Выбрать главу

— Il a une bonne trogne, votre toubib, lui dis-je, comment le connaissez-vous ?

— C’est un ami de papa. Ils sont en affaires ensemble.

Elle m’apprend que son père possède un laboratoire de produits pharmaceutiques et qu’il fabrique une spécialité du docteur Silbarn, employée contre la chute des cheveux.

Comme je me fiche de la vie privée de son papa autant que de la première molaire de Mazarin, je laisse tomber le questionnaire. Je passe mon bras sur le dossier de la banquette. Et ce mouvement tombe très bien, car justement ma compagne a la tête appuyée contre. De la main je ramène sa chevelure blonde contre mon épaule et je regarde le soleil qui est en train de fondre dans la mer. Comme c’est beau !

J’ai la flemme de faire partager mon admiration à la petite, mais elle doit éprouver du vague à l’âme également, je le comprends à la façon dont elle se blottit contre moi.

Pour la première fois de ma vie, je me sens une âme de petit garçon et je ne pense à rien. Je savoure simplement un instant d’une extraordinaire qualité.

— Dites-moi, chérie, si nous allions nous promener dans les environs ?

— Ça tombe bien, approuve-t-elle, j’ai justement ma voiture.

La lotion capillaire doit rapporter gros, car Julia possède un joli petit carrosse. C’est une Talbot décapotable peinte en crème avec des coussins de cuir assortis.

— Voulez-vous conduire, Tonio ?

Je m’installe derrière le volant. Julia noue une écharpe de soie autour de sa tête et, comme tout à l’heure au café, appuie celle-ci sur mon épaule.

Nous roulons le long de la mer. Une brise embaumée flotte sur ce coin de paradis. Bientôt, nous sommes hors de la ville et nous atteignons un endroit escarpé.

J’arrête la Talbot. J’ai repéré en contrebas de la route une sorte de petite crique déserte, cernée de pins parasols et de roches rouges. Le coin fait un peu chromo de bazar, mais il est rudement gentil. Nous y descendons et nous nous asseyons sur la mousse.

— On est bien, dis-je à Julia.

Elle ne trouve pas ma phrase trop toquarde et me regarde d’un air chaviré.

— C’est pour moi que vous êtes venu, darling ?

— Oui, ma chouquette.

— Pour moi toute seule ?

— Parole d’homme.

— Oh ! murmure-t-elle, c’est merveilleux, chéri, tout à fait merveilleux.

Comme ses lèvres ne sont pas trop éloignées des miennes, je calcule la distance qui les sépare. Et je m’aperçois qu’il suffirait que j’incline légèrement la tête pour que cette distance-là n’existe plus. Julia fait un bout du chemin à ma rencontre.

*

Le soir tombe sur la mer, il s’y couche plutôt comme une chatte heureuse sur un coussin de soie bleue…

Comment trouvez-vous cette image ?

Il y a des types qu’on a flanqués à l’Académie française pour moins que ça. Je suis sûr que, si je voulais m’en donner la peine, j’arriverais à des résultats appréciables en littérature.

La nuit est complètement tombée lorsque nous quittons la petite crique.

Nous remontons dans l’auto, et je pédale à fond, car je veux passer à mon hôtel pour prendre un bain et me changer avant d’aller chez les ancêtres de ma sirène blonde.

Nous revoici à Nice, illuminée comme pour le carnaval.

Quelle belle ville !

Du reste, je suis dans un état d’esprit à trouver le monde entier épatant.

Vous croyez que c’est l’amour, vous ?

CHAPITRE III

Une digestion laborieuse

Je conseille à Julia de rentrer chez elle où je lui promets de la rejoindre une heure plus tard.

Nous nous séparons sur un dernier baiser.

Je traverse le hall de l’hôtel et vais demander à la caisse si un télégramme n’est pas arrivé à mon nom. L’escogriffe habillé en chef de jazz me tend un rectangle de papier bleu.

Je l’ouvre :

CONFRONTATION GÉNÉRALE

DES EMPREINTES NÉGATIVE

Donc, mon instinct ne m’avait pas trompé : le gang n’a pas été totalement anéanti. Donc, même en vacances, San Antonio est bien le type qui remplace la margarine.

