle du Conseil exécutif, on sait tout ce que vous y dites; et la preuve, Robespierre, c’est que voici les paroles que vous avez dites hier soir à Saint-Just: «Barbaroux commence à prendre du ventre, cela va le gêner dans sa fuite.» Oui, le danger est partout, et surtout au centre. À Paris, les ci-devant complotent, les patriotes vont pieds nus, les aristocrates arrêtés le 9 mars sont déjà relâchés, les chevaux de luxe qui devraient être attelés aux canons sur la frontière nous éclaboussent dans les rues, le pain de quatre livres vaut trois francs douze sous, les théâtres jouent des pièces impures, et Robespierre fera guillotiner Danton.

– Ouiche! dit Danton.

Robespierre regardait attentivement la carte.

– Ce qu’il faut, cria brusquement Marat, c’est un dictateur. Robespierre, vous savez que je veux un dictateur.

Robespierre releva la tête.

– Je sais, Marat, vous ou moi.

– Moi ou vous, dit Marat.

Danton grommela entre ses dents:

– La dictature, touchez-y!

Marat vit le froncement de sourcil de Danton.

– Tenez, reprit-il. Un dernier effort. Mettons-nous d’accord. La situation en vaut la peine. Ne nous sommes-nous déjà pas mis d’accord pour la journée du 31 mai? La question d’ensemble est plus grave encore que le girondinisme qui est une question de détail. Il y a du vrai dans ce que vous dites; mais le vrai, tout le vrai, le vrai vrai, c’est ce que je dis. Au midi, le fédéralisme; à l’ouest, le royalisme; à Paris, le duel de la Convention et de la Commune; aux frontières, la reculade de Custine et la trahison de Dumouriez. Qu’est-ce que tout cela? Le démembrement. Que nous faut-il? L’unité. Là est le salut; mais hâtons-nous. Il faut que Paris prenne le gouvernement de la Révolution. Si nous perdons une heure, demain les Vendéens peuvent être à Orléans, et les Prussiens à Paris. Je vous accorde ceci, Danton, je vous concède cela, Robespierre. Soit. Eh bien, la conclusion, c’est la dictature. Prenons la dictature, à nous trois nous représentons la Révolution. Nous sommes les trois têtes de Cerbère. De ces trois têtes, l’une parle, c’est vous, Robespierre; l’autre rugit, c’est vous, Danton…

– L’autre mord, dit Danton, c’est vous, Marat.

– Toutes trois mordent, dit Robespierre.

Il y eut un silence. Puis le dialogue, plein de secousses sombres, recommença.

– Écoutez, Marat, avant de s’épouser, il faut se connaître. Comment avez-vous su le mot que j’ai dit hier à Saint-Just?