[56] Ce n'est pas assez d'avoir de grandes qualités, il en faut avoir l'économie (max. 159, I 166).
[57] Il y a des gens dont le mérite consiste à dire et à faire des sottises utilement, et qui gâteraient tout s'ils changeaient de conduite (max. 156, I 163).
[58] Il y en a même à qui leurs défauts siéent bien, et d'autres qui sont disgraciés de leurs bonnes qualités (max. 251, I 281).
[59] Il y a des gens niais qui se connaissent fort sots, et qui emploient habilement leurs sottises (max. 208, I 220).
[60] Dieu a mis des talents différents dans l'homme, comme il a planté de différents arbres dans la nature, en sorte que chaque talent, de même que chaque arbre, a ses propriétés et ses effets qui lui sont tous particuliers. De là vient que le poirier le meilleur du monde ne saurait porter des pommes les plus communes, et que le talent le plus excellent ne saurait produire les mêmes effets des talents les plus communs. De là vient encore qu'il est aussi ridicule de vouloir faire des semences sans avoir la graine en soi, que de vouloir qu'un parterre produise des tulipes quand on n'y a pas planté les oignons (MP 9).
[61] Pour s'établir dans le monde on fait tout ce qu'on peut pour y paraître établi; dans toutes les professions et dans tous les arts chacun se fait une mine et un extérieur, qu'il met en la place de la chose dont il veut avoir le mérite. De sorte que tout le monde n'est composé que de mines, et c'est inutilement que nous travaillons à y trouver les choses (max. 56 et 256, I 65 et 279).
[62] Il y a des gens qui ressemblent à ces vaudevilles que tout le monde chante un certain temps, quelque fades et dégoûtants qu'il soient (max. 211, I 223).
[63] L'honneur acquis est caution de celui qu'on doit acquérir (max. 270, I 294).
[64] Comme dans la nature il y a une éternelle génération, et que la mort d'une chose est toujours la production d'une autre, de même il y a toujours dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions: en sorte que la ruine de l'une est toujours le rétablissement de l'autre (max. 10, I 10).
[65] Je ne sais si cette maxime, que chacun produit son semblable, est véritable dans la physique; mais je sais bien qu'elle est fausse dans la morale, et que les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires. Ainsi l'avarice produit quelquefois la libéralité, on est souvent ferme de faiblesse, et l'audace naît de la timidité (max. II, I II).
[66] Une preuve convaincante que l'homme n'a pas été créé comme il est, c'est que plus il devient raisonnable, plus il rougit en soi-même de l'extravagance, de la bassesse et de la corruption de ses sentiments et de ses inclinations (MP 10).
[67] On se mécompte toujours dans le jugement que l'on fait de nos actions quand elles sont plus grandes que nos desseins (max. 160, I 167).
[68] Il faut une certaine proportion entre les actions et les dessins qui les produisent; les actions ne font jamais tous les effets qu'elles doivent faire (max. 161, I 168).
[69] La passion fait souvent du plus habile homme un sot, et rend quasi toujours les plus sots habiles (max. 6, I 6).
[70] Chaque homme n'est pas plus différent des autres hommes qu'il l'est souvent de lui-même (max. 135, I 137).
[71] Tout le monde trouve à redire en autrui ce qu'on trouve à redire en lui (MS 5, I 33).
[72] Un homme d'esprit serait bien souvent embarrassé sans la compagnie des sots (max. 140, I 142).
[73] Les pensées et les sentiments ont chacun un ton de voix, une action et un air qui leur sont propres (cf. la maxime suivante).
[74] C'est ce qui fait les bons et les mauvais comédiens, et c'est ce qui fait aussi que les personnes plaisent ou déplaisent (pour cette maxime et la précédente: max. 255, I 278).
[75] La confiance de plaire est souvent un moyen de plaire infailliblement (MS 46, I 256).
[76] Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous avons été dans les états et dans les sentiments que nous désapprouvons à cette heure (max. 51, I 58).
[77] Nous n'avons presque jamais assez de force pour suivre toute notre raison (max. 42, I 46).
[78] Ce qui nous fait aimer les connaissances nouvelles n'est pas tant la lassitude que l'on a des vieilles, ni le plaisir de changer, que le dégoût que nous avons de n'être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance que nous avons de l'être davantage de ceux qui ne nous connaissent guère (max. 178, I 187).
[79] Les grandes âmes ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertus que les âmes communes, mais celles seulement qui ont de plus grandes vues (MS 31, I 161).
[80] On se vante souvent mal à propos de ne se point ennuyer, et l'homme est si glorieux qu'il ne veut pas se trouver de mauvaise compagnie (max. 141, I 143).
[81] La santé de l'âme n'est pas plus assurée que celle du corps, quelque éloignés que nous paraissions être des passions que nous n'avons pas encore ressenties. Il faut croire toutefois que l'on n'y est pas moins exposé qu'on l'est à tomber malade quand on se porte bien (max. 188, I 197).
[82] Les passions ont une injustice, et un propre intérêt, qui fait qu'elles offensent et blessent toujours, même lorsqu'elles parlent raisonnablement et équitablement. La charité a seule le privilège de dire quasi tout ce qu'il lui plaît et de ne blesser jamais personne (max. 9, I 9).
[83] L'esprit est toujours la dupe du cœur (max. 102, I 112).
[84] Quelque industrie que l'on ait à cacher ses passions sous le voile de la piété et de l'honneur, il y a toujours quelque endroit qui se montre (max. 12, I 12).
[85] La philosophie triomphe aisément des maux passés et de ceux qui ne sont pas prêts d'arriver, mais les maux présents triomphent d'elle (max. 22, I 25).
[86] La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie (max. 5, I 5).
[87] Quoique toutes les passions se dussent cacher, elles ne craignent pas néanmoins le jour; la seule envie est une passion timide et honteuse qu'on ne peut jamais avouer (max. 27, I 30).
[88] L'amitié la plus sainte et la plus sincère n'est qu'un trafic où nous croyons toujours gagner quelque chose (max. 83, I 94).
[89] Ce qui rend nos amitiés si légères et si changeantes, c'est qu'il est aisé de connaître les qualités de l'esprit, et difficile de connaître celles de l'âme (max. 80, I 93).
[90] Nous nous persuadons souvent mal à propos d'aimer les gens plus puissants que nous: l'intérêt seul produit notre amitié, et nous ne leur promettons pas selon ce que nous voulons leur donner, mais selon ce que nous voulons qu'ils nous donnent (max. 85, I 98).
[91] L'amour est en l'âme de celui qui aime ce que l'âme est au corps qui l'anime (MS 13, I 77).
[92] Il n'y a point d'amour pur et exempt du mélange de nos autres passions (max. 69, I 79).
[93] Il est malaisé de définir l'amour; tout ce qu'on peut dire est que dans l'âme c'est une passion de régner, dans les esprits c'est une sympathie, et dans les corps ce n'est qu'une envie cachée et délicate de jouir de ce que l'on aime après beaucoup de mystère (max. 68, I 78).
[94] On s'est trompé quand on a cru que l'amour et l'ambition triomphaient toujours des autres passions; c'est la paresse, toute languissante qu'elle est, qui en est le plus souvent la maîtresse: elle usurpe insensiblement l'empire sur tous les desseins, et sur toutes les actions de la vie; elle y détruit et y consomme toutes les passions et toutes les vertus (max. 266, I 289).