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— Dans une demi-heure, soupira-t-elle, le bateau va venir nous prendre et il nous mènera vers le salut.

D’un geste doux elle lui caressa la nuque. Il ploya la tête pour se dégager, mais Lisa accentua sa pression.

— Nous dormirons ensemble, continua Lisa, comme en état d’hypnose, l’un contre l’autre, comme deux bêtes. Et demain, quand le jour sera revenu, Frank, quand il sera revenu…

Son regard errait sur la verrière obscure. L’émotion lui nouait la gorge. Baum, qui s’était réveillé, s’approcha d’eux et les considéra avec amusement. Il murmura quelque chose. Lisa hocha la tête et demanda à Frank :

— Tu sais ce qu’il vient de dire ?

Frank secoua négativement la tête.

— Il dit que lorsqu’une femme passe sa main, comme cela, sur la nuque d’un homme, ça signifie qu’elle l’aime.

Frank prit la main de Lisa et l’écarta délibérément en toisant l’Allemand.

— Est-ce que tu vas parler, bon Dieu ! explosa l’évadé. N’essaie pas de noyer le poisson, ça ne prend pas.

— Parler !

Elle était au bord des larmes…

— Parler pour te dire quoi, Frank ?

— Tout ! On a le temps ! répondit-il.

Il était inexorable comme les aiguilles d’une horloge.

Toi, tu es à Paris pendant qu’on m’arrête à Hambourg… Je t’en prie, je t’en supplie, continue.

Il l’attira contre lui et appuya son front contre le front de Lisa.

— Pauvre chère Lisa, balbutia-t-il, sincère. Comme je te tourmente, hein ? Attends, je vais t’aider… Qui est-ce qui t’a appris la nouvelle ?

— Paulo, fit Lisa d’une voix morte.

— Comment ?

— Par téléphone.

— Qu’est-ce que tu as ressenti, alors ?

Elle redressa la tête pour le regarder.

— J’ai eu froid.

— Et puis ?

— Seulement froid.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

— J’ai téléphoné à Madeleine dont le mari est avocat.

— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

Lisa eut un triste sourire. Et ce fut avec un rien de méchanceté qu’elle répondit, sans broncher :

— Elle m’a dit que j’étais folle d’aimer un homme comme toi.

Il ne réagit pas, n’eut même pas une moue ironique. Son visage glacé était pareil à un masque.

— Et son mari ? Que t’a-t-il dit, lui ?

— Que la peine de mort n’existait plus en Allemagne.

Lisa marque un léger temps et soupira :

— C’a été ma première joie.

— C’est lui qui t’a adressée à Gessler ?

— Il m’a rappelée un peu plus tard. Dans l’intervalle il s’était renseigné : Gessler passait pour être le meilleur avocat d’Assises de Hambourg. Je lui ai câblé tout de suite.

— Et puis ?

— J’ai pris l’avion.

— Et puis ?

Les questions de Frank faisaient penser au tic-tac d’un métronome. Elles rythmaient le drame, froidement, mécaniquement.

— J’ai rencontré Gessler. Je lui ai dit qu’il fallait te sauver à n’importe quel prix.

— Et il t’a répondu quoi, le cher homme ?

— Qu’on ne sauve pas un homme qui a abattu un flic ; dans aucun pays.

— C’est bourgeois chez lui ? demanda Frank tout de go.

Elle fut étonnée.

— Pourquoi ?

— Et bourgeois allemand, hein ? ricana Frank. Ça doit peser une tonne, je vois ça d’ici !

Baum, qui les contemplait toujours, s’adressa à Lisa. Il paraissait troublé.

— Qu’est-ce qu’il veut ? s’impatienta Frank.

— Il demande pourquoi tu ne m’embrasses pas comme les Français.

— Quel c… ! fit le jeune homme.

Il saisit brutalement la tête de Lisa dans ses deux mains et pour la première fois depuis leurs retrouvailles, lui donna un baiser long et passionné. Baum se mit à jubiler. Il fit claquer ses doigts pour requérir l’attention de Warner et lui désigna le couple. Warner abaissa son journal. Les deux hommes regardèrent en silence, émerveillés. Le baiser cessa. Frank donna une caresse à la joue de Lisa.

— C’était pas seulement par patriotisme, tu sais.

Ils restèrent un moment unis par une étreinte miséricordieuse qui les calmait comme un bain chaud.

— Je t’aime, mon Frank, soupira Lisa.

— Tu disais que tu avais rencontré Gessler pour ma défense. Après ?

C’était un monstre. Lisa le regarda en songeant : « C’est un monstre ». Un être impitoyable, sans émotion véritable.

— Après, rien ! dit-elle farouche.

— On m’a jugé, condamné, et tu as continué à le voir ?

— Il me donnait de tes nouvelles. Comment en aurais-je eu sinon, puisque tu ne m’écrivais pas ?

— À partir de quand t’es-tu installée à Hambourg, Lisa ?

— Mais…

— Avant ou après le procès ? insista Frank.

— Après, répondit-elle dans un souffle.

— Tu voyais souvent Gessler ?

— Comme ça.

— Ça n’est pas une réponse. Tu le voyais tous les combien ?

— Je ne sais pas… De temps en temps…

La main de Frank se crispa sur le bras de Lisa. Elle eut très mal.

— Tous les combien ?

— Disons une fois par semaine.

— Et tu le voyais où ?

— Écoute-moi, Frank, je…

— Tu le voyais où ?

— À son cabinet, voyons !

— Jamais ailleurs ?

— Mais non.

— Jamais ailleurs ? Réfléchis ! Réfléchis bien et réponds-moi franchement, sinon je risque de me mettre en colère. Je voudrais tellement ne pas me mettre en colère, Lisa…

— Je l’ai peut-être rencontré dans une brasserie une ou deux fois.

— Pas plus ?

— Non, Frank.

Il la gifla. Ce fut très prompt et très violent. Une marque écarlate fleurit sur la joue meurtrie de Lisa.

— Ne mens pas, implora Frank. Je t’en supplie, ma petite prune, ne mens pas, ça complique.

Baum s’était rapproché. Les mains aux hanches, il défiait Frank. Frank se dressa et ils se fixèrent un moment. Dompté, l’Allemand alla s’asseoir à l’autre bout du local, butant dans les appareils téléphoniques qui jonchaient le sol.

— Ce type est fou ! lâcha-t-il au passage à Warner.

Ce dernier haussa les épaules et se replongea dans sa lecture. Il avait l’âme d’un mercenaire. Il accomplissait son travail sans se soucier du reste.

— Gessler te faisait la cour ? insista Frank en caressant du bout du doigt la joue de Lisa où s’étoilait sa gifle.

— Non, Frank.

— En tout cas, affirma le garçon, il est drôlement amoureux de toi ; tu ne vas pas prétendre le contraire, j’espère ?

Lisa eut une brève réflexion.

— Peut-être, reconnut-elle. Qu’est-ce que ça peut faire ? Mais réponds, Frank. Qu’est-ce que ça change vis-à-vis de nous deux ?

Frank arpenta la pièce jusqu’à la verrière. Une lame du plancher craquait à certain endroit. Il se mit à la faire gémir en pressant dessus avec le talon. Le petit cri du bois devenait insupportable.

— Arrête ! implora la jeune femme.

Il cessa de faire craquer la latte, et revint à elle après avoir coulé un regard à l’extérieur.

Le port était calme. La pluie ronflait contre les vitres et le conduit de descente engorgé, produisait un bruit de borborygme.

— Gessler est un honnête homme. Un homme connu, un homme réputé. Et voilà que tout à coup il organise une évasion !