Выбрать главу

Il y avait au-dessous de la salle ronde à pilier deux chambres pareilles, qui étaient le premier étage et le rez-de-chaussée, et au-dessus trois; sur ces six chambres superposées la tour se fermait par un couvercle de pierre qui était la plate-forme, et où l’on arrivait par une étroite guérite.

Les quinze pieds d’épaisseur de muraille qu’on avait dû percer pour y placer la porte de fer, et au milieu desquels elle était scellée, l’emboîtaient dans une longue voussure; de sorte que la porte, quand elle était fermée, était, tant du côté de la tour que du côté du pont, sous un porche de six ou sept pieds de profondeur; quand elle était ouverte, ces deux porches se confondaient et faisaient la voûte d’entrée.

Sous le porche du côté du pont s’ouvrait dans l’épaisseur du mur le guichet bas d’une vis-de-Saint-Gilles qui menait au couloir du premier étage sous la bibliothèque; c’était encore là une difficulté pour l’assiégeant. Le châtelet sur le pont n’offrait à son extrémité du côté du plateau qu’un mur à pic, et le pont était coupé là. Un pont-levis, appliqué contre une porte basse, le mettait en communication avec le plateau, et ce pont-levis, qui, à cause de la hauteur du plateau, ne s’abaissait jamais qu’en plan incliné, donnait dans le long couloir dit salle des gardes. Une fois maître de ce couloir, l’assiégeant, pour arriver à la porte de fer, était forcé d’enlever de vive force l’escalier en vis-de-Saint-Gilles qui montait au deuxième étage.

VI. LA BIBLIOTHÈQUE

Quant à la bibliothèque, c’était une salle oblongue ayant la largeur et la longueur du pont, et une porte unique, la porte de fer. Une fausse porte battante, capitonnée de drap vert, et qu’il suffisait de pousser, masquait à l’intérieur la voussure d’entrée de la tour. Le mur de la bibliothèque était du haut en bas, et du plancher au plafond, revêtu d’armoires vitrées dans le beau goût de menuiserie du dix-septième siècle. Six grandes fenêtres, trois de chaque côté, une au-dessus de chaque arche, éclairaient cette bibliothèque. Par ces fenêtres, du dehors et du haut du plateau, on en voyait l’intérieur. Dans les entre-deux de ces fenêtres se dressaient sur des gaines de chêne sculpté six bustes de marbre, Hermolaüs de Byzance, Athénée, grammairien naucratique, Suidas, Casaubon, Clovis, roi de France, et son chancelier Anachalus, lequel du reste n’était pas plus chancelier que Clovis n’était roi.

Il y avait dans cette bibliothèque des livres quelconques. Un est resté célèbre. C’était un vieil in-quarto avec estampes, portant pour titre en grosses lettres Saint-Barthélemy, et pour sous-titre Évangile selon saint Barthélemy, précédé d’une dissertation de Pantœnus, philosophe chrétien, sur la question de savoir si cet évangile doit être réputé apocryphe et si saint Barthélemy est le même que Nathanaël. Ce livre, considéré comme exemplaire unique, était sur un pupitre au milieu de la bibliothèque. Au dernier siècle on le venait voir par curiosité.

VII. LE GRENIER

Quant au grenier, qui avait, comme la bibliothèque, la forme oblongue du pont, c’était simplement le dessous de la charpente du toit. Cela faisait une grande halle encombrée de paille et de foin, et éclairée par six mansardes. Pas d’autre ornement qu’une figure de saint Barnabé sculptée sur la porte et au-dessous ce vers:

Barnabus sanctus falcem jubet ire per herbam.

Ainsi une haute et large tour, à six étages, percée çà et là de quelques meurtrières, ayant pour entrée et pour issue unique une porte de fer donnant sur un pont-châtelet fermé par un pont-levis; derrière la tour, la forêt; devant la tour, un plateau de bruyères, plus haut que le pont, plus bas que la tour; sous le pont, entre la tour et le plateau, un ravin profond, étroit, plein de broussailles, torrent en hiver, ruisseau au printemps, fossé pierreux l’été, voilà ce que c’était que la Tour-Gauvain, dite la Tourgue.