Je me fais monter un cognac et je l’envoie en mission dans mon estomac tandis que coule mon bain.

Avouez que des flics aussi consciencieux, on n’en trouve plus que dans les manuels, car enfin me voici en vacances, largement pourvu de gloire, d’amour et d’argent, et rien ne m’oblige à me cailler le sang pour cette bande d’espions que j’ai dispersés. J’ai beau me pénétrer de ce raisonnement, mon cerveau est constitué de telle manière qu’il ne peut fonctionner vraiment qu’au service d’une énigme.

Et comme énigme ça se pose là.

Je reprends mon raisonnement par le manche. J’ai téléphoné au Colorado ; après moi quelqu’un a utilisé l’appareil pour donner l’ordre à Batavia de me buter. Ce quelqu’un était un chef, pour prendre une décision pareille. Or ses empreintes ne correspondent avec aucune de celles prélevées sur les membres, morts ou vivants de la bande. En conséquence, il reste un personnage en circulation, dont la place est derrière de solides barreaux ou mieux encore, devant douze canons de fusils. Eh bien, moi, je vous le dis, tant que ce dégourdi-là ne sera pas nourri aux frais du gouvernement français, je ne serai pas tranquille.

En grommelant, je prends mon bain. Puis je m’habille. Je mets une chemise bleue pervenche avec une cravate jaune pâle et un costume de flanelle bleu roi. Si vous pouviez me voir, ainsi sapé, vous téléphoneriez aussitôt à tous les tailleurs de France pour essayer de dégoter le même ensemble.

Je mets un peu de parfum sur mes revers. C’est un machin assez subtil qui s’appelle Vitalité. Lorsque je le renifle, je pense à des trucs tout à fait romantiques.

Me voilà fin prêt. Je passe un coup de bigophone au portier pour lui demander d’aller me chercher des fleurs et de me commander un taxi.

*

Les parents de Julia se nomment Nertex. Ils possèdent une baraque un peu moins grande que le palais de Versailles dans les environs de Nice. Ce sont des gens charmants, un peu maniérés peut-être, mais qui ont la notion de l’hospitalité poussée à un très haut degré.

Je fais un baisemain à la maman en fermant les yeux pour ne pas être aveuglé par l’éclat de ses brillants et je me laisse broyer les cartilages par le dab. Ce brave homme me congratule pour m’exprimer sa reconnaissance. Il profite de l’occasion pour laver la tête à Juju qui, à son avis, a l’esprit trop indépendant.

La dame de mes pensées a l’air de se moquer des remontrances paternelles comme d’une tranche de melon gâté. Elle me couve d’un regard tendre qui me fait passer un voltage terrible dans l’épine dorsale.

Enfin, nous passons à table en compagnie du docteur américain qui ressemble à un gorille. Le menu est savoureux. Il y a des médaillons de bécasse, un gratin de langoustes et du chevreuil en civet. Je mange deux fois de tout. Je crois que ma promenade en voiture m’a ouvert les portes de l’appétit à deux battants. Je raconte mes enquêtes. Grâce au Pommard 1928, je trouve des anecdotes sensationnelles qui font frémir ces dames et s’exclamer les hommes.

Je passe une excellente soirée. Pour couronner ce dîner digne des chevaliers de la Table ronde, M. Nertex dit au maître d’hôtel d’apporter la fine Napoléon. En même temps, il me présente une boîte de cigares aussi grande que la caisse d’une machine à écrire portable. Ce sont des cigares brésiliens, tellement gros qu’une fois que j’ai achevé le mien, on pourrait jouer à la grenouille avec ma bouche.

L’ambiance est très réussie. Lorsque je prends congé de ces messieurs-dames, sur le coup de minuit, je suis dans un état euphorique épatant. Je décide de regagner mon hôtel à pied, afin de pouvoir me gaver d’étoiles et de brise parfumée. Et puis, entre nous, rien de tel qu’un peu de footing lorsqu’on a bien mangé et bien bu.