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— À l’hôpital, ordonné-je.

Le moment est venu de discuter sérieusement. Je dévoile mes batteries à mes collègues de la Sûreté.

— Vous allez annoncer à la presse que le gang des espions a essayé de buter le jardinier. Vous m’entendez : a essayé. Vous ajouterez qu’ils ne l’ont pas eu complètement et que, bien qu’il ne puisse parler tout de suite, les jours du bonhomme ne sont pas en danger. Nos gaillards auront la frousse.

— Vous en êtes certain ? interroge Baudron.

— Dame, réfléchissez un peu : s’ils l’ont abattu, c’est qu’ils le jugeaient dangereux pour leur sécurité.

— En effet.

Je continue :

— Ils ne peuvent être absolument certains qu’il soit mort puisqu’ils lui ont tiré dessus à travers la porte. Donc votre déclaration ne sera pas mise en doute. Ils n’auront à ce moment-là qu’une idée : achever le jardinier avant qu’il ait repris connaissance. Pour cela, ils se manifesteront d’une manière ou d’une autre et ce sera à nous de sauter sur l’occasion.

— Magnifique ! trépigne Baudron.

— Mais très dangereux, souligne Favelli.

Je le rassure.

— Croyez-moi, collègue, j’en ai vu d’autres… Et je suis toujours là.

— Il faut une fin à tout, soupire le commissaire.

Je ricane :

— Vous allez me faire pleurer.

*

Tout se passe comme je l’ai décidé. Arrivé dans la cour de l’hôpital. Favelli s’éclipse. Pendant son absence je parfais ma petite mise en scène. Pour cela je défais mon pansement et me macule le visage avec mon sang. Comme, avec ces péripéties à la Nick Carter, je n’ai pas eu le temps de me raser, je donne exactement l’impression que je veux donner. Pour parfaire l’illusion, j’ébouriffe mes cheveux et me convulse le visage. Tant et si bien que lorsque Favelli revient, il a un haut-le-corps en m’apercevant.

Deux infirmiers me coltinent dans les étages, on m’allonge dans un bon lit chouettement rembourré.

Le médecin-chef soigne ma blessure du bras. Je lui souffle quelques mots pour achever son éducation et il incline la tête en guise de réponse. Cet homme-là saisit rapidement ce qu’on attend de lui.

Enfin on me laisse.

Avant de quitter la chambre, Favelli me donne un aperçu des précautions qu’il va prendre pour garantir ma sécurité. Il y aura tout d’abord une demi-douzaine de poulets chez le concierge, afin de surveiller les entrées, puis deux autres, déguisés en infirmiers, dans le service.

Il me semble que c’est O.K.

Je me dis que j’ai la nuit devant moi, puisque les journaux ne paraîtront que demain matin. Je peux donc me laisser dorloter jusqu’à l’aurore.

Une bonne sœur m’apporte une raie au beurre et des endives en salade. Je me tape le tout et je lui demande si, des fois, il n’y a pas, dans cet hôpital, d’autres alcools que ceux qui servent à nettoyer les bistouris. La petite sœur sourit et revient avec un flacon de Cointreau. C’est un peu faiblard comme digestif, mais je m’en introduis tout de même une vingtaine de centilitres dans l’estomac.

Et maintenant, je pourrais peut-être en écraser, non ?

CHAPITRE V

Une jolie nièce

Une aube maussade blanchit les vitres dépolies. Je viens de m’éveiller. L’hôpital est silencieux. Par l’imposte de la porte, je me rends compte que les lampes veilleuses du couloir sont toujours allumées.

Je réfléchis. En ce moment, les voitures des messageries sillonnent les rues à toute vitesse pour livrer les journaux. D’ici une heure, les canards de la cité phocéenne seront sur tous les loquets de porte. J’ai le temps.

Je me mets en boule dans mon dodo et je m’offre un petit supplément de sommeil. Dormir ! C’est la meilleure façon de passer le temps agréablement. À moins, évidemment, d’avoir à côté de soi un beau brin de pouliche comme Julia.

