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Depuis le poste de garde dont toutes les lumières avaient été éteintes, Thomas, Francis et Jean-Michel surveillaient l’entrée de l’usine pendant que, dans la pièce du fond, Michael tentait de calmer son chien. À l’image de son maître, l’animal était sur les nerfs. Les hommes avaient passé la journée à se préparer au pire. Avec la tombée de la nuit, leur esprit combatif s’était teinté d’appréhension.

Les projecteurs éclairaient le parvis d’une lumière rasante et crue. Sur l’esplanade qui séparait la grille d’entrée du local où ils étaient postés, les quatre comparses avaient disposé des obstacles destinés à ralentir leurs assaillants. Dans le local lui-même, ils avaient accumulé tout ce qui pouvait leur servir d’arme, de bouclier ou de projectile. En cas de danger extrême, la petite fenêtre des toilettes pouvait constituer une voie de retraite vers le labyrinthe des ateliers situés à l’arrière. Si tous avaient envisagé cette éventualité, personne n’en avait parlé.

Jean-Michel jeta un œil par le carreau cassé.

— Cette scène me rappelle un western. Une poignée de fermiers tentent de protéger une hacienda contre une bande de bandits sans foi ni loi qui veulent mettre la main sur leurs terres. Ils n’ont que leurs fourches et quelques bâtons pour se défendre contre des brutes violentes. Les femmes sont réfugiées dans la chapelle d’à côté et la cavalerie refuse de venir défendre ces contrées qui ne dépendent pas de leur juridiction. Tout comme nous…

— S’il te plaît, coupa Francis, ne nous raconte la fin que si ça se termine bien.

— Alors mieux vaut ne pas vous en parler… Mais sachez que ces modestes cultivateurs devinrent des légendes dans tout l’Ouest et que leur sacrifice donna au pays entier la force de se libérer.

— Tu ne connaîtrais pas une version dans laquelle les paysans mettent une bonne grosse pâtée aux voyous ?

— Aucune.

— Merci de ton soutien, Jean-Michel.

Thomas passa la tête dans la chambre de Michael. Le jeune homme, assis sur son lit, s’efforçait de paraître calme et résolu, mais sa crainte se percevait malgré tout. Le chien avait posé sa tête sur sa cuisse.

— Comment vous sentez-vous ?

— L’idée de chanter devant dix mille personnes les yeux ouverts me ferait moins peur.

— Je saurai vous le rappeler en temps utile. Vous auriez dû rester à la résidence…

— Et vous laisser vous battre seuls pour défendre le site que je suis censé protéger ?

Le docteur n’insista pas.

— Vraiment aucune idée de leur nombre ? demanda-t-il.

— J’étais paniqué. Je n’ai pas pensé à compter, mais au moins une dizaine.

— Comme dans mon western ! commenta Jean-Michel.

Francis réagit :

— Dommage qu’on n’ait pas su plus tôt qu’ils allaient attaquer, on aurait pu s’acheter des sombreros mexicains comme dans ton film. J’en ai eu un quand j’étais gosse. Mes parents me l’avaient rapporté d’un voyage en Amérique. J’avais fière allure avec. Je ne sais pas ce que ça donnerait aujourd’hui…

Jean-Michel ajouta :

— Pour Noël, une fois, on a offert un déguisement de Winnie l’Ourson à notre fils. Je l’avais essayé.

— Sérieusement ? Tu veux défendre une hacienda déguisé en Winnie l’Ourson ? Remarque, c’est peut-être une excellente façon de devenir une légende de l’Ouest…

Jean-Michel balaya la remarque d’un revers de main méprisant. Thomas sortit soudain son « arme » et s’entraîna à viser. Francis le jaugea d’un œil ironique.

— Notre pacifiste a donc emprunté l’un des pistolets de Théo…

— De loin, rien n’indique qu’il ne lance que de l’eau, répliqua le docteur. Vous vous êtes vu, avec votre fusil sans cartouches ?

Francis s’approcha du docteur et lui souffla :

— Je vais vous confier un secret, mon garçon : ce n’est pas l’arme qui fait l’homme.

