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CCXIV

L'honneur acquis est caution de celui qu'on doit acquérir.

CCXCV

La jeunesse est une ivresse continuelle; c'est la fièvre de la santé, c'est la folie de la raison.

CCXCVI

On aime bien à deviner les autres; mais l'on n'aime pas être deviné.

CCXCVII

Il y a des gens qu'on approuve dans le monde, qui n'ont pour tout mérite que les vices qui servent au commerce de la vie.

CCXCVIII

C'est une ennuyeuse maladie que de conserver sa santé par un trop grand régime.

CCXCIX

Le bon naturel, qui se vante d'être toujours sensible, est dans la moindre occasion étouffé par l'intérêt.

CCC

Ier état – Il est moins impossible de prendre de l'amour quand on n'en a pas, que de s'en défaire quand on en a.

2e état – Il est plus facile de prendre de l'amour quand on n'en a pas, que de s'en défaire quand on en a.

CCCI

Ier état – La plupart des femmes se rendent plutôt par faiblesse que par passion; de là vient que pour l'ordinaire les femmes entreprenantes réussissent mieux que les autres, quoiqu'elles ne soient pas plus aimables.

2e état – La plupart des femmes se rendent plutôt par faiblesse que par passion; de là vient que pour l'ordinaire les hommes entreprenants réussissent mieux que les autres, quoiqu'ils ne soient pas plus aimables.

CCCII

N'aimer guère en amour est un moyen assuré pour être aimé.

CCCII [bis]

L'absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.

CCCIII

La sincérité que se demandent les amants et les maîtresses, pour savoir l'un et l'autre quand ils cesseront de s'aimer, est biens moins pour vouloir être avertis quand on ne les aimera plus que pour être mieux assurés qu'on les aime, lorsqu'on ne dit point le contraire.

CCCIV

Les femmes croient souvent aimer quoiqu'elles n'aiment pas. L'occupation d'une intrigue, l'émotion d'esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d'être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu'elles ont de la passion lorsqu'elles n'ont tout au plus que de la coquetterie.

CCCV

La plus juste comparaison qu'on puisse faire de l'amour, c'est celle de la fièvre; nous n'avons non plus de pouvoir sur l'un que sur l'autre, soit pour sa violence ou pour sa durée.

CCCVI

Ce qui fait que l'on est souvent mécontent de ceux qui négocient, est qu'ils abandonnent quasi toujours l'intérêt de leurs amis pour l'intérêt du fond de la négociation, qui devient le leur par la gloire d'avoir réussi à ce qu'ils avaient entrepris.

CCCVII

Le plus souvent, quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c'est moins par reconnaissance que par un désir habile de faire juger de notre mérite.

CCCVIII

L'approbation que l'on donne à ceux qui entrent dans le monde est bien souvent une envie secrète que l'on a contre ceux qui y sont établis.

CCCIX

La plus grande habileté des moins habiles est de se savoir soumettre à la bonne conduite d'autrui.

CCCX

Il y a des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité que ce serait mal juger que de ne s'y pas laisser tromper.

CCCXI

Il n'y a quelquefois pas moins d'habileté à savoir profiter d'un bon conseil qu'on nous donne, qu'à se bien conseiller soi-même.

CCCXII

Il y a de méchants hommes qui seraient moins dangereux s'ils n'avaient aucune bonté.

CCCXIII

La magnanimité est assez définie par son nom; on pourrait dire toutefois que c'est le bon sens de l'orgueil, et la voie la plus noble pour recevoir des louanges.

CCCXIV

Il est impossible d'aimer une seconde fois ce qu'on a véritablement cessé d'aimer.

CCCXV

Ce n'est pas la fertilité de l'esprit qui fait trouver plusieurs expédients sur une même affaire; c'est plutôt le défaut de lumière qui nous fait arrêter à tout ce qui se présente à l'imagination, et qui nous empêche de discerner d'abord ce qui nous est propre.

CCCXVI

Il est des affaires et des maladies que les remèdes aigrissent, et on peut dire que la grande habileté consiste à savoir connaître les temps où il est dangereux d'en faire.

