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En deux mots, je lui apprends le décès mouvementé de Batavia. Elle semble médusée.

— Est-ce croyable ! murmure-t-elle en secouant ses boucles blondes… Dans quel guêpier avais-je porté mes pieds ?

Je la questionne sur ses relations avec la bande.

— Oh ! Relations est un gros mot ! À mon arrivée à Marseille, une amie m’a emmenée au Colorado et m’a présentée à Batavia. Celui-ci a été très gentil.

Je fronce les sourcils.

— Allons, gros méchant loup, sourit-elle, ne faites pas cette tête. Je vous jure qu’il s’agissait d’un simple ami. Quelques cocktails, quelques tangos… Des blagues à la graisse d’oie… c’est tout. Quand il a su que je cherchais un appartement en sous-location, il m’a dit qu’il avait mon affaire car, justement, un ami à lui séjournant à l’étranger lui avait demandé de sous-louer sa villa pendant son absence, afin d’éviter qu’elle soit réquisitionnée…

— Je saisis, lui dis-je, c’était plus prudent à cause des pigeons.

— Les pigeons ?

— Vous ne savez pas, peut-être pas, qu’il y a un colombier dans la propriété que vous habitez ?

— Si !

— Et vous ignorez qu’il s’agit de pigeons voyageurs ?

Elle ouvre la bouche tant son étonnement est vaste.

— Des pigeons voyageurs ! s’exclame-t-elle.

— Yes, darling ! Et qui est-ce qui s’en occupait ?

— Le jardinier. Vous le savez, j’étais en sous-location provisoire, je ne m’occupais pas de l’entretien de la baraque.

Je lui demande l’adresse du jardinier et je note celle-ci sur mon agenda de poche en me promettant d’aller demander des conseils au bonhomme en ce qui concerne le repiquage des épinards.

J’attrape Julia par un bras et je l’entraîne jusqu’au restaurant le plus proche où je nous commande des steaks aussi larges que le postérieur d’une couturière.

Ma compagne se met à manger d’aussi bon appétit que moi. Comme mon bras me fait un peu souffrir, c’est elle qui découpe ma viande. Pour un peu elle me donnerait la becquée. Je lui souris, mais tout en lui souriant et tout en dégustant mon steak je pense à elle, ou plutôt à nous.

Je me dis que les choses ont changé d’aspect. Tant que je croyais l’affaire terminée, je pouvais m’offrir une escapade avec une poulette. D’autant que j’estimais ce genre de divertissement mérité ; mais maintenant, il y a fausse donne. L’enquête continue et, dans ce genre d’exercice, la belle Julia m’est à peu près aussi utile qu’un motoculteur. Il s’agit de lui expliquer la chose avec tact. Pour le tact, on peut se fier à moi. J’y vais de ma petite romance. Heureusement, cette gamine a plus de jugeote que tout un Conseil d’État ; elle se rend à mon raisonnement sans discussion.

— Oui, murmure-t-elle, tristement. Je comprends bien qu’une femme ne puisse partager les occupations d’un garçon comme vous. Je serais un poids mort pour vous, en restant ici. Je vais retourner quelque temps à Nice, chez mes parents. Si vous avez envie de me voir, vous n’aurez qu’un geste à faire.

Je saute sur sa décision à pieds joints.

Pour la récompenser, je me penche en avant, par-dessus la table. Comme elle n’est pas paresseuse, elle se penche aussi, si bien que nous nous rencontrons juste à l’endroit qu’il faut.

CHAPITRE III

En chasse

L’après-midi, j’accompagne Julia à la gare Saint-Charles. Nous nous livrons la grande scène des adieux. Heureusement, Félicie met toujours une demi-douzaine de mouchoirs propres dans ma valise. J’en sors un de ma poche pour essuyer les larmes de ma douce amie et un autre pour agiter au moment où le train s’ébranle.

Dans l’existence, il faut toujours être correct.

Je profite de ce que je suis à la gare pour mobiliser un taxi, car je vais avoir pas mal de courses à faire dans un laps de temps assez court.

