Выбрать главу

Dès qu’elle est au bout du couloir, je saute du lit et je bondis au téléphone.

— Passez-moi la guichetterie !

— Allô ! Le portier ! Appelez immédiatement un des messieurs qui doivent vous tenir compagnie !

— J’en suis un, répond une voix du Cantal, avec un certain orgueil bien légitime.

— O.K. Ici San Antonio. Suivez la donzelle qui est venue me voir, et ne la perdez pas de l’œil une seule seconde si vous ne tenez pas à ce qu’on vous envoie à la pêche jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul poisson en Méditerranée. Compris ?

— Compris, patron !

Je pousse un soupir et fouille les poches de ma veste à la recherche d’une gitane. J’ai la nette impression qu’il y aura du nouveau d’ici peu de temps. Parce que ça ne fait pas l’ombre d’un doute que nos gaillards cherchent à s’occuper du pseudo-jardinier que je réincarne si obligeamment. Et, croyez-moi, s’ils s’en occupent, ça n’est pas pour lui procurer une situation au parc Borelli, mais bien plutôt pour lui offrir un voyage dans un patelin où les marchands de canons et les marchands de mouron sont tous copains.

Pour l’instant, il ne me reste qu’à attendre les résultats de la filature. Il y a des moments dans l’existence où il faut apprendre la patience, because c’est encore plus utile bien souvent que l’étude de la géologie.

Je dis à mon infirmier à la graisse d’oie d’aller m’acheter des magazines illustrés, malgré que je n’apprécie pas beaucoup d’ordinaire ce genre de lecture, mais enfin ces journaux-là sont remplis de belles pin-up et j’aime autant regarder leurs photos que celle d’André Gide.

Une heure passe.

Si vous n’avez pas une savonnette à la place du cerveau, vous devez vous souvenir que je suis claustrophobe, ce qui veut dire, je le répète, que je crains d’être longtemps bouclé dans un endroit exigu. Ça me flanque des picotements dans la moelle épinière. Je me tourne et me retourne dans ce lit trop moelleux. À la fin, je n’y tiens plus, j’enfile mon pantalon et je sors dans le couloir pour me dégourdir les jambes. De toute façon, s’il vient encore quelqu’un pour moi, j’en serai informé à temps.

Tout à coup, il se produit un fracas épouvantable. L’étage tremblote comme le ferait la tour Eiffel si elle était déboulonnée. Une avalanche de plâtras me dégringole sur le râble. Cette explosion provient de ma chambre. J’entre. Quel spectacle ! À la place de mon lit, il y a un paquet de ferrailles et des guenilles qui flambent. Les vitres de la croisée sont descendues dans la cour ; on se croirait en week-end chez Hitler au moment de la prise de Berlin.

Bien entendu, ça hurle à qui mieux mieux dans l’établissement. Les malades s’imaginent qu’ils sont à bord d’un croiseur de bataille japonais repéré par une escadrille américaine. Le personnel rapplique en courant, mon infirmier en tête.

On me questionne. On me palpe.

Alors j’envoie promener tout le monde.

Ce qui s’est passé ? je le sais bien. Tout à l’heure, la pépée brune, en jouant sa comédie du désespoir, a glissé un morceau de plastic au pied de mon lit.

Comme quoi, si je n’avais pas été claustrophobe, je serais probablement assis sur un nuage à l’heure actuelle.

En attendant, ma veste, ma chemise, ma montre, mon portefeuille et mon insigne sont restés dans l’aventure.

Je commence à en avoir plein le dos de ce roman policier.

CHAPITRE VI

Je m’y mets

Et comment que je m’y mets !

Dès que je suis à peu près relingé, je viens chez le concierge de l’hôpital. Je veux être là lorsque le flic qui a pris ma bombardière en filature donnera de ses nouvelles.

