[70] Qui ne rirait de la modération, et de l'opinion qu'on a conçue d'elle? Elle n'a garde (ainsi qu'on croit) de combattre et de soumettre l'ambition, puisque jamais elles ne se peuvent trouver ensemble, la modération n'étant véritablement qu'une paresse, une langueur et un manque de courage, de manière qu'on peut justement dire que la modération est la bassesse de l'âme comme l'ambition en est l'élévation (max. 293. I 17)
[71] La modération dans la bonne fortune n'est que la crainte de la honte qui suit l'emportement, ou la peur de perdre ce que l'on a (MS 3. I 18).
[72] La politesse des États est le commencement de leur décadence, parce qu'elle applique tous les particuliers à leurs intérêts propres et les détourne du bien public (MS 52. I 282).
[73] La faiblesse de l'esprit est mal nommée; c'est en effet la faiblesse du cœur, qui n'est autre chose qu'une impuissance d'agir et un manque de principe de vie (max. 44. I 49).
[74] La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit (max. 257. I 280).
[75] La sévérité des femmes c'est un ajustement et un fard qu'elles ajoutent à leur beauté, c'est comme un prix dont elles augmentent le leur, c'est enfin un attrait fin et délicat et une douceur déguisée (max. 204, I 216).
[76] Ceux qui voudraient définir la victoire par sa naissance seraient tentés, comme les poètes, de l'appeler la fille du Ciel puisqu'on ne trouve point son origine sur la terre; en effet elle est produite par une infinité d'actions qui, au lieu de l'avoir pour but, regardent seulement les intérêts particuliers de ceux qui les font, puisque tous ceux qui composent une armée, allant à leur propre gloire et à leur élévation, procurent un bien si grand et si général (MS. 41. I 232).
[77] La modération dans la bonne fortune est le calme de notre humeur adoucie par la satisfaction de l'esprit; c'est aussi la crainte du blâme et du mépris qui suivent ceux qui s'enivrent de leur bonheur, c'est une vaine ostentation de la force de notre esprit, et enfin, pour la définir intimement, la modération des hommes dans leurs plus hautes élévations est une ambition de paraître plus grands que les choses qui les élèvent (max. 17 et 18, I 19 et 20).
[78] La persévérance n'est digne de blâme ni de louange parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments qu'on ne s'ôte ni qu'on ne se donne (max. 177, I 186)
[79] La nature fait le mérite, et la fortune le met en œuvre (max. 153, I 160).
[80] La civilité est une envie d'en recevoir; c'est aussi un désir d'être estimé poli (max. 260, I 283).
[81] La vérité qui fait les gens véritables est une imperceptible ambition qu'ils ont de rendre leur témoignage considérable et d'attirer à leurs paroles un respect de religion (max. 63, I 72).
[82] Nous avouons nos défauts pour réparer le préjudice qu'ils nous font dans l'esprit des autres par l'impression que nous leur donnons de la justice du nôtre (max. 184, I 193).
[83] La clémence des princes est une politique dont ils se servent pour gagner l'affection des peuples (max. 15, I 15).
[84] On s'est trompé quand on a cru, après tant de grands exemples, que l'ambition et l'amour triomphaient toujours des autres passions; c'est la paresse, toute languissante qu'elle est, qui en est le plus souvent la maîtresse: elle usurpe insensiblement sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie, et enfin elle émousse et éteint toutes les passions et toutes les vertus (max. 266, I 289).
[85] Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses peuvent difficilement s'appliquer assez aux grandes, parce qu'ils consomment toute leur application pour les petites, et même, en la plupart des hommes, c'est une marque qu'ils n'ont aucun talent pour les grandes (max. 41 et MS 7, I 45 et 51).
[86] Il y a deux sortes d'inconstances: l'une qui vient de la légèreté de l'esprit qui à tout moment change d'opinion, ou plutôt de la pauvreté de l'esprit qui reçoit toutes les opinions des autres; l'autre qui est plus excusable, vient de la [fin] du goût des choses que l'on aimait (max. 181, I 190).
[87] La sobriété est l'amour de la santé ou l'impuissance de manger beaucoup (MS 24, I 135).
[88] La chasteté des femmes est l'amour de leur réputation et de leur repos (max. 205, I 217).
[89] Le mépris des richesses, dans les philosophes, était un désir caché de venger leur mérite de l'injustice de la fortune par le mépris des mêmes biens dont elle les privait; c'était un secret qu'ils avaient trouvé pour se dédommager de l'avilissement de la pauvreté; c'était enfin un chemin détourné pour aller à la considération que les richesses donnent (max. 54, I 63).
[90] La fidélité est une invention rare de l'amour-propre par laquelle l'homme, s'érigeant en dépositaire des choses précieuses, se rend à lui-même infiniment précieux; de tous les trafics de l'amour-propre c'est celui où il fait moins d'avances et de plus grands profits; c'est un raffinement de sa politique, car il engage les hommes par leurs biens, par leur honneur, par leur liberté et par leur vie qu'ils sont forcés de confier en quelques occasions, à élever l'homme fidèle au-dessus de tout le monde (max. 247, I 269).
[91] L'éducation qu'on donne aux princes est un second amour-propre qu'on leur inspire (max. 261, I 284, Ier état).
[92] Notre repentir ne vient point de nos actions, mais du dommage qu'elles nous causent (max. 180, I 189).
[93] Il y a des héros en mal comme en bien (max. 185, I 194).
[94] L'amour-propre est l'amour de soi-même et de toutes choses pour soi; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en ouvrait les moyens; il ne repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n'est si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles de la métamorphose, et ses raffinements ceux de la chimie.
On ne peut sonder la profondeur ni percer les ténèbres de ses abîmes; là il est à couvert des yeux les plus pénétrants, il y fait mille insensibles tours et retours; là il est souvent invisible à lui-même, et il y conçoit, il y nourrit, et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d'affections et de haines; il en forme même quelquefois de si monstrueuses que, lorsqu'il les a mises au jour, il les méconnaît ou il ne peut se résoudre à les avouer.
De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu'il a de lui-même; de là viennent ses erreurs, ses ignorances, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet; de là vient qu'il croit que ses sentiments sont morts lorsqu'ils ne sont qu'endormis, qu'il s'imagine n'avoir plus d'envie de courir quand il se repose, et qu'il pense avoir perdu tous les goûts qu'il a rassasiés.
Mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même n'empêche pas qu'il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui, en quoi il est semblable à nos yeux qui découvrent tout et sont aveugles seulement pour eux-mêmes. En effet dans ses plus grands intérêts et dans ses plus importantes affaires, où la violence de ses souhaits appelle toute son attention, il voit, il sent, il entend, il imagine, il soupçonne, il pénètre, il devine tout; de sorte qu'on est tenté de croire que chacune de ses passions a une magie qui lui est propre.