Chacun reprit sa surveillance en silence. Le temps passait lentement. Sans quitter le parvis des yeux, Francis finit par murmurer :

— Doc, vous souvenez-vous du soir où vous nous avez demandé ce que nous attendions encore de la vie ?

— Très bien.

— Votre question me tourne dans la tête depuis. Finalement, je crois que c’est vous que j’espérais. Partir pour le grand voyage avant de vous rencontrer aurait été dommage. Je n’ai jamais vu quelqu’un se foutre autant que vous dans des plans foireux, mais j’aime vraiment ça. Si ces petits cons me pètent mon bridge, vous m’aiderez à remplir la déclaration pour la mutuelle ?

— Excusez-moi, messieurs, coupa Jean-Michel, mais j’aperçois du mouvement à la grille.

Un deux-roues venait de se garer devant l’entrée. Francis plissa les yeux et lâcha :

— Gentlemen, nos visiteurs sont là.

93

La première moto fut bientôt rejointe par une demi-douzaine d’autres. La bande mit pied à terre. Avec l’agilité de leur âge, les jeunes gens escaladèrent facilement la grille de l’usine. Ils riaient déjà.

— J’en compte neuf, annonça Thomas à voix basse.

— Il faut découvrir qui est le meneur du groupe, murmura Francis. Si on le neutralise, les autres seront désorganisés et fragilisés.

La horde s’avança sur l’esplanade et s’amusa des obstacles dérisoires placés sur leur chemin. À coups de pied, ils firent tomber les assemblages de tôles et de grillage. Trois d’entre eux traînèrent une imposante pièce métallique hors du passage.

— Petits gredins…, grogna Jean-Michel. Regardez avec quelle aisance ils la déplacent alors qu’on a eu tant de mal à l’amener.

Le raclement sur le béton résonna dans la nuit. Attila se mit à japper.

— Tu es là, gardien ? lança l’un des casseurs.

Silence.

— Tu ne réponds pas ? Ton chien, lui, ouvre sa gueule ! Aurait-il plus de courage que toi ?

Francis glissa à ses comparses :

— Foulard noir, veste en jean. Sans doute leur chef. Ne le perdez pas de vue.

L’un des jeunes ramassa une barre de fer qu’il s’amusa à traîner sur le sol. Attila aboya de plus belle.

— On t’avait dit qu’on reviendrait. On a tenu parole. On t’avait promis qu’on mettrait le feu et on va le faire aussi ! Si tu ne veux pas griller comme un rat dans son trou, je te conseille de te sauver et d’abandonner la place !

— Dégage ! hurla un autre garçon d’une voix aiguë.

Francis se tourna vers ses compagnons.

— Je vais sortir. N’intervenez que si je suis à terre. Compris ?

Le Colonel n’attendit pas la réponse. Il glissa son fusil dans son manteau et ouvrit la porte. Sa silhouette se dessina dans la clarté des projecteurs.

D’un pas mesuré mais décidé, il s’avança sur le parvis. Les assaillants, aveuglés par la lumière, ne comprirent pas immédiatement qu’il ne s’agissait pas de leur souffre-douleur habituel.

— Te voilà donc, gardien.

— Messieurs, vous êtes sur une propriété privée. Si vous ne voulez pas de problèmes, partez immédiatement.

— Regardez ça, les gars ! Ils nous ont envoyé Terminator. Où est l’ancien vigile ? Mort de trouille ?

Les autres ricanèrent.

— Évitons les ennuis. Vous n’avez rien à faire ici. Rentrez chez vous.

Francis avançait régulièrement. Le contre-jour lui offrait l’opportunité de paraître jeune et intimidant. Il s’efforçait d’avoir une démarche stable et plus assurée que d’habitude.

Derrière le meneur, un complice alluma la mèche en tissu d’une bouteille remplie d’un liquide. Francis avait déjà vu cela des centaines de fois lors des entraînements. Thomas aussi, pendant des émeutes. Le Colonel ne changea ni de direction ni d’allure.