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II

L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs.

III

Quelque découverte que l'on ait faite dans le pays de l'amour-propre, il reste bien encore des terres inconnues.

IV

L'amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde.

V

La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie.

VI

La passion fait souvent du plus habile homme un fol, et rend quasi toujours les plus sots habiles.

VII

Les grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux sont représentées par les politiques comme les effets des grands intérêts, au lieu que ce sont d'ordinaire les effets de l'humeur et des passions. Ainsi la guerre d'Auguste et d'Antoine, qu'on rapporte à l'ambition qu'ils avaient de se rendre maîtres du monde, était un effet de jalousie.

VIII

Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours. Elles sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles; et l'homme le plus simple que la passion fait parler persuade mieux que celui qui n'a que la seule éloquence.

IX

Les passions ont une injustice et un propre intérêt qui fait qu'il est dangereux de les suivre, lors même qu'elles paraissent les plus raisonnables.

X

Il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l'une est toujours l'établissement d'une autre.

XI

Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires. L'avarice produit quelquefois la libéralité, et la libéralité l'avarice; on est souvent ferme de faiblesse, et l'audace naît de la timidité.

XII

Quelque industrie que l'on ait à cacher ses passions sous le voile de la piété, et de l'honneur, il y en a toujours quelque endroit qui se montre.

XIII

Toutes les passions ne sont autre chose que les divers degrés de la chaleur, et de la froideur, du sang.

XIV

Les hommes ne sont pas seulement sujets à perdre également le souvenir des bienfaits, et des injures, mais ils haïssent ceux qui les ont obligés, et cessent de haïr ceux qui leur ont fait des outrages. L'application à récompenser le bien, et à se venger du mal, leur paraît une servitude à laquelle ils ont peine à se soumettre.

XV

La clémence des princes est souvent une politique dont ils se servent pour gagner l'affection des peuples.

XVI

La clémence, dont nous faisons une vertu, se pratique tantôt pour la gloire, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble.

XVII

La modération, dans la plupart des hommes, n'a garde de combattre et de soumettre l'ambition, puisqu'elles ne se peuvent trouver ensemble, la modération n'étant d'ordinaire qu'une paresse, une langueur, et un manque de courage: de manière qu'on peut justement dire à leur égard que la modération est une bassesse de l'âme, comme l'ambition en est l'élévation.

XVIII

La modération dans la bonne fortune n'est que l'appréhension de la honte qui suit l'emportement, ou la peur de perdre ce que l'on a.

XIX

La modération des personnes heureuses est le calme de leur humeur, adoucie par la possession du bien.

XX

La modération est une crainte de l'envie, et du mépris, qui suivent ceux qui s'enivrent de leur bonheur; c'est une vaine ostentation de la force de notre esprit; et enfin, pour la bien définir, la modération des hommes dans leurs plus hautes élévations est une ambition de paraître plus grands que les choses qui les élèvent.

XXI

La modération est comme la sobriété, on voudrait bien manger davantage, mais on craint de se faire mal.

XXII

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui.

XXIII

La constance des sages n'est qu'un art, avec lequel ils savent enfermer leur agitation dans leur cœur.

XXIV

Ceux qu'on fait mourir affectent quelquefois des constances, de froideurs, et des mépris de la mort, pour ne pas penser à elle, de sorte qu'on peut dire que ces froideurs et ces mépris font à leur esprit ce que le bandeau fait à leurs yeux.

XXV

La philosophie triomphe aisément de maux passés, et de ceux qui ne sont pas prêts d'arriver. Mais les maux présents triomphent d'elle.

XXVI

Peu de gens connaissent la mort. On ne la souffre pas ordinairement par résolution, mais par stupidité et par coutume, et la plupart des hommes meurent parce qu'on meurt.

XXVII

Les grands hommes s'abattent et se démontent à la fin par la longueur de leurs infortunes; cela fait bien voir qu'ils n'étaient pas forts quand ils les supportaient, mais seulement qu'ils se donnaient la gêne pour le paraître, et qu'ils soutenaient leurs malheurs par la force de leur ambition, et non pas par celle de leur âme, enfin, à une grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes.

XXVIII

Il faut de plus grandes vertus, et en plus grand nombre, pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise.