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— Que s’est-il passé ?

— J’ai tout foiré.

Pauline assistait à la scène sans savoir quoi faire. Le jeune homme se mit à hoqueter. Le docteur le redressa pour l’aider à respirer.

— Romain, respirez calmement, tout va bien. Dites-moi ce qui vous a mis dans cet état-là.

— C’est Emma, j’ai fait le con. J’ai merdé avec Emma.

Pauline croisa le regard de Thomas. Elle ne l’avait jamais vu ainsi.

— Docteur…

— Laissez-nous, s’il vous plaît. Ne vous inquiétez pas.

— Vous n’allez pas…

— Ni le tuer, ni m’habiller en femme, ne vous en faites pas.

— Si vous avez besoin de moi, j’attends en bas…

Le docteur ne répondit pas.

83

L’idée de lui coller une grande baffe traversa l’esprit du docteur. À plusieurs reprises.

Les deux hommes étaient assis face à face à la table de Romain. Le docteur dégoulinait et son locataire, un drap de bain sur les épaules, frissonnait.

— Pourquoi, bon sang, pourquoi ?

— J’en sais rien. C’est arrivé comme ça. Il faut dire que l’autre bombasse m’a bien chauffé, aussi.

Le docteur avait du mal à contenir sa colère. L’infidélité de Romain faisait voler beaucoup de ses espoirs en éclats.

— Comment Emma l’a-t-elle appris ?

— Une de ses copines de l’école d’infirmières était à la fête et lui a tout raconté.

Le jeune homme se prit la tête entre les mains.

— J’ai essayé de l’appeler pour m’expliquer, mais elle ne décroche plus. Elle a dit à ses copines qu’elle ne voulait plus jamais entendre parler de moi. C’est mort.

— Petit con.

Romain releva le visage, surpris.

— Vous n’êtes pas obligé de m’insulter. En général, on ne sauve pas la vie des gens pour les piétiner ensuite.

— Est-ce que tu te rends compte de ce que tu bousilles ? Juste pour une montée d’hormones ?

— J’aurais bien voulu vous y voir…

— J’ai eu ton âge, mon garçon, et je suis muni du même équipement. Mais j’avais autre chose en tête que faire l’abruti à des fêtes dont il ne reste jamais rien de bon.

— Allez-y, lâchez-vous. Sortez-moi le couplet du vieux sage et du petit branleur. Je ne sais pas dans quel monde vous avez vécu, docteur, mais ici, ce genre de chose arrive tous les jours. Je ne dis pas que j’ai eu raison, mais je ne suis pas le seul. Si Emma ne veut plus de moi, tant pis. Si elle ne veut pas me pardonner, tant pis. Ce n’est pas la fin du monde.

— T’as quand même voulu te foutre en l’air.

— Et alors ? Je fais ce que je veux !

Romain frappa du poing sur la table, qui portait déjà les stigmates de sa rage de la nuit. Son accès de colère évacué, il s’effondra la tête entre les bras.

Le docteur fit glisser sa chaise pour venir s’asseoir près de lui.

— Désolé, je ne voulais pas te blesser. Je me doute que la situation est atroce pour toi, mais elle n’est pas facile pour moi non plus. Cela me rappelle un peu mon histoire. On espère toujours que ceux qui viennent après ne referont pas les mêmes erreurs… Je vous aime bien tous les deux, vous faites un beau couple.

— Peut-être, fit amèrement Romain, mais c’est fini. Le petit couple vient d’exploser en vol.

Thomas fut tenté de poser sa main sur l’épaule de Romain, mais s’abstint.

— Elle est en colère, elle se sent trahie. Logique. Mets-toi à sa place. Avec un peu de temps, elle doit pouvoir relativiser…

— Vous ne la connaissez pas.

— Un peu quand même.

— Quand elle a décidé un truc, elle s’y tient.

— Tu as raison, mais c’est aussi une affective, et elle est attachée à toi.

— Elle me remplacera. Et je la comprends.

— Pas évident. Votre histoire était sérieuse pour elle.

Romain se redressa.

