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— Et depuis ?

— Rien de mémorable… C’est compliqué d’en parler, je n’ai pas l’habitude.

— Moi non plus. Mes meilleures amies sont toutes des larguées ou des divorcées, alors on ne se tartine pas l’historique de nos échecs à longueur de soirée.

Le serveur revint sur la pointe des pieds.

— Êtes-vous prêts à commander ?

— Pour moi, ce sera un filet de dorade, avec son pesto de basilic et sa ratatouille, s’il vous plaît.

— Même chose, enchaîna Thomas sans même avoir regardé la carte.

— Vous auriez dû prendre un autre plat. On aurait pu chacun goûter ce que l’autre avait pris.

— J’ai perdu l’habitude de choisir au restaurant. Je n’y comprends jamais rien. En fait, je m’en fiche. Et je ne supporte pas que l’on pioche dans mon assiette.

— Je comprends mieux pourquoi je vous trouvais un faux air d’Attila. Ouaf ! Pas touche à ma gamelle !

Le garçon toussa pour rappeler sa présence.

— Pour la boisson ?

— Que nous conseillez-vous ? demanda le docteur.

— Un saint-véran serait parfait.

— Nous vous faisons confiance.

Une fois le serveur reparti, Pauline se pencha vers le docteur.

— Vous n’envisagez pas de nous faire boire, docteur ?

— Quelle intention me prêtez-vous ? De plus, puisque nous en sommes aux confidences, je dois vous avouer que je suis bien plus entreprenant à jeun.

Cette fois, ce fut Pauline qui rougit.

Ils dînèrent en évoquant les missions de Thomas, Théo, les résidents, et le genre d’homme que Pauline aurait bien aimé rencontrer. Plusieurs fois, Thomas se dit que la description du prince charmant en attente de livraison pouvait lui correspondre. Était-ce parce qu’il ressemblait vraiment au portrait brossé, ou parce que Pauline s’arrangeait pour que ses « préférences » rappellent certains de ses traits, ou encore parce qu’il espérait pouvoir se glisser dans le costume ? Trop de questions. Un cerveau d’homme ne peut jamais suffire à répondre aux problèmes que les femmes soulèvent.

Arrivés au dessert, ils en étaient à rire de ce qu’ils avaient vécu de pire. Thomas jubilait en racontant qu’il avait failli crever noyé dans un puits empoisonné par des rebelles, et avait perdu près de deux litres de sang après s’être battu sous une tente avec une belette.

Pauline était hilare en se remémorant s’être fait larguer le soir de son vingt-cinquième anniversaire. Toute contente, elle raconta qu’ivre de colère, elle avait bombardé son ex tout neuf avec les objets qu’il lui avait offerts durant leur liaison et qu’encore une heure plus tôt, elle adorait épousseter avec émotion. Balancés avec rage du troisième étage pendant qu’il démarrait sa moto au pied de l’immeuble, les bibelots s’étaient alors transformés en missiles à tête de nœud. On devrait toujours envisager les cadeaux que l’on fait en tant que projectiles. Personne ne sait comment les choses tourneront. S’il avait réfléchi sous cet angle, le gugusse qui espérait fuir en grosse cylindrée n’aurait sans doute jamais offert un lama en terre cuite de près de trois kilos qui pulvérisa son feu arrière. Fort de ce premier succès balistique, Pauline avait ensuite récidivé en réussissant à l’atteindre au casque avec une immonde boule à neige de New York qui avait explosé.

Le docteur et l’infirmière se livraient à une séance qui aurait poussé le plus aguerri des psychiatres à la démission après l’avoir fait tomber dans les pommes. L’excellent bourgogne était en grande partie responsable de la réjouissante relecture de leurs épisodes peu glorieux.

Pauline essuya une larme de rire.

— Avez-vous remarqué ? fit-elle sur le ton de la réflexion. Vos horribles mésaventures mettent en jeu la vie et la mort alors que les miennes ne sont que des peines de cœur.

