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— Elle s’en sépare pour construire avec son copain. Moi qui n’ai connu que des histoires sans tendresse, je trouve cela émouvant.

— Le peu qu’elle va récupérer vaut-il ce qu’elle va laisser ? Et si ça ne marche pas avec son petit ami, elle aura tout vendu pour rien. Ce serait le pire.

— Vous vous en faites trop. De toute façon, que voulez-vous y faire ?

Thomas prit une inspiration et déclara :

— Je voudrais acheter toutes ses affaires pour les lui rendre plus tard.

— Vous plaisantez ?

— Pas du tout. Mais malheureusement, je ne peux pas me pointer et lui faire un chèque.

Pauline n’hésita qu’un instant.

— Si vous voulez, j’irai pour vous !

— C’est adorable, Pauline, mais elle va se méfier.

L’infirmière fit la grimace. Il fallait trouver un autre moyen. Thomas commenta en grognant :

— Même quand on ne les élève pas, les enfants, c’est beaucoup de soucis.

— Docteur, j’ai peut-être une idée, mais vous allez devoir me faire confiance…

24

Lorsque le dimanche de la brocante arriva, l’infirmière était prête, mais pas le docteur.

— Pauline, je ne le sens pas du tout. Pardonnez-moi. Je sais que vous faites cela pour m’aider mais sous toutes les latitudes où j’ai séjourné, votre idée tordue s’appelle un plan foireux.

— Quelle déception ! Moi qui vous voyais comme un héros… L’homme qui sauve des vies à l’autre bout du monde, celui qui peut vous accoucher des triplés dans une pente à 45° avec un blizzard à décoiffer une vache, le mâle qui s’est pris une balle en faisant coucou à un gamin et qui met des pulls flashy pour passer inaperçu. Et là, pour une petite brocante de rien du tout, c’est la grande dégonflette ?

— Vous vous foutez encore de moi ?

— Comment pouvez-vous imaginer une chose pareille ? De toute façon, les dés sont jetés. On n’a plus le temps pour le pessimisme. En plus, il fait beau. Montez, on n’attend plus que vous.

— Comment avez-vous obtenu ce minibus ?

— Il a fallu que je couche avec une dizaine d’hommes et que je vende un rein.

— Vous êtes folle. Je comprends pourquoi l’autre directeur ne voulait pas que vous emmeniez les résidents au supermarché. En plus, les vaches n’ont pas de cheveux.

— C’est marrant, dès que vous êtes stressé, vous prenez tout au premier degré. Vous surréagissez. Comme lorsqu’il s’agit d’Emma.

Thomas lui fit vivement signe de parler moins fort et fronça les sourcils.

— Comment ça, je surréagis ?

— Regardez-vous. Un vrai jeune père. Sauf que votre bébé a presque vingt ans. Pour le minibus, j’ai simplement demandé à mon voisin de me prêter le véhicule de son association. Lui qui transporte des handicapés à longueur d’année a très bien compris que je veuille promener nos séniors.

L’infirmière tourna la clé de contact. Thomas passa à l’arrière du véhicule avec les résidents.

— Tout le monde a bouclé sa ceinture ? demanda Pauline.

Un « oui » général retentit dans l’habitacle. Une vraie colonie de vacances. Aucun des pensionnaires ne s’était fait prier pour venir.

— Ça me rappelle quand je partais en voyage avec mes parents ! commenta Chantal.

— Moi aussi ! s’enthousiasma Francis. Mademoiselle Choplin, je peux vous appeler « maman » ?

— Même pas en rêve.

Thomas se pencha vers la conductrice.

— Que leur avez-vous raconté ?

— Le strict minimum. On part se balader, on fait une blague à une jeune fille, on pique-nique et on rentre. Vous avez l’argent liquide ?

— Bien sûr.

— Je crois que c’est le moment de le leur distribuer. La situation est amusante, vous ne trouvez pas ? On se croirait dans un film pendant la guerre froide avec des espions qui partent en mission. On a même un colonel. Et des agents du « mon dentier » !

