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Que de choses tragiques a vues la sombre colline qui est entre Baignon et Plélan.

Les vastes horizons conduisent l’âme aux idées générales; les horizons circonscrits engendrent les idées partielles; ce qui condamne quelquefois de grands cœurs à être de petits esprits: témoin Jean Chouan.

Les idées générales haïes par les idées partielles, c’est là la lutte même du progrès.

Pays, Patrie, ces deux mots résument toute la guerre de Vendée; querelle de l’idée locale contre l’idée universelle; paysans contre patriotes.

VII LA VENDÉE A FINI LA BRETAGNE

La Bretagne est une vieille rebelle. Toutes les fois qu’elle s’était révoltée pendant deux mille ans, elle avait eu raison; la dernière fois, elle a eu tort. Et pourtant au fond, contre la révolution comme contre la monarchie, contre les représentants en mission comme contre les gouverneurs ducs et pairs, contre la planche aux assignats comme contre la ferme des gabelles, quels que fussent les personnages combattant, Nicolas Rapin, François de La Noue, le capitaine Pluviaut et la dame de La Garnache, ou Stofflet, Coquereau et Lechandelier de Pierreville, sous M. de Rohan contre le roi et sous M. de La Rochejaquelein pour le roi, c’était toujours la même guerre que la Bretagne faisait, la guerre de l’esprit local contre l’esprit central.

Ces antiques provinces étaient un étang; courir répugnait à cette eau dormante; le vent qui soufflait ne les vivifiait pas, il les irritait. Finisterre, c’était là que finissait la France, que le champ donné à l’homme se terminait et que la marche des générations s’arrêtait. Halte! criait l’océan à la terre et la barbarie à la civilisation. Toutes les fois que le centre, Paris, donne une impulsion, que cette impulsion vienne de la royauté ou de la république, qu’elle soit dans le sens du despotisme ou dans le sens de la liberté, c’est une nouveauté, et la Bretagne se hérisse. Laissez-nous tranquilles. Qu’est-ce qu’on nous veut? Le Marais prend sa fourche, le Bocage prend sa carabine. Toutes nos tentatives, notre initiative en législation et en éducation, nos encyclopédies, nos philosophies, nos génies, nos gloires, viennent échouer devant le Houroux; le tocsin de Bazouges menace la révolution française, la lande du Faou s’insurge contre nos orageuses places publiques, et la cloche du Haut-des-Prés déclare la guerre à la Tour du Louvre.

Surdité terrible.

L’insurrection vendéenne est un lugubre malentendu.

Échauffourée colossale, chicane de titans, rébellion démesurée, destinée à ne laisser dans l’histoire qu’un mot, la Vendée, mot illustre et noir; se suicidant pour des absents, dévouée à l’égoïsme, passant son temps à faire à la lâcheté l’offre d’une immense bravoure; sans calcul, sans stratégie, sans tactique, sans plan, sans but, sans chef, sans responsabilité; montrant à quel point la volonté peut être l’impuissance; chevaleresque et sauvage; l’absurdité en rut, bâtissant contre la lumière un garde-fou de ténèbres; l’ignorance faisant à la vérité, à la justice, au droit, à la raison, à la délivrance, une longue résistance bête et superbe; l’épouvante de huit années, le ravage de quatorze départements, la dévastation des champs, l’écrasement des moissons, l’incendie des villages, la ruine des villes, le pillage des maisons, le massacre des femmes et des enfants, la torche dans les chaumes, l’épée dans les cœurs, l’effroi de la civilisation, l’espérance de M. Pitt; telle fut cette guerre, essai inconscient de parricide.

En somme, en démontrant la nécessité de trouer dans tous les sens la vieille ombre bretonne et de percer cette broussaille de toutes les flèches de la lumière à la fois, la Vendée a servi le progrès. Les catastrophes ont une sombre façon d’arranger les choses.

LIVRE II. LES TROIS ENFANTS

I PLUS QUAM CIVILIA BELLA

L’été de 1792 avait été très pluvieux; l’été de 1793 fut très chaud. Par suite de la guerre civile, il n’y avait pour ainsi dire plus de chemins en Bretagne. On y voyageait pourtant, grâce à la beauté de l’été. La meilleure route est une terre sèche.

À la fin d’une sereine journée de juillet, une heure environ après le soleil couché, un homme à cheval, qui venait du côté d’Avranches, s’arrêta devant la petite auberge dite la Croix-Branchard, qui était à l’entrée de Pontorson, et dont l’enseigne portait cette inscription qu’on y lisait encore il y a quelques années: Bon cidre à dépoteyer. Il avait fait chaud tout le jour, mais le vent commençait à souffler.

Ce voyageur était enveloppé d’un ample manteau qui couvrait la croupe de son cheval. Il portait un large chapeau avec cocarde tricolore, ce qui n’était point sans hardiesse dans ce pays de haies et de coups de fusil, où une cocarde était une cible. Le manteau noué au cou s’écartait pour laisser les bras libres et dessous on pouvait entrevoir une ceinture tricolore et deux pommeaux de pistolets sortant de la ceinture. Un sabre qui pendait dépassait le manteau.

Au bruit du cheval qui s’arrêtait, la porte de l’auberge s’ouvrit, et l’aubergiste parut, une lanterne à la main. C’était l’heure intermédiaire; il faisait jour sur la route et nuit dans la maison.

L’hôte regarda la cocarde.

– Citoyen, dit-il, vous arrêtez-vous ici?

– Non.

– Où donc allez-vous?

– À Dol.

– En ce cas, retournez à Avranches ou restez à Pontorson.

– Pourquoi?

– Parce qu’on se bat à Dol.

– Ah! dit le cavalier.

Et il reprit:

– Donnez l’avoine à mon cheval.

L’hôte apporta l’auge, y vida un sac d’avoine, et débrida le cheval qui se mit à souffler et à manger.

Le dialogue continua.

– Citoyen, est-ce un cheval de réquisition?

– Non.

– Il est à vous?

– Oui. Je l’ai acheté et payé.

– D’où venez-vous?

– De Paris.

– Pas directement?

– Non.

– Je crois bien, les routes sont interceptées. Mais la poste marche encore.

– Jusqu’à Alençon. J’ai quitté la poste là.

– Ah! il n’y aura bientôt plus de postes en France. Il n’y a plus de chevaux. Un cheval de trois cents francs se paye six cents francs, et les fourrages sont hors de prix. J’ai été maître de poste et me voilà gargotier. Sur treize cent treize maîtres de poste qu’il y avait, deux cents ont donné leur démission. Citoyen, vous avez voyagé d’après le nouveau tarif?

– Du premier mai. Oui.

– Vingt sous par poste dans la voiture, douze sous dans le cabriolet, cinq sous dans le fourgon. C’est à Alençon que vous avez acheté ce cheval?

– Oui.

– Vous avez marché aujourd’hui toute la journée?

– Depuis l’aube.

– Et hier?

– Et avant-hier.

– Je vois cela. Vous êtes venu par Domfront et Mortain.