— Vous avez aimé beaucoup de monde alors que je n’en ai jamais eu le courage. Avec le recul, je crois que risquer son cœur est plus dangereux que risquer sa peau.

La remarque troubla Pauline qui, pour donner le change, consulta sa montre.

— Quel dommage, il est déjà tard et je dois récupérer mon garçon avant 23 heures…

— Vous gagnerez du temps si vous y allez directement sans me raccompagner. Je vais rentrer à pied. Je ne suis vraiment pas pressé d’arriver à la résidence…

— Le papa est inquiet pour sa fille ?

— Inquiet, non. Mais j’ai tellement peur qu’elle soit déçue de la vie, ou de Romain…

— Je comprends ce que vous ressentez pour Emma. J’ai moi aussi peur pour Théo. Pas de la même façon, bien sûr, mais les craintes ne me quittent jamais. C’est la triste condition de parent !

Pauline marqua une pause et, sur un ton moins enjoué, ajouta :

— J’aurais aimé avoir un père qui s’inquiète pour moi autant que vous le faites pour votre fille.

Elle hésita à le regarder mais finit par oser lui dire :

— Vous savez docteur, vous êtes maladroit, vous ne savez pas vous habiller, vous avez l’air d’être né la semaine dernière tant vous êtes inadapté à notre monde, mais vous me bouleversez. Quand je vois tout ce que vous faites, tout ce que vous tentez, tout ce que vous espérez, je me dis que ceux qui comptent pour vous ont énormément de chance.

Il y eut brusquement un nouveau lâcher d’émotions dans l’esprit de Thomas. Cette fois, même si quelques-unes galopaient encore, beaucoup grimpaient et se balançaient aux arbres pendant que d’autres pondaient des œufs et creusaient des terriers en poussant des cris ridicules.

« Votre robe vous va à ravir. » C’est tout ce qu’il réussit à lui répondre. Pas évident d’être un homme.

Ils retournèrent jusqu’à la voiture en passant par la place devant l’école d’infirmières. Thomas tenait à saluer d’une caresse le petit chat gravé dans l’écorce qu’il ne voyait plus si souvent et qui lui manquait.

79

« Mon cher Kishan,

« J’espère que tu vas bien et que les travaux d’agrandissement de ta maison se déroulent comme tu veux. Creuser dans la montagne ne doit pas être facile, mais au moins, ce sera solide ! Je suis impressionné que tes fils t’aident malgré leur jeune âge. À eux et à toi, je souhaite beaucoup de courage.

« Pour une fois, j’ai moi aussi bien des choses à te raconter. M. Ferreira est enfin rentré de l’hôpital. Tout le monde l’attendait avec impatience. Il n’avait même pas franchi la porte d’entrée que Chantal — notre résidente qui est toute petite et fait des choses bizarres — s’est collée à lui en le serrant dans ses bras. Ainsi accrochée à lui, elle si minuscule et lui si grand, elle ressemblait à une enfant. Le plus surprenant, c’est que Jean-Michel n’a pas bronché, il s’est laissé étreindre aussi longtemps que Chantal l’a voulu.

« Pauline avait préparé beaucoup de gâteaux au citron. Les résidents se sont installés dans le salon, et ont parlé des heures, comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis des mois. Ils étaient heureux ensemble. Après avoir redouté le pire, ils se retrouvaient au complet. Je crois que pour chacun, le retour de Jean-Michel a représenté une sorte de victoire sur la mort. Cela m’a rappelé la fois où Amrish avait survécu à l’éboulement du remblai de la route haute. Te souviens-tu de cette fête qu’on avait improvisée au coucher du soleil ? C’était pareil ici, sauf que personne n’a sauté aussi haut, ni bu autant.

« Le soir du retour de M. Ferreira, personne n’a regagné sa chambre pour regarder la télé, et lorsque Pauline a pris congé pour aller rejoindre son fils, tous lui ont fait la bise. Du coup, moi aussi. C’était la première fois. Je crois que j’ai rougi, mais heureusement, tu n’étais pas là pour te moquer de moi !