D’un autre côté de la tribune, dans un cadre de bois noir, était appliquée au mur une pancarte de neuf pieds de haut, portant sur deux pages séparées par une sorte de sceptre la Déclaration des droits de l’homme; de l’autre côté il y avait une place vide qui plus tard fut occupée par un cadre pareil contenant la Constitution de l’an II, dont les deux pages étaient séparées par un glaive. Au-dessus de la tribune, au-dessus de la tête de l’orateur, frissonnaient, sortant d’une profonde loge à deux compartiments pleine de peuple, trois immenses drapeaux tricolores, presque horizontaux, appuyés à un autel sur lequel on lisait ce mot: LA LOI. Derrière Cet autel se dressait, comme la sentinelle de la parole libre, un énorme faisceau romain, haut comme une colonne. Des statues colossales, droites contre le mur, faisaient face aux représentants. Le président avait à sa droite Lycurgue et à sa gauche Solon; au-dessus de la Montagne il y avait Platon.
Ces statues avaient pour piédestaux de simples dés, posés sur une longue corniche saillante qui faisait le tour de la salle et séparait le peuple de l’assemblée. Les spectateurs s’accoudaient à cette corniche.
Le cadre de bois noir du placard des Droits de l’Homme montait jusqu’à la corniche et entamait le dessin de l’entablement, effraction de la ligne droite qui faisait murmurer Chabot. – C’est laid, disait-il à Vadier.
Sur les têtes des statues, alternaient des couronnes de chêne et de laurier.
Une draperie verte, où étaient peintes en vert plus foncé les mêmes couronnes, descendait à gros plis droits de la corniche de pourtour et tapissait tout le rez-de-chaussée de la salle occupée par l’assemblée. Au-dessus de cette draperie la muraille était blanche et froide. Dans cette muraille se creusaient, coupés comme à l’emporte-pièce, sans moulure ni rinceau, deux étages de tribunes publiques, les carrées en bas, les rondes en haut; selon la règle, car Vitruve n’était pas détrôné, les archivoltes étaient superposées aux architraves. Il y avait dix tribunes sur chacun des grands côtés de la salle, et à chacune des deux extrémités deux loges démesurées; en tout vingt-quatre. Là s’entassaient les foules.
Les spectateurs des tribunes inférieures débordaient sur tous les plats-bords et se groupaient sur tous les reliefs de l’architecture. Une longue barre de fer, solidement scellée à hauteur d’appui, servait de garde-fou aux tribunes hautes, et garantissait les spectateurs contre la pression des cohues montant les escaliers. Une fois pourtant un homme fut précipité dans l’Assemblée, il tomba un peu sur Massieu, évêque de Beauvais, ne se tua pas, et dit: Tiens! c’est donc bon à quelque chose, un évêque!
La salle de la Convention pouvait contenir deux mille personnes, et, les jours d’insurrection, trois mille.
La Convention avait deux séances, une du jour, une du soir.
Le dossier du président était rond, à clous dorés. Sa table était contrebutée par quatre monstres ailés à un seul pied, qu’on eût dit sortis de l’Apocalypse pour assister à la révolution. Ils semblaient avoir été dételés du char d’Ézéchiel pour venir traîner le tombereau de Sanson.
Sur la table du président il y avait une grosse sonnette, presque une cloche, un large encrier de cuivre, et un in-folio relié en parchemin qui était le livre des procès-verbaux.
Des têtes coupées, portées au bout d’une pique, se sont égouttées sur cette table.
On montait à la tribune par un degré de neuf marches. Ces marches étaient hautes, roides et assez difficiles; elles firent un jour trébucher Gensonné qui les gravissait. C’est un escalier d’échafaud! dit-il. – Fais ton apprentissage, lui cria Carrier.
Là où le mur avait paru trop nu, dans les angles de la salle, l’architecte avait appliqué pour ornements des faisceaux, la hache en dehors.
À droite et à gauche de la tribune, des socles portaient deux candélabres de douze pieds de haut, ayant à leur sommet quatre paires de quinquets. Il y avait dans chaque loge publique un candélabre pareil. Sur les socles de ces candélabres étaient sculptés des ronds que le peuple appelait «colliers de guillotine».
Les bancs de l’Assemblée montaient presque jusqu’à la corniche des tribunes; les représentants et le peuple pouvaient dialoguer.
Les vomitoires des tribunes se dégorgeaient dans un labyrinthe de corridors plein parfois d’un bruit farouche.
La Convention encombrait le palais et refluait jusque dans les hôtels voisins, l’hôtel de Longueville, l’hôtel de Coigny. C’est à l’hôtel de Coigny qu’après le 10 août, si l’on en croit une lettre de lord Bradford, on transporta le mobilier royal. Il fallut deux mois pour vider les Tuileries.
Les comités étaient logés aux environs de la salle; au pavillon-Égalité, la législation, l’agriculture et le commerce; au pavillon-Liberté, la marine, les colonies, les finances, les assignats, le salut public; au pavillon-Unité, la guerre.
Le Comité de sûreté générale communiquait directement avec le Comité de salut public par un couloir obscur, éclairé nuit et jour d’un réverbère, où allaient et venaient les espions de tous les partis. On n’y parlait pas.
La barre de la Convention a été plusieurs fois déplacée. Habituellement elle était à droite du président.
Aux deux extrémités de la salle, les deux cloisons verticales qui fermaient du côté droit et du côté gauche les demi-cercles concentriques de l’amphithéâtre laissaient entre elles et le mur deux couloirs étroits et profonds sur lesquels s’ouvraient deux sombres portes carrées. On entrait et on sortait par là.
Les représentants entraient directement dans la salle par une porte donnant sur la terrasse des Feuillants.
Cette salle, peu éclairée le jour par de pâles fenêtres, mal éclairée, quand venait le crépuscule, par des flambeaux livides, avait on ne sait quoi de nocturne. Ce demi-éclairage s’ajoutait aux ténèbres du soir; les séances aux lampes étaient lugubres. On ne se voyait pas; d’un bout de la salle à l’autre, de la droite à la gauche, des groupes de faces vagues s’insultaient. On se rencontrait sans se reconnaître. Un jour Laignelot, courant à la tribune, se heurte, dans le couloir de descente, à quelqu’un. – Pardon, Robespierre, dit-il. – Pour qui me prends-tu? répond une voix rauque. – Pardon, Marat, dit Laignelot.
En bas, à droite et à gauche du président, deux tribunes étaient réservées; car, chose étrange, il y avait à la Convention des spectateurs privilégiés. Ces tribunes étaient les seules qui eussent une draperie. Au milieu de l’architrave, deux glands d’or relevaient cette draperie. Les tribunes du peuple étaient nues.
Tout cet ensemble était violent, sauvage, régulier. Le correct dans le farouche; c’est un peu toute la révolution. La salle de la Convention offrait le plus complet spécimen de ce que les artistes ont appelé depuis «l’architecture messidor»; c’était massif et grêle. Les bâtisseurs de ce temps-là prenaient le symétrique pour le beau. Le dernier mot de la Renaissance avait été dit sous Louis XV, et une réaction s’était faite. On avait poussé le noble jusqu’au fade, et la pureté jusqu’à l’ennui. La pruderie existe en architecture. Après les éblouissantes orgies de forme et de couleur du dix-huitième siècle, l’art s’était mis à la diète, et ne se permettait plus que la ligne droite. Ce genre de progrès aboutit à la laideur. L’art réduit au squelette, tel est le phénomène. C’est l’inconvénient de ces sortes de sagesses et d’abstinences; le style est si sobre qu’il devient maigre.