X LES OTAGES

Juillet s’écoula, août vint, un souffle héroïque et féroce passait sur la France, deux spectres venaient de traverser l’horizon, Marat un couteau au flanc, Charlotte Corday sans tête, tout devenait formidable. Quant à la Vendée, battue dans la grande stratégie, elle se réfugiait dans la petite, plus redoutable, nous l’avons dit; cette guerre était maintenant une immense bataille, déchiquetée dans les bois; les désastres de la grosse armée, dite catholique et royale, commençaient; un décret envoyait en Vendée l’armée de Mayence; huit mille Vendéens étaient morts à Ancenis; les Vendéens étaient repoussés de Nantes, débusqués de Montaigu, expulsés de Thouars, chassés de Noirmoutier, culbutés hors de Cholet, de Mortagne et de Saumur; ils évacuaient Parthenay; ils abandonnaient Clisson; ils lâchaient pied à Châtillon; ils perdaient un drapeau à Saint-Hilaire, ils étaient battus à Pornic, aux Sables, à Fontenay, à Doué, au Château-d’Eau, aux Ponts-de-Cé; ils étaient en échec à Luçon, en retraite à la Châtaigneraye, en déroute à la Roche-sur -Yon; mais, d’une part, ils menaçaient la Rochelle, et d’autre part, dans les eaux de Guernesey, une flotte anglaise, aux ordres du général Craig, portant, mêlés aux meilleurs officiers de la marine française, plusieurs régiments anglais, n’attendait qu’un signal du marquis de Lantenac pour débarquer. Ce débarquement pouvait redonner la victoire à la révolte royaliste. Pitt était d’ailleurs un malfaiteur d’État; dans la politique il y a la trahison de même que dans la panoplie il y a le poignard; Pitt poignardait notre pays et trahissait le sien; c’est trahir son pays que de le déshonorer; l’Angleterre, sous lui et par lui, faisait la guerre punique. Elle espionnait, fraudait, mentait. Braconnière et faussaire, rien ne lui répugnait; elle descendait jusqu’aux minuties de la haine. Elle faisait accaparer le suif, qui coûtait cinq francs la livre; on saisissait à Lille, sur un Anglais, une lettre de Prigent, agent de Pitt en Vendée, où on lisait ces lignes: «Je vous prie de ne pas épargner l’argent. Nous espérons que les assassinats se feront avec prudence, les prêtres déguisés et les femmes sont les personnes les plus propres à cette opération. Envoyez soixante mille livres à Rouen et cinquante mille livres à Caen.» Cette lettre fut lue par Barère à la Convention le Ier août. À ces perfidies ripostaient les sauvageries de Parein et plus tard les atrocités de Carrier. Les républicains de Metz et les républicains du Midi demandaient à marcher contre les rebelles. Un décret ordonnait la formation de vingt-quatre compagnies de pionniers pour incendier les haies et les clôtures du Bocage. Crise inouïe. La guerre ne cessait sur un point que pour recommencer sur l’autre. Pas de grâce! pas de prisonniers! était le cri des deux partis. L’histoire était pleine d’une ombre terrible.

Dans ce mois d’août la Tourgue était assiégée.

Un soir, pendant le lever des étoiles, dans le calme d’un crépuscule caniculaire, pas une feuille ne remuant dans la forêt, pas une herbe ne frissonnant dans la plaine, à travers le silence de la nuit tombante, un son de trompe se fit entendre. Ce son de trompe venait du haut de la tour.

À ce son de trompe répondit un coup de clairon qui venait d’en bas.

Au haut de la tour il y avait un homme armé; en bas, dans l’ombre, il y avait un camp.