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Le marquis écoutait. Cela tombait sur sa tête; il entendait on ne sait quoi d’inarticulé et de déchirant, plutôt des sanglots que des paroles.

– Ah! mon Dieu! mes enfants! Ce sont mes enfants! au secours! au feu! au feu! au feu! Mais vous êtes donc des bandits! Est-ce qu’il n’y a personne là? Mais mes enfants vont brûler! Ah! voilà une chose! Georgette! mes enfants! Gros-Alain, René-Jean! Mais qu’est-ce que cela veut dire? Qui donc a mis mes enfants là? Ils dorment. Je suis folle! C’est une chose impossible. Au secours!

Cependant un grand mouvement se faisait dans la Tourgue et sur le plateau. Tout le camp accourait autour du feu qui venait d’éclater. Les assiégeants, après avoir eu affaire à la mitraille, avaient affaire à l’incendie. Gauvain, Cimourdain, Guéchamp donnaient des ordres. Que faire? Il y avait à peine quelques seaux d’eau à puiser dans le maigre ruisseau du ravin. L’angoisse allait croissant. Tout le rebord du plateau était couvert de visages effarés qui regardaient.

Ce qu’on voyait était effroyable.

On regardait, et l’on n’y pouvait rien.

La flamme, par le lierre qui avait pris feu, avait gagné l’étage d’en haut. Là elle avait trouvé le grenier plein de paille et elle s’y était précipitée. Tout le grenier brûlait maintenant. La flamme dansait; la joie de la flamme, chose lugubre. Il semblait qu’un souffle scélérat attisait ce bûcher. On eût dit que l’épouvantable Imânus tout entier était là changé en tourbillon d’étincelles, vivant de la vie meurtrière du feu, et que cette âme monstre s’était faite incendie. L’étage de la bibliothèque n’était pas encore atteint, la hauteur de son plafond et l’épaisseur de ses murs retardaient l’instant où il prendrait feu, mais cette minute fatale approchait; il était léché par l’incendie du premier étage et caressé par celui du troisième. L’affreux baiser de la mort l’effleurait. En bas une cave de lave, en haut une voûte de braise; qu’un trou se fît au plancher, c’était l’écroulement dans la cendre rouge; qu’un trou se fît au plafond, c’était l’ensevelissement sous les charbons ardents. René-Jean, Gros-Alain et Georgette ne s’étaient pas encore réveillés, ils dormaient du sommeil profond et simple de l’enfance, et, à travers les plis de flamme et de fumée qui tour à tour couvraient et découvraient les fenêtres, on les apercevait dans cette grotte de feu, au fond d’une lueur de météore, paisibles, gracieux, immobiles, comme trois enfants-Jésus confiants endormis dans un enfer; et un tigre eût pleuré de voir ces roses dans cette fournaise et ces berceaux dans ce tombeau.

Cependant la mère se tordait les bras:

– Au feu! je crie au feu! on est donc des sourds qu’on ne vient pas! on me brûle mes enfants! arrivez donc, vous les hommes qui êtes là. Voilà des jours et des jours que je marche, et c’est comme ça que je les retrouve! Au feu! au secours! des anges! dire que ce sont des anges! Qu’est-ce qu’ils ont fait, ces innocents-là! moi on m’a fusillée, eux on les brûle! qui est-ce donc qui fait ces choses-là! Au secours! sauvez mes enfants! est-ce que vous ne m’entendez pas? une chienne, on aurait pitié d’une chienne! Mes enfants! mes enfants! ils dorment! Ah! Georgette! je vois son petit ventre à cet amour! René-Jean! Gros-Alain! c’est comme cela qu’ils s’appellent. Vous voyez bien que je suis leur mère. Ce qui se passe dans ce temps-ci est abominable. J’ai marché des jours et des nuits. Même que j’ai parlé ce matin à une femme. Au secours! au secours! au feu! On est donc des monstres! C’est une horreur! l’aîné n’a pas cinq ans, la petite n’a pas deux ans. Je vois leurs petites jambes nues. Ils dorment, bonne sainte Vierge! la main du ciel me les rend et la main de l’enfer me les reprend. Dire que j’ai tant marché! Mes enfants que j’ai nourris de mon lait! moi qui me croyais malheureuse de ne pas les retrouver! Ayez pitié de moi! Je veux mes enfants, il me faut mes enfants! C’est pourtant vrai qu’ils sont là dans le feu! Voyez mes pauvres pieds comme ils sont tout en sang. Au secours! Ce n’est pas possible qu’il y ait des hommes sur la terre et qu’on laisse ces pauvres petits mourir comme cela! au secours! à l’assassin! Des choses comme on n’en voit pas de pareilles. Ah! les brigands! Qu’est-ce que c’est que cette affreuse maison-là? On me les a volés pour me les tuer! Jésus misère! je veux mes enfants. Oh! je ne sais pas ce que je ferais! Je ne veux pas qu’ils meurent! au secours! au secours! au secours! Oh! s’ils devaient mourir comme cela, je tuerais Dieu!

En même temps que la supplication terrible de la mère, des voix s’élevaient sur le plateau et dans le ravin:

– Une échelle!

– On n’a pas d’échelle!

– De l’eau!

– On n’a pas d’eau!

– Là-haut, dans la tour, au second étage, il y a une porte!

– Elle est en fer.

– Enfoncez-la!

– On ne peut pas.

Et la mère redoublait ses appels désespérés:

– Au feu! au secours! Mais dépêchez-vous donc! Alors, tuez-moi! Mes enfants! mes enfants! Ah! l’horrible feu! qu’on les en ôte, ou qu’on m’y jette!

Dans les intervalles de ces clameurs on entendait le pétillement tranquille de l’incendie.

Le marquis tâta sa poche et y toucha la clef de la porte de fer. Alors, se courbant sous la voûte par laquelle il s’était évadé, il rentra dans le passage d’où il venait de sortir.

II DE LA PORTE DE PIERRE À LA PORTE DE FER

Toute une armée éperdue autour d’un sauvetage impossible; quatre mille hommes ne pouvant secourir trois enfants; telle était la situation.

On n’avait pas d’échelle en effet; l’échelle envoyée de Javené n’était pas arrivée; l’embrasement s’élargissait comme un cratère qui s’ouvre; essayer de l’éteindre avec le ruisseau du ravin presque à sec était dérisoire; autant jeter un verre d’eau sur un volcan.

Cimourdain, Guéchamp et Radoub étaient descendus dans le ravin; Gauvain était remonté dans la salle du deuxième étage de la Tourgue où étaient la pierre tournante, l’issue secrète et la porte de fer de la bibliothèque. C’est là qu’avait été la mèche soufrée allumée par l’Imânus; c’était de là que l’incendie était parti.

Gauvain avait amené avec lui vingt sapeurs. Enfoncer la porte de fer, il n’y avait plus que cette ressource. Elle était effroyablement bien fermée.

On commença par des coups de hache. Les haches cassèrent. Un sapeur dit:

– L’acier est du verre sur ce fer-là.

La porte était en effet de fer battu, et faite de doubles lames boulonnées ayant chacune trois pouces d’épaisseur.

On prit des barres de fer et l’on essaya des pesées sous la porte. Les barres de fer cassèrent.

– Comme des allumettes, dit le sapeur.

Gauvain, sombre, murmura:

– Il n’y a qu’un boulet qui ouvrirait cette porte.