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Il sursaute, parce que, justement, il lisait un conte policier.

— Hein !

— À la morgue !

Il démarre. Décidément, je passe ma vie dans ce Frigidaire. Le gardien me reconnaît aussitôt. Les flics ont dû l’affranchir.

— Alors, monsieur le commissaire, me dit-il, vous m’avez envoyé des clients… C’est gentil.

Je ne souris pas en entendant ces facéties de garçon de bain.

— Dites-moi, mon vieux, vous devez avoir les fringues du Chinois.

— Justement, approuve-t-il, on m’a téléphoné de la Sûreté de les tenir à votre disposition.

Il m’entraîne dans une salle qui sent le désinfectant et la crasse en conserve. Il saisit un paquet ficelé dans un casier et le défait sur une table. Je fouille les poches des pauvres nippes de Confucius.

— C’est déjà fait, me dit le gardien. Tous les objets qu’il portait sur lui se trouvent dans ce petit sac de toile.

Je vide la pochette sur la table. Elle contient un briquet, un paquet de Lucky, une chevalière en or, un crayon, un carnet de tramway, un mouchoir et un trousseau de clés. J’attrape les clés et les envoie rejoindre l’écouteur téléphonique dans ma poche. Je fais un petit salut de la main au gars du Frigidaire et je vais rejoindre mon chauffeur.

— Cette fois à la Sûreté !

Arrivé devant l’entrée de la grande maison, je me précipite dans le couloir. Je demande le bureau de Favelli, que je n’ai pas encore vu. Il s’y trouve en compagnie de Baudron. C’est un petit Corse à l’air pas commode et qui a les épaules aussi larges qu’un bahut normand. Baudron fait les présentations.

— Très heureux, me dit Favelli. Alors, où en êtes-vous ?

Je vide le contenu de ma poche droite, et tends l’écouteur téléphonique à mon collègue.

— Faites relever les empreintes qui se trouvent là-dessus et vérifiez aux dossiers si, par hasard, vous ne connaissez pas leur propriétaire.

Je m’assieds sur un coin du bureau.

— Entendu !

— Avez-vous du nouveau au sujet des trois loustics de la falaise ?

— Peut-être bien que oui, et peut-être bien que non, gouaille-t-il.

J’attends ses explications.

— À deux kilomètres de l’endroit où vous avez failli vous faire assaisonner, poursuit Favelli, se trouve un petit embarcadère appartenant à un club. Dans cet embarcadère se trouvent des hangars nautiques abritant des canots à moteur. Or, cette nuit, la porte de ces hangars a été fracturée et une des embarcations volée, vous pigez ?

— Très bien. Il y avait beaucoup d’essence à bord ?

— Suffisamment pour permettre à ces crapules de filer. Ils ont dû gagner un point de ralliement quelconque sur la côte et se planquer.

Nous échangeons quelques mots sur le boulot et je m’esquive.

— Vous en avez encore pour longtemps ? me demande le type du taxi.

— Ça vous fatigue de me trimbaler ?

— Pensez-vous, patron. C’est pour savoir si je dois faire mon plein d’essence.

— Faites-le, on ne sait jamais.

Maintenant je vais interviewer le jardinier de la maison de Julia. Il ne faut rien négliger. Mais je constate une fois de plus que cette organisation est de première et que ces carnes-là ne laissent rien au hasard. Vous allez voir pourquoi.

Au moment où je sonne chez le type, un certain Mérulant, je constate que sa porte est criblée de petits trous qui n’ont pas dû être pratiqués avec un vilebrequin. Pour la deuxième fois aujourd’hui, je me sers de l’outil dont je vous ai parlé plus haut et j’ouvre. Plus exactement, j’essaie d’ouvrir car quelque chose bloque la porte. Je pousse fortement et j’entrebâille l’huis. Juste assez pour me permettre de glisser un regard à l’intérieur.

CHAPITRE IV

Comme une tête de mouton

Je redescends quatre à quatre l’escalier et je saute sur mon chauffeur.