Pour commencer, je me fais conduire au Colorado. Comme je l’espérais, la boutique est fermée. J’aperçois, dans les parages, quelques bonshommes qui examinent les étalages avec une innocence qui sent son flic de très loin. Je m’approche de l’un d’eux et lui colle mon insigne devant le nez.

— Écoutez, dis-je, c’est moi qui suis sur l’affaire que vous savez. Avez-vous vu entrer ou rôder un quidam depuis votre faction ?

Il secoue la tête.

— Non, monsieur le commissaire.

— Eh bien, continuez à ouvrir l’œil.

Je passe par l’allée et me voici dans une cour obscure, sur laquelle s’ouvrent plusieurs portes. Je me repère. L’entrée de service du bar doit être la première à droite. Je sors un petit outil de ma poche et je me mets au boulot. Cet instrument, je ne l’ai pas inventé et celui qui l’a mis au point a oublié de le faire breveter. Maintenant c’est trop tard pour qu’il y pense, parce qu’à l’heure où je vous parle il habite une boîte en sapin dans un coin du cimetière des condamnés à mort. En tout cas, son outil est épatant ; en quelques secondes, la serrure Yale m’obéit et j’entre dans la forteresse.

Le silence et l’obscurité sont souverains. Je tâtonne pour trouver le commutateur. Je le trouve. La lumière jaillit. Je ne m’étais pas trompé : je suis dans les cuisines de l’établissement. Tout est en ordre. J’inspecte les lieux : il n’y a personne, comme vous le pensez. Je traverse le bar et je pousse une petite porte discrète qui s’ouvre dans un grand motif de tapisserie exotique. J’accède à un bureau exigu, meublé élégamment. Je me précipite sur les tiroirs comme un pickpocket sur le tronc des écoles laïques, et je fouille dans les papiers qui s’y trouvent avec une rare délectation. Mais mes recherches sont vaines. Je ne retrouve que des factures de marchands de spiritueux, des catalogues, des indices de prix, des notes de gaz et d’électricité, des feuilles de paie, des livres de comptes, en un mot toutes ces paperasses inhérentes à l’exploitation d’un commerce de ce genre. Rien qui soit une indication sur la personnalité du propriétaire. Je crois que si je visitais le musée de l’Armée j’en apprendrais aussi long que dans cet établissement fermé.

Je m’apprête à filer lorsqu’il me vient une idée qui vaut son pesant de cognac. Je vais à l’appareil téléphonique situé à côté du comptoir et je l’examine. J’ai mis dans le mille : c’est un simple appareil intérieur, sans cadran, qui dépend de celui du sous-sol. À ce moment-là un petit déclic se fait sous mon cuir chevelu. Je revois Batavia en train de téléphoner la veille au soir tandis que j’attendais Su-Chang. Puisqu’il est allé à cet appareil, c’est donc que quelqu’un lui téléphonait d’en bas. Or, comme il a quitté le bar aussitôt après, en compagnie de ses acolytes, pour organiser sa partie de mitraillette, tout me porte à croire que quelqu’un lui a donné, à cet instant-là, l’ordre de nous organiser une croisière pour le paradis, au Chinois et à moi. Je décroche et dépose l’appareil sur le comptoir. Après quoi, j’attache ma montre à l’émetteur.

Puis je descends à l’étage inférieur et je pénètre dans la cabine téléphonique. Je porte l’écouteur à mes oreilles en le saisissant délicatement, et j’écoute. Mon raisonnement s’avère exact car j’entends le faible tic-tac de ma breloque. Donc il suffit de décrocher les deux appareils pour être en contact.

Je prends mon canif et je tranche le fil téléphonique au ras de l’écouteur, après quoi j’enveloppe celui-ci dans mon mouchoir et l’enfouis dans ma poche.

*

Mon chauffeur est toujours là. Il bouquine Oh ! Un magazine rempli de choses passionnantes. Je lui tape sur l’épaule :

— À la morgue !