Je fais mes adieux. Ceux-ci ne sont pas trop émus, car les parents de Julia me réinvitent pour le lendemain. Ils me proposent même de passer la durée de mes vacances chez eux, mais je refuse car je tiens à ma liberté. Je leur serre la pogne et Julia me dit qu’elle me téléphonera le lendemain afin de convenir d’un rendez-vous pour l’après-midi.
J’avance tranquillement sur la route. D’où je suis, je domine la ville et j’aperçois la mer qui tremblote sous la lune. De temps à autre, je m’arrête pour goûter la magnificence du paysage et la majesté de la nuit. C’est une phrase que j’ai lue dans un bouquin de Claude Farrère, et, comme je l’ai trouvée jolie, je l’ai apprise par cœur. Je respire à pleins poumons. Il faudra que j’envoie une carte postale à Félicie demain matin.
Parvenu à mon hôtel, je me couche et m’endors.
Je ne saurais vous dire ce qui m’a éveillé…
Je crois que c’est l’instinct de conservation, si développé en moi. Toujours est-il que je reprends mes esprits avec une vague sensation d’angoisse. Est-ce le bon dîner des Nertex qui me donne des troubles d’estomac ? J’allume et je me mets sur mon séant. La lumière ne calme pas mon appréhension, je trouve la pièce plus hostile. Je me lève et examine la porte : le verrou est tiré. Je vais à la fenêtre ; les volets sont mis et il n’y a pas de balcon. Je jette un coup d’œil dans la salle de bains ; celle-ci est vide.
Alors ?
Alors, il se peut que je sois un vieux croquant, et pourtant, la petite sonnerie d’alarme qui tinte en moi ne se calme toujours pas. Je regarde ma montre : il est minuit et demi. Je la repose sur le marbre de la table de chevet et allume une gitane.
Le mieux qu’il me reste à faire est encore de me faire grimper un flacon de cognac et de le vider. Peut-être qu’après je m’endormirai normalement. Pourtant, je devrais pioncer ferme, avec la longue trotte que j’ai faite à pied.
Je m’arrête pile de penser et de bouger. D’un seul coup, je comprends trop de choses à la fois. Il me faut un bon moment pour ordonner, pour canaliser cela en moi. Voilà : je viens de songer à la longue promenade du retour, il m’a fallu au moins une heure pour revenir de chez Nertex, et, lorsque j’en suis parti, il était plus de minuit, donc ma montre me bourre le crâne en m’indiquant minuit et demi. Vous me suivez bien ? Or, si elle marque minuit et demi c’est qu’elle est arrêtée, et si elle est arrêtée, ce n’est donc pas son tic-tac que j’entends.
Ma respiration se coince. Mon ouïe devient l’organe capital de mon individu. J’entends ce bruit, ce battement de cœur artificiel qui n’est pas celui d’une montre et qui a frappé mon subconscient. Un bruit qui me rappelle quelque chose… c’est-à-dire le tic-tac d’une bombe.
Je me rends à l’évidence ; il y a une bombe dans ma piaule ! À force de prêter l’oreille, son bruit, pourtant imperceptible, est un fracas pareil à celui des chutes du Niagara.
Mon premier réflexe est de me tirer à la vitesse d’un avion à réaction, mon second (celui du flic) est de chercher la bombe. C’est à ce dernier que j’obéis. Je me fiche à quatre pattes et je regarde sous le lit. Je ne vois rien. Cependant le tic-tac est là… tout près. Mes cheveux se hérissent. Peut-être que dans un cent millième de seconde je vais être réduit en si petits morceaux que les pompiers seront obligés de passer du papier buvard sur les murs pour me récupérer. J’ouvre le tiroir de la table de chevet : rien non plus. Je m’affole. Où ces enfants de ceci et cela ont-ils planqué leur tabatière à remontoir ? Je soulève le matelas : la bombe est là ; douillettement couchée sur le sommier. Heureusement, j’ai aussi des talents d’artificier. Je commence par couper le fil qui unit le détonateur à l’explosif, puis je désamorce l’engin. Après quoi je vide ma boîte à chaussures et je place la bombe à l’intérieur.
