— Je vous remercie vraiment de votre aide. Je compte sur vous. Si vous vous sentez fatigués, ne forcez pas.
— On peut y aller ? demanda Francis.
— Go pour le parachutage, Colonel, et souvenez-vous, ceci n’est pas un exercice.
En les voyant toutes et tous se précipiter vers la brocante comme des affolés en claudiquant, Thomas ne savait pas s’il devait rire du tableau, ou s’inquiéter du résultat.
25
Sur sa portion de trottoir, Emma achevait de mettre en place tout ce qu’elle espérait vendre. Venue lui prêter main-forte pour tenir son stand, son amie Noémie étudia le ciel en plissant les yeux :
— On aurait dû prévoir la crème solaire, ça va taper aujourd’hui.
Elles étaient installées entre un collectionneur de cartes postales et une femme qui proposait des dizaines de paires de chaussures d’occasion. Emma se pencha sur une caisse pour en sortir ses dernières babioles. Noémie lui donna soudain un léger coup de coude.
— Tu les as vus ceux-là ? fit-elle en désignant le petit groupe de personnes âgées qui approchait. On dirait une attaque de zombies dans le jeu vidéo de mon frère !
— Ils profitent du beau temps tant que la foule n’est pas là. Ils ont bien raison.
— Ils arrivent droit sur nous. Si ça se trouve, on est sur le trajet de retour vers leur maison de retraite et comme ils ne voient plus rien, ils vont nous piétiner !
Emma étouffa un rire. Francis arriva le premier devant l’étalage. Il se planta les mains sur les hanches et observa ce qui était proposé.
— Bonjour, monsieur ! lança Emma, enjouée.
— Bonjour, jeune fille. Combien fait cette poupée ?
— Cinq. Mais si vous voulez, je vous la cède à deux.
— Et avec les trois peluches à côté ?
— Dix pour le tout, ça vous va ?
— Vendu.
Françoise arriva la seconde, essoufflée et contrariée de s’être fait griller au poteau par le Colonel. Après un rapide coup d’œil, elle fit d’un ton décidé :
— Bonjour, mademoiselle. Je vais vous prendre la petite voiture verte, la dînette et les jeux de société.
Emma et son amie se regardèrent, incrédules.
— Bien, madame.
Sur la place de la brocante encore calme, le petit attroupement devant le stand d’Emma se remarquait. La vendeuse de chaussures et de nombreux autres exposants, qui eux n’avaient personne, se demandaient ce que pouvait proposer la demoiselle pour provoquer une telle ruée.
Francis paya et repartit vers l’église.
— Merci bien, jeune fille !
D’une main tremblante, Jean-Michel désigna un petit château de princesse en plastique aux toits pointus et aux couleurs pastel.
— Je vais vous le prendre, s’il vous plaît. Est-il vendu avec tous ses personnages ?
Emma regarda l’objet avec tendresse.
— Oui. Il ne manque que le prince, que mon chien a mangé quand j’étais petite. Je vous le laisse à quinze si vous êtes d’accord.
Jean-Michel eut un sourire ravi. Chantal s’interposa :
— Moi, je vous en offre vingt !
— Pour le château ?
— Oui, avec tous les personnages. Je le veux.
Jean-Michel toisa sa concurrente et exhiba ses billets.
— Je vous en donne trente et faites-moi confiance, vous ne trouverez pas meilleur client que moi. Beaucoup d’objets m’intéressent !
— Eh bien, vous n’avez qu’à prendre autre chose, protesta Chantal, parce que je veux ce château !
Emma assistait à l’échange sans savoir à qui tendre le jouet qu’elle avait entre les mains. Rien qu’en le touchant, beaucoup de souvenirs lui revenaient. Elle avait passé des heures à faire vivre d’incroyables aventures à la petite princesse dont la peinture du bord de la jupe était aujourd’hui usée. Elle lui faisait dévaler les escaliers en collant ses yeux aux fenêtres pour la suivre au plus près. À présent, la princesse semblait minuscule dans sa grande main. Si un jour on lui avait dit qu’un papi et une mamie se chamailleraient pour la lui acheter…
— Cinquante ! s’énerva Jean-Michel, qui emporta le lot.
