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— Écoutez, mon vieux, Félicie m’a expliqué, depuis mon plus jeune âge, que tout venait à point à qui savait attendre. Il n’y a pas besoin de rappeler les réservistes pour rendre visite à Mlle Dynamite.

— Vous voulez ?…

— Sûr, et sans plus tarder. J’ai bigrement envie de lui dire ce que je pense sur la façon qu’elle a de soigner sa famille.

Je règle la tournée et nous sortons.

Nous traversons la rue et nous nous engouffrons dans l’allée d’en face. Martinet marche devant. Il s’engage dans l’escalier et grimpe jusqu’au deuxième étage.

— Compliment, lui dis-je, vous savez vous informer.

Il nage dans la joie ce petit inspecteur… Pensez donc ! travailler avec un as de Paris, lorsqu’on débute en province… Ça vous galvanise un homme…

Nous sommes en arrêt devant une porte, je lis le nom sur la plaque : Elsa Meredith. Ainsi elle s’appelle Elsa ? C’est un nom qui fait aventurière, comme quoi le parrain de cette vipère avait le nez creux…

Je sonne, la porte s’ouvre. Elle est là, souriante.

— Bonjour, commissaire, gazouille-t-elle.

Pour une surprise, c’est une surprise. Rarement je n’ai éprouvé un tel saisissement. Néanmoins, je fais assez bonne figure.

— Bonjour, gamine, lui dis-je Alors, vous me connaissez ?

— Il paraît ! Mais entrez, je vous prie !

Je fais quelques pas à l’intérieur d’un hall somptueux, couvert d’un tapis aussi épais qu’une tranche de glace napolitaine.

Elsa ouvre une porte vitrée et s’efface pour me laisser passer. Le mieux à faire est encore de jouer le jeu. Je pénètre dans la pièce qui est un grand salon, meublé comme un cinéma. Il comporte une demi-douzaine de fauteuils clubs et un piano à queue. Il y a un type dans chaque fauteuil, et un septième qui a du goût pour le romantisme est accoudé au piano. Tout ce monde-là, parmi lequel je reconnais mes tueurs de la falaise, demeure grave et silencieux, avec un pétard sur les genoux. Charmante réception.

Je me retourne : Martinet tient un superbe Luger, flambant neuf, à la main. Et le canon de cette arme est dirigé vers mes reins.

Je hausse les épaules.

— Ah ! bon, dis-je, c’est un guet-apens !

— Tu l’as dit, joli, me rétorque le pseudo-Martinet. Alors c’est toi, le fameux Antonio ? Trompe-la-Mort ? L’as des as ? Le dur des durs ? Qui se laisse fabriquer comme une pauvre cloche…

J’ôte mon chapeau et je m’assieds sur un canapé.

— C’est moi, reconnais-je.

Je pousse un gros soupir en songeant que ce sacripant a raison.

CHAPITRE VII

De quoi réfléchir

Il y a un long silence pendant lequel personne ne fait un geste. L’atmosphère est tendue comme une peau de tambour. Si une mouche se frottait les pattes, ça produirait certainement de l’électricité. Enfin Elsa éclate de rire. Je lui en suis reconnaissant.

Vous pensez peut-être que j’ai la frousse ?… Eh bien, vous vous trompez sur mon compte. Je suis bien trop humilié pour songer aux périls qui me menacent.

Voilà ce que c’est que d’être trop impétueux. Que n’ai-je requis l’assistance de Favelli ou de son second avant de me lancer à l’assaut !

— Tu n’en reviens pas, hein ? triomphe le faux Martinet.

Je ne réponds pas.

— Tu t’imagines, poursuit-il, que nous allions couper dans le panneau. Tu as cru que notre petite Elsa ne saurait pas différencier San Antonio du jardinier. Ce qu’elle a pu rigoler quand elle a compris qu’il s’agissait de toi. Remarque que je ne croyais guère à la vie du type, pour la bonne raison que je l’avais moi-même assaisonné, et que c’est un sport où je suis champion.

— Alors, pourquoi êtes-vous venus voir ?

