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La raison sans cesse raisonne

Et jamais n’a guéri personne,

Et le dépit le plus souvent

Rend plus amoureux que devant

Il y en a encore une qui me paraît bien véritable, et à quoi le monde ne pense pas, parce qu’on ne voit autre chose que des gens qui blâment le goût des autres, c’est celle qui dit que «la félicité est dans le goût, et non pas dans les choses; c’est pour avoir ce qu’on aime qu’on est heureux, et non pas ce que les autres trouvent aimable». Mais ce qui m’a été tout nouveau et que j’admire est que «la paresse, toute languissante qu’elle est, détruit toutes les passions». Il est vrai – et l’on a bien fouillé dans l’âme pour y trouver un sentiment si caché, mais si véritable – que je crois que nulle de ces maximes ne l’est davantage, et je suis ravie de savoir que c’est à la paresse à qui l’on a l’obligation de la destruction de toutes les passions. Je pense qu’à présent on doit l’estimer comme la seule vertu qu’il y a dans le monde, puisque c’est elle qui déracine tous les vices; comme j’ai toujours eu beaucoup de respect pour elle, je suis fort aise qu’elle ait un si grand mérite.

Que dites-vous aussi, Madame, de ce que «chacun se fait un extérieur et une mine qu’il met en la place de ce qu’on veut paraître, au lieu de ce que l’on est»? Il y a longtemps que je l’ai pensé, et que j’ai dit que tout le monde était en mascarade et mieux déguisé que l’on ne l’est à celle du Louvre, car l’on n’y reconnaît personne. Enfin que tout soit à se disposer honnête, et non pas l’être, cela est pourtant bien étrange.

Je ne sais si cela réussira imprimé comme en manuscrit; mais si j’étais du conseil de l’auteur, je ne mettrais point au jours ces mystères qui ôteront à tout jamais la confiance qu’on pourrait prendre en lui il en sait tant là-dessus, et il paraît si fin, qu’il ne peut plus mettre en usage cette souveraine habileté qui est de ne paraître point en avoir. Je vous dis à bâton rompu tout ce qui me reste dans l’esprit de cette lecture; je ne pense qu’à vous obéir ponctuellement, et en le faisant je crois ne pouvoir faillir, quelque sottise que je puisse dire. Je n’ai point pris de copie, je vous en donne ma parole, ni n’en ai parlé à personne

31. Lettre, d’auteur inconnu, à Mme de Schonberg, transmise par elle à Mme de Sablé. 1663.

À considérer superficiellement l’écrit que vous m’avez envoyé, il semble tout à fait malin, et il ressemble fort à la production d’un esprit fier, orgueilleux, satirique, dédaigneux, ennemi déclaré du bien, sous quelque visage qu’il paraisse, partisan très passionné du mal, auquel il attribue tout, qui querelle et qui choque toutes les vertus, et qui doit enfin passer pour le destructeur de la morale et pour l’empoisonneur de toutes les bonnes actions, qu’il veut absolument qui passent pour autant de vices déguisés. Mais quand on le lit avec un peu de cet esprit pénétrant qui va bientôt jusqu’au fond des choses pour y trouver le fin, le délicat et le solide, on est contraint d’avouer ce que je vous déclare, qu’il n’y a rien de plus fort, de plus véritable, de plus philosophe, ni même de plus chrétien, parce que dans la vérité c’est une morale très délicate qui exprime d’une manière peu connue aux anciens philosophes et aux nouveaux pédants la nature des passions qui se travestissent dans nous si souvent en vertus. C’est la découverte du faible de la sagesse humaine et de la raison, et de ce qu’on appelle force d’esprit; c’est une satire très forte et très ingénieuse de la corruption de la nature par le péché originel, de l’amour-propre et de l’orgueil, et de la malignité de l’esprit humain qui corrompt tout quand il agit de soi-même sans l’esprit de Dieu. C’est un agréable description de ce qui se fait par les plus honnêtes gens quand ils n’ont point d’autre conduite que celle de la lumière naturelle et de la raison sans la grâce. C’est une école de l’humilité chrétienne, où nous pouvons apprendre les défauts de ce que l’on appelle si mal à propos nos vertus; c’est un parfaitement beau commentaire du texte de saint Augustin qui dit que toutes les vertus des infidèles sont des vices, c’est un anti-Sénèque, qui abat l’orgueil du faux sage que ce superbe philosophe élève à l’égal de Jupiter; c’est un soleil qui fait fondre la neige qui couvre la laideur de ces rochers infructueux de la seule vertu morale; c’est un fonds très fertile d’une infinité de belles vérités qu’on a le plaisir de découvrir en fouissant un peu par la méditation. Enfin, pour dire nettement mon sentiment, quoiqu’il y ait partout des paradoxes, ces paradoxes sont pourtant très véritables, pourvu qu’on demeure toujours dans les termes de la vertu morale et de la raison naturelle, sans la grâce. Il n’y en a point que je ne soutienne, et il en a même plusieurs qui s’accordent parfaitement avec les sentences de l’Ecclésiastique, qui contient la morale du Saint-Esprit. Enfin, je n’y trouve rien à reprendre que ce qu’il dit qu’on ne loue jamais que pour être loué, car je vous jure que je ne prétends nulles louanges de celles que je suis obligé de lui donner, et dans l’humeur où je suis je lui en donnerais bien d’autres Mais il y a là-bas un fort honnête homme qui m’attend dans son carrosse pour me mener faire l’essai de notre chocolate. Vous y avez quelque intérêt, et moi aussi, parce que vous êtes de moitié avec Mme la princesse de Guymené pour m’en faire ma provision.

32. Lettre de Mme de Guymené à Mme de Sablé. 1663.

Je vous allais écrire quand j’ai reçu votre lettre pour vous supplier de m’envoyer votre carrosse aussitôt que vous aurez dîné. Je n’ai encore vu que les premières maximes, à cause que j’avais hier mal à la tête; mais ce que j’en ai vu me paraît plus fondé sur l’humeur de l’auteur que sur la vérité, car il ne croit point de libéralité sans intérêt, ni de pitié; c’est qu’il juge tout le monde par lui-même. Pour le plus grand nombre, il a raison; mais assurément il y a des gens qui ne désirent autre chose que de faire du bien.

Je crois vous avoir déjà mandé que je n’ai jamais souhaité d’Altesse de vous. Je n’ai garde d’en vouloir en sérieux, et en dérision elle me choquerait. J’aurai l’honneur de vous voir après dîner si vous m’envoyez votre carrosse.

33. Lettre de Mme de Liancourt à Mme de Sablé. 1663.

Je n’avais qu’une partie d’un petit cahier des maximes que vous savez, quand j’eus l’honneur de vous voir, et il débutait si cruellement contre les vertus qu’il me scandalisa, aussi bien que beaucoup d’autres; mais depuis j’ai tout lu, et je fais amende honorable à votre jugement, car je vois bien qu’il y a dans cet écrit de fort jolies choses, et même, je crois, de bonnes, pourvu qu’on ôte l’équivoque qui fait confondre les vraies vertus avec les fausses. Un de mes amis a changé quelques mots en plusieurs articles, qui raccommodent, je crois, ce qu’il y avait de mal; je vous les irai lire un de ces jours, si vous avez loisir de me donner audience.