Je suis tellement de mauvaise humeur que personne n’ose me parler. Des journalistes qui veulent des détails me prennent pour le bonhomme des entrées. Je suis aimable avec eux à peu près comme une tigresse avec un boa. Il y en a un qui insiste et qui me promet de passer ma binette dans son canard si je lui refile des détails sur l’attentat. S’il savait mon nom, il m’emporterait sous son bras jusqu’à ses rotatives, mais je le mets en fuite en lui expliquant que je suis ceinture noire de judo et que, s’il continue à me harceler, je me mettrai en colère. J’ajoute pour le tuyauter bien à fond, qu’après une de mes colères il passerait le restant de ses jours à se demander de quel côté sa tête était orientée avant de m’avoir connu.

Enfin on me fiche la paix.

Je continue ma faction devant le téléphone en me demandant si la môme-plastic ne s’est pas aperçue qu’elle était filée. J’espère que l’inspecteur qui lui a emboîté le pas connaît son métier, car alors, étant donné le sang-froid de la belle incendiaire, je ne donne pas cher de sa peau.

J’en suis là de mes réflexions lorsque le téléphoniste me regarde et cligne des yeux : c’est pour moi. Je saute sur l’appareil.

— Allô, ici San Antonio, où en êtes-vous ?

— C’est toute une histoire, chef. La petite, en sortant de l’hôpital, a fait des tas de courses dans les magasins. Puis elle est allée roucouler avec un beau jeune homme dans une maison de thé. Maintenant elle vient de rentrer dans un immeuble, rue de Toulon. Je vous téléphone d’un bar : Les Mouettes, d’où je surveille l’entrée. Que faut-il faire ?

— M’attendre, je vous rejoins. À moins bien entendu qu’elle ne sorte entre-temps.

Je me frotte les mains : voici enfin une indication. Je commençais à me ronger les ongles jusqu’à la seconde phalange. Je quitte l’hôpital promptement et arrête un taxi qui passe. Je lui ordonne de me conduire à tombeau ouvert au bar des Mouettes, car, lorsque j’étais pas plus haut que ça et que je portais une blouse noire, mon maître d’école me disait déjà qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Je n’ai jamais eu l’occasion de battre le fer, mais je sais que cet axiome-là s’applique à toutes les circonstances de la vie.

Le bar des Mouettes est un petit café qui fait l’angle d’une rue. Je congédie mon taxi et j’enfonce le bec-de-cane. Je me trouve dans une petite salle agréable qui ressemble au pont d’un navire. Sur tous les murs on voit la mer, le ciel et des paquets de mouettes qui volent.

Un seul client ! Ça doit être mon type, car il se lève et vient à moi.

— Commissaire San Antonio ?

— Oui.

— Je suis l’inspecteur Martinet.

— Très bien, du nouveau ?

— Peut-être.

— Expliquez-vous.

— La petite brune est redescendue avec un grand gaillard, le bonhomme a pris place dans une auto en stationnement, ils se sont dit au revoir et elle est remontée chez elle. Elle doit être seule en ce moment.

— Qu’est-ce qui vous porte à penser cela ?

— Elle tenait ses clefs à la main.

Décidément, ce Martinet a de l’œil et de la jugeote. Je lui en fais compliment et il se met à rougir comme une rosière qui voyagerait dans un compartiment bourré de matelots.

Je commande deux doubles pastis et je grignote quelques olives.

— Puis-je me permettre une question, commissaire ? dit l’inspecteur.

— Allez-y !

— Croyez-vous à la culpabilité de cette fille ? Elle a l’air très convenable.

Je ne peux pas me retenir de rigoler. Très brièvement j’affranchis Martinet sur le compte de sa vamp. Je lui raconte comment cette douce créature glisse subrepticement des morceaux de plastic au pied des lits. Il n’en revient pas et m’examine comme si j’étais la réincarnation de Charlemagne.

— Dans ces conditions, il faut faire cerner l’immeuble, patron, et cueillir cette petite garce au plus tôt.