— Allez téléphoner au plus proche café, mon ami. Faites le numéro de la Sûreté et demandez le commissaire Favelli ou à défaut son adjoint et dites-leur de rappliquer dare-dare ici avec une ambulance. De la part de San Antonio, n’oubliez pas.

— Que se passe-t-il ? s’inquiète l’homme.

— Il ne se passe plus rien, dis-je.

— Mais…

— Dépêchez-vous !

Il s’exécute et trotte vers le haut de la rue où l’on aperçoit une enseigne de café.

En attendant mon monde, je m’assieds devant la porte, sur les marches d’escalier, et j’allume une cigarette. Je ne fume pas énormément, mais lorsque j’en grille une, vous pouvez croire que mon cerveau fait des heures supplémentaires.

Favelli et Baudron ne prennent pas des chaussures de scaphandrier pour arriver. Dix minutes ne se sont pas écoulées que j’entends le claquement d’une portière. Mes deux collègues apparaissent.

— Alors ? fait Favelli.

Je souris gentiment et leur donne quelques mots d’explication. Je leur révèle de quelle façon j’ai eu l’adresse du type qui s’occupait de l’entretien de la baraque et des pigeons voyageurs.

— Quelqu’un m’a devancé, conclus-je. Ce quelqu’un avait de l’artillerie plein ses mains. Il a sonné. Le jardinier ne devait pas appartenir au gang ; comme il avait lu les journaux du matin il se méfiait et a demandé l’identité de son visiteur. Alors ce dernier lui a répondu à coups de.38. Voilà l’histoire.

— Sapristi ! s’exclame Favelli. À ce train-là, il ne restera bientôt plus personne à Marseille.

Nous achevons d’ouvrir la porte et nous examinons le locataire. Le pauvre colombophile est allongé sur le carrelage de son vestibule et il est plein de trous, comme un fromage de gruyère.

Mon type de la morgue va démissionner ou embaucher du personnel si on continue à lui expédier des cadavres.

— Avec vous, au moins, on est sûr d’obtenir de l’imprévu, affirme Baudron.

Nous appelons les deux gardes qui sont sur le palier avec leur civière. Ils chargent le défunt et l’emportent. Nous les suivons. Parvenu dans la rue, je règle mon taxi en le remerciant pour ses bons et loyaux services. Puis je cligne de l’œil à l’intention des collègues.

— Laissons monter les gardes devant, leur dis-je, et installons-nous à l’arrière.

Ils obéissent, assez éberlués je dois l’avouer.

Quand nous sommes accroupis à côté de la victime, je leur fais part de mon projet, car je ne vous en ai pas encore parlé, mais j’ai une idée, et elle me paraît excellente.

Je les initie rapidement.

— Pour attraper les écrevisses, leur expliqué-je, on met dans les « balances » des têtes de mouton ; j’ai bien envie de jouer à la tête de mouton.

— Apprenez-nous, fait Favelli, nous pourrons faire une partie.

Je poursuis :

— Ça se joue tout seul, comme le bilboquet.

Je me penche sur le cadavre. Malgré ma répugnance, je lui ôte sa veste perforée et je la revêts après avoir quitté la mienne. Le hasard est gentil puisqu’il a permis que nous soyons de la même taille tous les deux.

Je regarde mes voisins et je m’aperçois qu’ils ouvrent des yeux… mais des yeux, comme si un crocodile se mettait à leur réciter les fables de La Fontaine.

— Maintenant, dis-je, c’est moi la victime. Nous allons mettre ce type par terre et le dissimuler sous cette bâche qui doit, du reste, ne servir qu’à ça. Ensuite, je prendrai sa place et vous me débarquerez à l’hosto. Auparavant Favelli ira affranchir le médecin-chef. Vous saisissez ?

— Heu… Non…

Ils ont répondu avec un ensemble parfait.

— C’est cependant très simple.

Je frappe pour avertir les gardes. L’un d’eux fait coulisser la vitre.