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Exemple, voyez le cas d’un pauvre diable qui souffre de l’estomac. Il fait une tête épouvantable, il est triste, amer, méchant, il ne s’intéresse à rien d’autre qu’à son mal. Il est tout juste bon à faire un croque-mort. Pour mener la vie qui est la mienne, il faut éviter ces troubles idiots qui ont cependant leur importance.

*

Nous sommes dans une petite pièce discrète et nous faisons la dînette. Je suis joyeux comme un gosse, tout me ravit : les grandes tasses bleues, le papier jaune de la tapisserie, les bas pain-brûlé de Julia.

Ce café est extra. Le gérant de l’hôtel doit s’approvisionner directement au Brésil.

Tout en mangeant et en débitant des madrigaux, je réfléchis. C’est une vieille habitude chez moi. Quelles que soient les circonstances, il ne faut jamais s’écarter de son sujet. Le mien c’est le Colorado-Bar et son propriétaire. Tant que le mystérieux Früger sera en liberté, je ne me sentirai pas l’âme en paix.

— Qu’avez-vous donc, cher ? Vous semblez rêveur, remarque Julia.

— C’est l’amour, lui dis-je effrontément.

Elle fronce les sourcils.

— Ne vous moquez pas de moi.

Je vais pour protester de ma bonne foi, mais à cet instant le larbin vient m’annoncer que quelqu’un me demande au téléphone. Je m’excuse et emboîte le pas au garçon d’étage.

Je saisis l’écouteur qui pend au bout de son fil.

— Allô !

— San Antonio ?

— Tout juste.

— Ici, le chef de la Sûreté. Comment va votre blessure ?

— Elle va.

— Félicitations pour votre célérité. Vous avez bien travaillé.

Ici, je toussote modestement.

Le chef tartine encore pendant quelques minutes sur mes mérites. Comme ce n’est pas la première fois que je m’entends déclarer que je suis un type pas comme les autres, je me fais les ongles pendant ce temps.

— Pouvez-vous rappliquer immédiatement ?

— Chez vous, chef ?

— Oui, à mon bureau, il vient de se passer quelque chose. Je ne peux rien vous dire par téléphone. Je crois que vous n’en avez pas encore terminé avec cette affaire.

Je fais une grimace irrespectueuse à la passoire d’ébonite.

— Très bien, chef. Le temps d’achever mon café !

Allons bon… Toujours des complications surgissent au moment où l’on aimerait se laisser vivre, le ventre au soleil.

Je rejoins Julia.

— Ça ne va pas ? me demande-t-elle.

— Pas bien, non. Il faut que je coure à la Sûreté.

— Du nouveau ?

— Sans doute, je n’ai pas de précisions.

Devant sa mine dépitée je ne peux m’empêcher d’éclater de rire.

— Je n’en ai pas pour longtemps. Je vais vous envoyer chercher le dernier bouquin de Max du Veuzit, vous m’attendrez ici, bien gentiment. À midi, nous irons casser une petite croûte par là à travers et nous causerons…

— Exception faite pour le bouquin, je vous obéis, répond-elle. J’ai horreur de la littérature pour jeunes filles lymphatiques.

Je me penche sur elle et je lui offre un baiser grand format. Elle me rend honnêtement la monnaie.

Nous sommes quittes.

CHAPITRE II

Changement de décors

Le chef a une mine curieuse qui exprime à la fois le souci et la cordialité. Comme la veille, il me désigne son fauteuil pour mammouth adulte et il s’accoude à son bureau.

— Maintenant, racontez-moi vos aventures de cette nuit.

— Baudron ne vous a pas fait son rapport ?

Il esquisse un geste impatient.

— Baudron ! Baudron ! Que voulez-vous qu’il me raconte… Vous avez mené cette affaire tout seul !

J’allume une cigarette.

— Dans ces conditions, monsieur le directeur, je vais commencer par le commencement.

Très succinctement, je lui relate mes faits et gestes depuis que je suis sorti de son cabinet hier matin. Il se marre lorsque je fais allusion aux cognacs que je me suis expédiés ; fronce les sourcils et m’examine curieusement quand je lui raconte la mitraillade et tressaille d’aise au moment où je retrace mon plongeon de la falaise.

— Extraordinaire, murmure-t-il, vous êtes un homme de légende. Vous feriez la fortune d’un romancier populaire.

— Peut-être bien que j’écrirai tout ça un jour.

— Je vous le conseille, et l’éditeur qui vous signera un contrat ne s’embêtera pas. Maintenant, à mon tour de prendre la parole. Savez-vous ce qui est arrivé à Batavia ?

— Il lui est arrivé quelque chose ?

— Ce matin, pendant qu’on le transférait à la prison, il a été abattu d’une rafale de mitraillette. Ça s’est passé au moment où on le faisait descendre du panier à salade. Une traction noire est arrivée en trombe et a ralenti. Un type au visage dissimulé par un foulard a sorti son outil par la portière. Il a tiré en l’air pour faire comprendre aux gardiens qu’ils devaient se planquer et il a fichu seize balles dans la carcasse de Batavia. Un as !

Je pousse un sifflement admiratif.

— Alors, questionne mon interlocuteur, que pensez-vous de cela ?

— Ce que vous en pensez vous-même. Le réseau d’espionnage paraît bien organisé. Et le type qui le dirige n’est pas un des Petits Chanteurs à la Croix de Bois. Il est déjà au courant de l’algarade de la nuit et, sachant Batavia entre nos mains, il a jugé plus prudent de le supprimer.

— Comme je vous l’ai déclaré au fil : votre travail continue. Maintenant la piste est décelée, il faut lever le lièvre, mon cher San Antonio.

— Avez-vous des nouvelles des complices ?

— Aucune. Malgré toutes les dispositions que nous avons prises, ils n’ont pu être appréhendés.

Je me lève d’un bond.

— Renforcez les barrages ! Faites perquisitionner dans les hôtels, dans les bars… Doublez les guetteurs aux environs du Colorado et de la villa de Batavia. Mettez Marseille en état de siège si vous voulez, mais attrapez-moi un des types. Je ne vous en demande qu’un, c’est très important.

— Évidemment, mais puis-je vous demander si vous attachez à ces captures un intérêt particulier ?

— Tout ce qu’il y a de particulier.

— Le fond de votre pensée ?

J’ai un mouvement agacé dont le directeur ne s’offusque pas trop.

— Elle n’a pas de fond. Je vous expliquerai mon plan en temps utile.

Il se frotte les joues.

— Ah ! parce que vous avez un plan ?

— Et comment !

— Eh bien, bonne chance !

Je quitte la Sûreté et me rends au bar-tabac le plus proche. Là, je choisis une belle vue de la mer et je l’envoie à Félicie avec quelques mots gentils dessus. Ensuite de quoi, je rédige un rapport très bref à l’intention de mes chefs de Paris.

Je vais poster tout ça et je regagne mon hôtel.

*

Je trouve la môme Julia derrière un hebdomadaire. Elle me dit qu’elle vient de lire que Jean Marais va peut-être se marier. Et moi je ne me gêne pas pour lui avouer que cette nouvelle me laisse aussi froid qu’une couleuvre qui serait enfermée dans un Frigidaire depuis l’Armistice.

— Bon, déclare-t-elle. Je vois que vous n’êtes pas mondain. Pourquoi, darling, avez-vous ce regard de renard naturalisé ?