Ah ! la belle gosse. Il faudra que j’aille lui rendre visite à Nice, avant de regagner Paris. Lorsque, bien entendu, mon enquête sera terminée.

En attendant, je me mets à rêver à elle… Elle est dans un grand jardin, aussi grand que le Luxembourg. Elle ramasse des fleurs, elle en a déjà plein les bras, et elle rit et elle chante. J’en profite pour arriver. Julia laisse tomber ses fleurs et me passe ses bras autour du cou.

C’est rudement agréable de rêver ça, moi je vous le garantis ; vous vous rendez compte à quel point je possède une nature poétique ?

Un infirmier entre dans ma chambre. Après que je me suis frotté les yeux, je constate que ce garçon ressemble autant à un infirmier que moi au bey de Tunis. S’il n’est pas flic et si ses ascendants n’ont pas été flics depuis les croisades, je ne m’appelle plus San Antonio.

— Monsieur le commissaire, chuchote-t-il, quelqu’un demande à vous voir. Enfin, pas vous, mais le pseudo-blessé.

Je me mets sur mon séant.

— Quelle heure est-il ?

— Dix heures.

Bigre, mon doux rêve s’est rudement prolongé.

Je questionne :

— Qui demande à me voir ?

— Une jeune fille, elle prétend être votre nièce.

— Ma niè… Ah oui ! À quoi ressemble-t-elle ?

— Elle est très belle.

— Blonde ?

— Non, brune.

Il ajoute gourmand :

— Et les yeux bleus. Nous lui avons dit qu’elle ne pourrait peut-être pas vous voir parce que vous êtes très mal. Mais elle insiste. Elle pleure à fendre l’âme. Que faut-il faire ?

C’est précisément la question que je me pose avec acuité. De deux choses l’une, ou bien il s’agit réellement de la nièce du zigouillé et j’aurai bonne mine lorsqu’elle s’apercevra que je ne suis pas son oncle, ou bien la jeune pleureuse est envoyée par le gang pour tâter le terrain. En ce cas, il n’est pas très sain de la recevoir.

Je me décide néanmoins.

— Écoutez-moi, jeune homme. Vous allez l’amener ici. Vous lui direz que je commence à peine à reprendre connaissance. Et surtout ne la perdez pas de vue.

— D’ac…

Je tire les rideaux et asperge mon lit d’éther. Puis je m’allonge et prends une attitude ad hoc. J’ai les paupières mi-closes — ce qui est très pratique pour reluquer en douce — et le souffle court.

La porte s’ouvre. Dans l’encadrement, j’aperçois une mince silhouette. La silhouette fait quelques pas, flanquée de l’infirmier. Elle a un petit visage doux et chaviré. C’est une très belle poupée, en effet, l’infirmier-poulet s’y connaît. Pour créer l’ambiance, je me mets à prononcer des mots inintelligibles entrecoupés de râles très réussis.

Je m’attends à ce que la visiteuse proteste et clame bien haut qu’il y a maldonne et que je ne suis pas son cher vieux tonton. Mais elle se tait un long moment et semble réprimer ses sanglots. Elle s’approche du lit. Sans cesser de geindre et de bavocher je surveille ses mains… On ne sait jamais ce dont une femme est capable… Vous ne voyez pas qu’elle ait un petit stylet dans sa manche…

Puis elle ouvre les grandes eaux. Et là, j’avoue que j’admire sa technique.

— Mon oncle, gémit-elle, mon cher tati, mon bon tati.

Je ne sais pas ce qui me retient de sauter du lit et d’administrer une fessée à cette vipère. Tout ce que je pense d’elle à cet instant ne pourrait être récité pendant une cession entière de l’ONU.

En tout cas l’expérience est concluante. L’infirmier le comprend et dit à la jeune fille que c’est assez pour une première visite et qu’elle doit se tailler. Elle reviendra si ça lui chante, dans l’après-midi. Elle s’incline et part après une dernière tirade.