L’infirmière éclata de rire à sa propre blague. Le docteur secoua la tête. Pourvu que l’expédition ne tourne pas à la mission suicide… Il se glissa entre les sièges et s’installa à l’arrière avec ses troupes.

Le minibus s’éloigna du foyer en direction de la sortie de la ville. Chantal regardait à l’extérieur avec un sourire béat. Même Hélène, pourtant peu encline à se réjouir, était excitée comme une gamine. Francis prit la parole :

— Quelles sont nos instructions, doc ?

— Une fois à la brocante, Pauline va vous désigner une jeune fille qui a des articles variés à vendre. Chacun à votre tour, vous irez lui acheter ce qu’elle propose. Le jeu consiste à récupérer le maximum d’objets. Peu importe ce que c’est. Il ne doit rien lui rester. Est-ce clair ?

Les membres du groupe hochèrent la tête. Chantal leva la main comme une élève qui veut poser une question.

— On lui achète ou on lui vole ? Parce que moi je n’ai pas un sou sur moi…

— J’y viens, répondit Thomas en sortant une liasse de billets de son blouson.

Jean-Michel émit un sifflement impressionné.

— Dites donc, y en a pour un paquet…

— Vous êtes riche ? demanda Françoise, directe comme à son habitude.

— Pas vraiment, mais pendant quinze ans, j’ai été payé alors que je ne dépensais rien. Alors j’ai un peu de côté.

— Pourquoi est-ce vous qui financez cette blague ? s’enquit Francis.

— Pour faire plaisir à quelqu’un que j’aime beaucoup.

Thomas distribua des petits tas de billets à chacun. Francis les glissa dans sa poche, Jean-Michel les vérifia un à un dans la lumière pour s’assurer qu’ils étaient vrais, Hélène les rangea dans son sac et Chantal les conserva à la main.

— Vous n’avez pas gardé d’argent pour vous ? interrogea Françoise. Vous ne comptez pas venir avec nous, docteur ?

Thomas ne sut que répondre. Pauline vola à son secours.

— Il doit rester pour garder le minibus. On en est responsables et il faut y faire très attention.

À cette heure matinale, la route était dégagée. Pauline emprunta la rocade et choisit de passer par la campagne pour que le trajet soit plus agréable. Au-delà de la plaine agricole, au pied des monts, la route longeait une immense forêt. Jean-Michel fut littéralement fasciné lorsqu’il aperçut des chevaux dans un champ. Il se redressa et appuya ses mains sur la vitre comme le font les enfants. Hélène regardait le ciel à s’en brûler les yeux. Thomas, lui, restait concentré sur la route. Il nota avec soulagement qu’au volant de ce véhicule, l’infirmière se montrait beaucoup plus prudente qu’en conduisant sa propre voiture.

Le centre du village où se déroulait la manifestation était interdit à la circulation. Pauline gara le minibus derrière la mairie et, avec le docteur, aida les pensionnaires à descendre. Le petit groupe trottina vers l’église devant laquelle se déroulait la brocante.

Arrivé à l’angle de l’édifice, Thomas proposa aux résidents de faire une pause sur un banc. Discrètement, il ouvrit son sac à dos et montra une nouvelle fois les photos d’Emma à Pauline.

— S’il vous plaît, veillez à ce qu’ils achètent tout, peu importe l’état. Qu’ils me ramènent leurs achats ici, et je les porterai jusqu’au minibus.

— Vous allez rester à regarder de loin ? Ça va aller ?

— J’ai malheureusement l’habitude de voir ma fille à distance…

Thomas sortit une paire de jumelles de son sac et les montra à l’infirmière.

— Je l’observerai avec ça.

— Et c’est moi que vous traitez de folle…

Thomas se tourna vers les résidents qui s’étaient déjà remis debout, prêts à passer à l’action.