Выбрать главу

— Tu ne fumes plus, c’est vrai ! remarqua-t-il.

Les grilles du deuxième ascenseur venaient de se refermer sur le fourgon et l’énorme cabine d’acier remontait le véhicule dans un mouvement lent et si doux qu’il n’était presque pas perceptible.

— J’ai de l’asthme, fit le garde en crachant une brindille d’allumette.

Sur ses genoux, la mitraillette noire scintillait à la clarté du tableau de bord.

— Tu le savais, toi, qu’on aurait une escorte ? demanda-t-il.

— Non, mais ils ont dû décider ça à cause du tunnel… Pour le cas où…

Il n’acheva pas. La portière contre laquelle il était appuyé venait de s’ouvrir brutalement ; déséquilibré, le gros garçon blond bascula en arrière. Il eut la vision fulgurante d’une matraque brandie, puis il sombra dans l’inconscience. Son compagnon avait commencé de rire, croyant que c’était à la suite d’un faux mouvement du chauffeur que la portière s’était ouverte. Il plongea en avant pour tenter de le retenir mais sa propre portière s’ouvrit à la volée et une main preste lui arracha la mitraillette.

— Ne bouge pas ! fit une voix.

Le garde se redressa et aperçut l’un des motards qui le couchait en joue avec sa propre mitraillette. Quelque chose siffla.

Il voulut tourner la tête mais reçut un terrible coup de matraque et s’effondra sur la banquette.

— Collons-les sous le tableau de bord ! dit le matraqueur au second motard.

Ce dernier hocha la tête et, sans ménagement, fit basculer le garde inanimé sur le plancher du fourgon. De son côté, son camarade hissait le conducteur à l’intérieur du véhicule.

— Tu crois que nous pourrons tenir tous les quatre ? demanda Freddy.

Il parlait un allemand de cuisine qui, chaque fois, faisait ricaner le matraqueur.

— C’est nécessaire, répondit Baum.

Ils parvinrent à se loger dans la cabine du fourgon, malgré les deux corps qui l’encombraient. L’ascenseur venait de s’immobiliser et déjà les portes coulissaient, découvrant une population patiente, sagement canalisée.

Le liftier, un vieil invalide à cheveux blancs, leur adressa un aimable hochement de tête lorsqu’ils passèrent.

— Maintenant remue-toi, mon pote, lâcha Freddy ; quand ils vont trouver les deux motos toutes seules, ça va leur mettre la puce à l’oreille.

Baum appuya sur l’accélérateur. Le fourgon manquait de nerf.

— Ces moteurs diesel, c’est pas le rêve, dit Freddy en français.

— Was ? demanda son compagnon. Freddy négligea de traduire. Le véhicule venait de se dégager du flot d’ouvriers massés devant l’entrée du tunnel. Une esplanade aux pavés mouillés, luisante et désolée sous la lumière de lampadaires trop hauts, s’offrait. Le conducteur prit à gauche. Les deux gardiens assommés geignaient faiblement sur le plancher de la voiture. 

5

— Vos types sont vraiment à la hauteur ? questionna Paulo après un furtif regard à sa montre.

Les mâchoires de Gessler se crispèrent.

— Bien que ce ne soient pas « mes types », fit-il, j’en suis convaincu.

Paulo pressa ses deux poings l’un contre l’autre.

— Ce que je voudrais y être ! soupira le petit homme.

— Ce n’était guère possible, assura l’avocat avec un sourire méprisant : vous ne parlez pas l’allemand, et puis, comme vous le faisiez remarquer tout à l’heure, vous supportez mal l’uniforme.

Paulo fronça son gros nez constellé de vilains petits cratères.

— Bon, je descends rejoindre Walter à l’entrepôt pour l’aider à réceptionner ces messieurs.

Il prit l’escalier intérieur et fut surpris par l’odeur fade de l’immense local. Une odeur de cuir et de denrées périssables.

Lisa était assise au bureau et contemplait un calendrier imprimé en caractères gothiques. La gravure représentait une grosse fille blonde, plantureuse, et Lisa se dit que Mme Gessler devait ressembler à cela, jadis.

— Supposons que le fourgon cellulaire n’ait pas pris par le tunnel ? murmura-t-elle.

— Allons donc, sourit Gessler, le pont est à l’autre bout de la ville !

Il vit qu’elle se tordait les doigts. Il fut vaguement choqué.

— Vous l’aimez tant que cela ?

Le regard qu’elle lui jeta était celui de quelqu’un qu’on vient de réveiller en sursaut. Elle hésita et eut un furtif acquiescement.

— Vous ne lui avez absolument parlé de rien, n’est-ce pas ? demanda Lisa.

— Mais non : de rien.

— Pas même un sous-entendu ?

— Je lui ai seulement dit, lors de ma dernière visite, que vous continuiez à vous occuper de lui.

— Et comment a-t-il réagi ? demanda vivement la jeune femme.

— Ça fait cinq ans que je lui répète la même chose, il ne réagit plus !

Elle eut du mal à retrouver son souffle. Ce que lui disait Gessler la navrait.

— Parce qu’il ne vous croit pas ?

L’avocat secoua la tête.

— Est-ce que je peux savoir ce qu’il croit et ce qu’il ne croit pas ? Est-ce que je peux savoir ce qu’il pense ? Lisa, vous rappelez-vous sa tête au moment du procès ? Il regardait le plafond, comme si tout cela ne le concernait pas ; comme s’il s’ennuyait, et quand je lui ai traduit la sentence : détention à vie…

Il se tut, évoquant trop intensément cet instant pour pouvoir l’exprimer.

— Il s’est penché sur vous et vous a parlé, poursuivit Lisa.

— Savez-vous ce qu’il m’a dit ?

Elle secoua la tête d’un air interrogateur.

Gessler fixa ses ongles bien taillés, puis tourna la tête vers sa compagne.

— Il m’a dit : « Maître, avez-vous connu cette salle d’audience avant la fissure qui est au plafond ? » C’a été tout. De sa condamnation, pas un mot !

Lisa acquiesça.

— Je pensais bien qu’il vous avait dit quelque chose de ce genre.

Gessler passa deux doigts entre son cou et le col de sa chemise. Il avait quelque peu grossi depuis quelque temps.

— Je n’avais jamais remarqué cette fissure, fit-il, songeur. Maintenant je la regarde chaque fois que je pénètre dans la salle. Elle a gagné du terrain en cinq ans.

— Oui, cinq ans ! répéta Lisa. Cinq ans…

Elle ouvrit la porte et s’en fut regarder au-dehors. Elle resta un bon moment sous la pluie, les mains crispées sur la rampe rouillée de l’escalier. L’eau qui giflait son visage calmait ses angoisses.

— Ne vous mouillez pas ! lança Gessler.

Elle rentra.

— On ne voit rien, annonça-t-elle piteusement.

Gessler hocha la tête misérablement. Les grosses gouttes d’eau qui dégoulinaient sur le visage anxieux de la jeune femme lui faisaient penser à des larmes. Comme la pluie de Hambourg était belle sur la figure de Lisa !