Emma lui tendit son château. Déçue, Chantal se consola en achetant la ferme, tous ses animaux, ses engins et une poupée avec toute sa garde-robe.
Noémie glissa discrètement à Emma :
— Regarde autour, personne ne vend rien. Ils sont tous chez nous ! C’est du délire…
Hélène héla Emma :
— Excusez-moi, mademoiselle, je voudrais vous acheter tout ce qui a trait aux chats. Les peluches là-bas, les figurines aussi, et puis le petit t-shirt, s’il vous plaît.
Tout allait si vite qu’Emma avait du mal à suivre.
— Je vous les mets dans un sac, le tout pour vingt, si cela vous convient.
— Ce n’est pas cher, rajoutez-moi donc les jolis bibelots alignés là-bas. Si je vous en donne quarante pour le tout ?
Emma n’en espérait pas tant. Devant l’air effaré de son amie, Noémie se détourna pour rire. À peine Hélène était-elle repartie que Francis revenait.
— J’ai bien réfléchi, annonça-t-il. Je crois que je vais vous prendre tous vos DVD et vos CD.
— Vous êtes sûr ? Vous ne voulez pas regarder ce qu’il y a d’abord ? demanda Emma, stupéfaite.
— Je suis certain que c’est très bien. À combien me faites-vous le lot ?
Emma se demandait ce que le respectable monsieur allait bien pouvoir faire des compilations de chansons enfantines ou des films à l’eau de rose…
— Je vais être franche, avoua-t-elle, j’espérais en tirer cent au total, mais en cumulant les ventes au détail… Si vous me prenez le tout, je vous les laisse à moitié prix et je vous offre les caisses de rangement avec.
— D’accord pour cent, ne rognez jamais vos ambitions, jeune fille. La vie et les filous se chargeront bien de vous les raboter.
— Merci, monsieur. Pour l’argent et pour le conseil.
Françoise attrapa Noémie par la manche.
— Puis-je m’adresser à vous pour acheter certains articles ? Je souhaite acquérir tous les livres. Et les posters aussi. Vous voulez bien ?
— J’en connais une qui va être contente. Emma ? appela-t-elle. Pour les livres et les posters, combien ?
— La totalité ?
— Oui ! Tout ! répondit Françoise avec conviction.
— Je ne sais même plus combien j’espérais en tirer. Vous me prenez de court. Disons cinquante.
— Mon enfant, à vue de nez, cela fait moins de pièces qu’il n’y a de livres. J’en vois au moins quatre-vingts et certains sont des classiques. Je vous en propose cent.
Noémie pouffa et Emma écarta les mains en signe d’impuissance.
— Je ne vais pas vous dire non, c’est très généreux de votre part. Tout ça est incroyable…
L’étal se vidait à vue d’œil. Discrètement, Pauline faisait des allers-retours jusqu’à Thomas avec les lots les plus lourds.
Lorsque Chantal revint, au grand dam des autres exposants, il ne restait presque plus rien sur l’étal d’Emma, à part des vêtements et un petit bureau. La vieille dame aux cheveux bleus demanda à Francis :
— Je prends les habits et tu t’occupes du meuble ?
— Entendu.
L’affaire fut vite conclue. Hélène fit un dernier passage et rafla les fonds de caisse et tout ce qui avait échappé à ses compagnons — quelques bandes dessinées, une poignée de petits jouets et des affaires de bureau.
Lorsque Pauline embarqua le dernier carton, Noémie et Emma se retrouvèrent devant leur emplacement vide, un peu gênées par les regards que leur lançaient les autres vendeurs. En moins d’une demi-heure, elles avaient liquidé tout leur stock. En regardant la dernière petite dame disparaître au coin de l’église, Emma souffla. Elle était épuisée. Son amie, pensive devant l’étal vide, lui demanda :