— Le patron n’aime rien laisser au hasard, tu t’en es déjà rendu compte… Mais nos précautions étaient prises pour le cas où Elsa serait suivie — ce qui justement s’est produit. Il ne nous a pas fallu longtemps pour repérer ton petit inspecteur et pour l’inviter à monter dans notre voiture… Il n’a pas fait trop de difficultés : c’est un gars sans manières.

Je ne peux résister à l’envie de poser une question qui me tourmente depuis un instant.

— Comment savez-vous que j’avais échappé à l’attentat ?

Elsa se tape les cuisses.

— Tu reconnais ce gentleman ? questionne-t-elle en me désignant un des zèbres vautrés dans les fauteuils.

Je réprime une exclamation, car l’homme que je dévisage n’est autre que le journaliste qui insistait pour entrer à l’hôpital.

Il me salue d’un air moqueur.

— Tu parles, enchaîne le faux inspecteur, lorsque nous avons su que tu te tenais dans la loge du portier, nous avons tout de suite compris que tu étais capable de foncer au premier signal, c’est pourquoi nous avons dressé nos filets et tu es venu t’y prendre en courant…

— Tout ça c’est très joli, dis-je, mais vous devez bien penser que le message téléphonique a été enregistré. D’ici quelques minutes le bar des Mouettes sera plein de flics.

— La belle affaire ! sourit mon interlocuteur, le patron est un copain. Il a un boniment tout prêt pour tes petits amis qui sont au moins aussi ballots que toi.

Je me renfrogne.

— Ça va, je suis flambé ! Où est-ce que ça va se passer ?

— Tu espères encore t’en sortir ? Tu comptes sur un petit voyage comme l’autre soir pour tenter ta chance ?

Mes tireurs de la falaise grommellent des choses imprécises. Je les regarde d’un air amusé.

— Avouez que je vous en ai joué une bien bonne, mes chéris.

Ils serrent les poings.

— Laisse tomber, me conseille Elsa, ça n’est plus le moment de faire le flambard…

— C’est toujours le moment, ma cocotte en sucre. Surtout lorsqu’on a devant soi des espèces de pieds-plats comme vous tous.

Elle tressaille. J’aime les filles qui réagissent.

— Sois persuadée, ma jolie, que si je n’avais pas eu pour me seconder un empoté comme Martinet dont il est tant question, les rôles seraient inversés.

— Tu crois cela, poulet ?

— Fortement, oui, ma tigresse.

— Alors c’est que tu vis d’illusions.

— Chacun a son jardin secret.

— En tout cas, on va bientôt creuser un bath trou dans le tien et on t’y enterrera. Je te porterai même des fleurs. Tu as une préférence quelconque ?

— Comme bouquet, je voudrais des orties, c’est des plantes que j’aime avoir à portée de la main. Lorsque je me trouve en présence d’une donzelle comme celle qui est devant moi.

La môme Elsa grince des dents. Ses yeux flamboient.

— Vous ne liquidez pas encore cette pauvre gonfle ? demande-t-elle aux hommes.

Un grand caïd hausse les épaules.

— Il faut attendre Früger. Il veut dire deux mots à ce flic du diable.

Enfin, je vais voir le fameux espion. Tout me porte à croire, hélas, qu’on ne me laissera pas le loisir de discuter avec lui du traité des Pyrénées.

Je me mets à mon aise et j’attends.

*

On sonne à la porte.

— Le voilà, murmure Elsa.

Elle va ouvrir et revient aussitôt après, flanquée d’un homme entre deux âges, grand et élégant, qui a des yeux très clairs et l’air très courtois.

Il s’incline en m’apercevant.

— Heureux de vous connaître, commissaire. On peut dire que vous nous avez donné beaucoup de mal. Depuis votre arrivée à Marseille, notre petite organisation a vécu des heures mouvementées.

— Il n’y a pas qu’elle, dis-je, avec humeur. J’ai rarement vu des types aussi endurcis que vous. Comme collection de tueurs, ça n’est pas trop mal.