J’éponge mon front emperlé et je vais achever ma cigarette à la fenêtre, histoire de réfléchir à cette nouvelle aventure.
Ensuite, je me recouche et j’en mets un coup pour de bon !
CHAPITRE IV
Des idées à moi
Le lendemain, lorsque je saute du lit, je m’aperçois que j’ai un fameux retard sur le soleil. Il est, en effet, plus de dix heures. Je fais ma toilette en sifflotant, et j’achève tout juste de me laver les dents au moment où le téléphone sonne. C’est Julia.
— Hello ! Tony ! gazouille-t-elle, vous avez bien dormi ?
— Très bien, j’ai même rêvé à une colombe de mes relations.
— Ah ! Ah ! Et peut-on connaître le thème général de votre rêve ?
— Si je le racontais par téléphone, toutes les demoiselles des PTT donneraient leur démission et viendraient regarder de près comment c’est foutu, un type qui possède une pareille imagination.
— Sans blague !
— C’est comme je vous le dis !
Je l’entends rire, à l’autre bout. Son rire ressemble au bruit d’une source. Je me souviens avoir fait cette comparaison dans une composition française, et le prof m’avait balancé dix sur dix. Je l’imagine — pas le prof, mais Julia — avec son déshabillé qui doit être rose ou bleu. Il me semble que je tiens ses cheveux dans mes doigts et que je les fais couler sur mes mains comme de l’or en fusion. Une fille pareille, croyez-moi, c’est quelque chose. Et si vous pouviez vous en faire une idée précise où que vous soyez, vous prendriez l’avion pour Nice.
Nous échangeons des paroles définitives, lesquelles ne vous regardent pas. Enfin, je me décide à raccrocher après avoir fixé rendez-vous à la femme de ma vie à midi, car nous devons déjeuner ensemble.
Je ne m’inquiète pas outre mesure pour l’attentat de cette nuit. Il m’en faut davantage pour me faire perdre le nord.
Je finis de me harnacher et je sors de ma délicieuse chambrette en tenant ma boîte à chaussures sous le bras.
Maintenant, il faut que je vous dise que si vous pensez que je vais à la pêche sous-marine avec ma petite bombe à retardement sous le bras, vous vous trompez royalement.
Je descends à la caisse et je demande à parler au gérant. On me fait entrer dans un petit salon discret, avec des airs de conspirateurs, et on me conseille de me laisser glisser dans un fauteuil en attendant.
Un quart d’heure plus tard, le gérant s’amène, il a un sourire si mielleux qu’on est surpris de ne pas voir une douzaine de mouches posées dessus. En se frottant les mains, il me demande ce qu’il y a pour mon service.
— Monsieur, lui dis-je, j’ai roulé ma bosse aux quatre coins du monde. J’ai couché dans les plus baths hôtels d’Amérique comme dans les plus sales bouges d’Italie. J’ai vu des quantités de plumards : des rembourrés et des affaissés. J’ai trouvé dans ces lits une foule de bestioles et d’objets : des puces, des cafards, des punaises, des scorpions, des hannetons, des portefeuilles, des dentiers, des pistolets et d’autres choses que je j’oserai pas vous nommer parce que je suis poli, mais jamais, vous m’entendez ? jamais il ne m’est arrivé de découvrir une bombe dans mon pageot.
Ce disant, je couronne ma péroraison en ouvrant ma boîte à chaussures.
Il y penche son nez pointu et se met à contempler ma trouvaille avec les yeux d’une cigogne qui découvrirait un chauffe-bain dans son nid.
Il est évident que ce gentleman n’a jamais fait la guerre et qu’il s’y connaît autant en armes variées que moi en gynécologie.