— D’où savez-vous cela ?

— Elle me l’a dit. Elle tenait à toi, de plus en plus.

Le jeune homme reçut l’information comme un coup de poing.

— Elle vous a confié autre chose ?

— Pas vraiment, mais je vous ai observés tous les deux…

Thomas s’interrompit par peur d’en dire trop.

— Vous avez raison, je suis vraiment un petit con. Le prochain coup, je ne me louperai pas.

— Avant de te détruire, essaie de vous sauver.

84

— Qu’ils soient de notre sang ou pas, on s’en fait toujours pour nos petits, déclara Jean-Michel. Finalement, d’une façon ou d’une autre, chacun de nous aura eu des enfants.

— Même Chantal ? s’étonna Thomas.

— Quand elle était très jeune, elle a eu une fille, qui a été emportée par une maladie. J’ignore laquelle. Elle n’en a parlé qu’une fois. Je crois que c’est sa photo qu’elle garde sur sa commode.

Désemparé par ce qu’avait fait Romain, Thomas s’était tourné vers les deux seuls « pères » qu’il connaissait assez pour leur parler franchement. Il avait besoin de réponses. Face à lui, Francis et Jean-Michel n’avaient pas envie de plaisanter. Sur de très rares sujets, les hommes savent aussi être sérieux.

— Vous savez, doc, si l’un de mes bleus s’était retrouvé dans la situation du gamin, je lui aurais conseillé de s’excuser. C’est la base. Les gens demandent rarement pardon poussés par leur conscience, mais parce qu’ils ont intérêt à sauver le coup. Les humains ne renoncent pas souvent à leur fierté. Il faut qu’ils aient un intérêt plus grand à la faire taire qu’à tout lui sacrifier. Seuls les moins stupides comprennent que l’orgueil n’est jamais l’allié du bonheur. Plus celui ou celle qu’ils ont blessé compte pour eux, plus ils sont prêts à étouffer leur amour-propre pour préserver le futur. Si Romain l’aime vraiment, il se bougera, et je vous parie que la petite sera heureuse de l’entendre.

Jean-Michel approuva d’un hochement de tête.

— Je n’ai eu qu’un fils, docteur. J’ai essayé de lui apprendre tout ce que je savais. Mais ce n’est pas parce qu’un enfant est de votre sang qu’il réagit comme vous. Mon fils est bien plus intelligent que moi, mais il a toujours fait n’importe quoi avec les femmes. La moindre paire de seins l’empêche de réfléchir. Je crois qu’il en souffre. Il faut espérer que Romain prendra la bonne décision. Votre position n’est pas simple. Tout ce que vous avez fait pour ce jeune homme était destiné à aider votre fille, n’est-ce pas ?

— Je n’ai jamais voulu me servir de lui.

— Alors il faut lui dire ce que vous croyez comme s’il était votre fils, et accepter ce qu’il fera comme s’il était un ami.

85

À peine le docteur eut-il franchi le mur d’enceinte de l’usine qu’Attila se mit à aboyer en s’élançant à sa rencontre. Dans sa course, l’animal prenait de plus en plus de vitesse, allongeant des foulées puissantes qui soulevaient ses babines et laissaient entrevoir ses crocs étincelants. Thomas avait beau savoir que les intentions du chien étaient amicales, il lui fallut quand même une grande maîtrise de lui-même pour ne pas céder à la panique et aux visions épouvantables qui hantaient encore son esprit. Il se cramponna, non sans fierté, à l’idée que les chats, pourtant désormais habitués au même accueil enthousiaste, ne faisaient pas preuve de son stoïcisme et s’enfuyaient pour ne revenir qu’une fois la bête calmée. L’animal déboula et, emporté par son élan, le dépassa en le frôlant. Pendant qu’Attila lui faisait la fête en sautant tout autour de lui, Thomas leva les mains comme un soldat cerné par l’ennemi. Lorsque le chien s’apaisa enfin, il s’aventura à lui caresser le dos d’un geste maladroit et s’en félicita. Pourquoi se priver du plaisir simple des petites victoires remportées sur soi-même ?