Après avoir parlé de la fausseté des vertus, il est raisonnable de dire quelque chose de la fausseté du mépris de la mort. J'entends parler de ce mépris de la mort que les païens se vantent de tirer de leurs propres forces, sans l'espérance d'une meilleure vie. Il y a différence entre souffrir la mort constamment, et la mépriser. Le premier sentiment est assez ordinaire; mais je crois que l'autre n'est jamais sincère. On a écrit néanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort n'est point un mal; et les plus faibles hommes aussi bien que les héros ont donné mille célèbres exemples pour établir cette opinion. Cependant je doute que personne de bon sens en ait jamais été véritablement persuadé, et toute la peine qu'on se donne pour en venir à bout fait assez paraître que cette entreprise n'est pas aisée. On a mille sujets de mépriser la vie, mais on n'en peut avoir de mépriser la mort; ceux mêmes qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils la rejettent et s'en étonnent comme les autres, lorsqu'elle vient à eux par une autre voie que celle qu'ils ont choisie. L'inégalité que l'on remarque dans le courage d'un nombre infini de vaillants hommes vient de ce que la mort se découvre à leur imagination et y paraît plus présente en un temps qu'en un autre. Et ainsi il arrive qu'après avoir méprisé ce qu’ils ne connaissaient pas, ils craignent enfin ce qu'ils connaissent. Il faut éviter de la voir avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire qu'elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s'empêcher de la considérer. Mais tout homme qui la sait voir telle qu'elle est, trouve que la cessation d'être comprend tout ce qu'il y a d'épouvantable. La nécessité inévitable de mourir fait toute la constance des philosophes: ils croient qu'il faut aller de bonne grâce où l'on ne se peut empêcher d'aller; et, ne pouvant éterniser leur vie, il n'y a rien qu'ils ne fassent pour éterniser leur gloire, et pour sauver ainsi du naufrage ce qui en peut être garanti. Contentons-nous pour faire bonne mine de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons, et espérons plus de notre tempérament que des faibles raisonnements à l'abri desquels nous croyons pouvoir approcher de la mort avec indifférence. La gloire de mourir avec fermeté, la satisfaction d'être regretté de ses amis et de laisser une belle réputation, l'espérance de ne plus souffrir de douleurs, et d'être à couvert des autres misères de la vie et des caprices de la fortune, sont des remèdes qu'on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu'ils soient infaillibles. Ils font pour nous assurer ce qu'une simple haie fait souvent à la guerre, pour couvrir ceux qui doivent approcher d'un lieu d'où l'on tire. Quand on en est éloigné, on croit qu'elle peut être d'un grand secours; mais quand on en est proche, on voit que tout la peut percer. Nous nous flattons de croire que la mort nous paraisse de près ce que nous en avons jugé de loin, et que nos sentiments, qui ne sont que faiblesse, que variété et que confusion, soient d'une trempe assez forte pour ne point souffrir d'altération par la plus rude de toutes les épreuves. C'est mal connaître les effets de l'amour-propre, que de croire qu'il puisse nous aider à compter pour rien ce qui le doit nécessairement détruire, et la raison, dans laquelle on croit trouver tant de ressources, n'est que trop faible en cette rencontre pour nous persuader ce que nous voulons. C'est elle qui nous trahit le plus souvent et, au lieu de nous inspirer le mépris de la mort, elle sert à nous découvrir ce qu'elle a d'affreux et de terrible. Tout ce qu'elle peut faire pour nous est de nous conseiller d'en détourner les yeux de les arrêter sur d'autres objets. Caton et Brutus en choisissent d'illustres et d'éclatants; un laquais se contenta dernièrement de danser les tricotets sur l'échafaud où il devait être roué. Ainsi, bien que les motifs soient différents, ils produisent souvent les mêmes effets. De sorte qu'il est vrai de dire que, quelque disproportion qu'il y ait entre les grands hommes et les gens du commun, les uns et les autres ont mille fois reçu la mort d'un même visage; mais ç'a toujours été avec cette différence que c'est l'amour de la gloire qui ôte aux grands hommes la vue de la mort dans le mépris qu'ils font paraître quelquefois pour elle, et dans les gens du commun ce n'est qu'un effet de leur peu de lumière qui, les empêchant de connaître toute la grandeur de leur mal, leur laisse la liberté de songer à autre chose.