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— Co… comment, bégaye-t-il, vous avez trouvé ça…

— Dans mon lit, oui.

— Et c’était chargé ?

— Je l’ai désamorcé de mes mains.

— C’est inimaginable.

— Et pourtant, c’est vrai.

Je me repais un moment de son air abasourdi et lui pose la main sur l’épaule.

— Écoutez-moi, mon bon monsieur. Je suis le commissaire San Antonio, et j’ai l’habitude qu’on me fasse des blagues. Seulement, j’ai la faiblesse, assez compréhensible, n’est-ce pas ! de vouloir en découvrir les auteurs. Je ne tiens pas à faire du scandale, et il n’y aura aucun tam-tam autour de votre boîte si vous m’aidez.

Il se plie en deux à tel point que je crois qu’il va embrasser ses godasses et il commence à me faire un baratin, aussi long qu’un rapport d’huissier, pour m’assurer de son entier dévouement.

— C’est bon, lui dis-je, non sans noblesse. Commençons donc par le commencement : êtes-vous sûr de votre personnel ?

— Comme de moi-même. Ce sont des garçons d’étage attachés depuis plusieurs années à l’établissement.

— Soit. Qui donc alors peut avoir accès aux chambres ?

— Personne.

— Personne ! Venez avec moi.

Je l’entraîne dans le hall et lui fais signe de ne pas bouger. Je m’approche de la caisse et je dis, d’une voix morne : « 28 ». Docilement le portier me tend le 28.

Je reviens auprès du gérant.

— J’ai la chambre 27, lui dis-je, et pourtant voici la clé du 28. Il y a deux cents chambres dans votre clapier, comment voulez-vous que le préposé au tableau se souvienne des locataires de chacune ?

Mon interlocuteur se gratte le blair d’un air gêné. Ma petite démonstration le laisse baba, cet homme.

— Alors ? questionne-t-il, vous pensez qu’un des locataires de l’hôtel a utilisé votre clé ?

— Sans doute. À moins, cependant, qu’il n’ait eu un passe-partout, vos serrures ne sont pas très compliquées.

— Qu’allez-vous faire ?

— Attendre. La nuit prochaine, vous allez me donner la chambre située en face de la mienne, sans toutefois louer cette dernière. Et je veux que personne, vous m’entendez ? personne ne soit au fait de ce déménagement.

— Comptez sur moi, monsieur le commissaire.

Je le salue d’un petit signe de tête et je quitte l’hôtel en fredonnant un air de boogie-woogie.

*

Je vais à Air France pour étudier les horaires des Dakotas pour Marseille. Je constate qu’en partant à deux heures de l’après-midi de Nice, je pourrais être de retour à huit heures ce soir. Tout va bien.

Oublions les préoccupations de l’heure et allons au rendez-vous de ma princesse lointaine.

Justement, elle m’attend déjà dans une petite robe mauve qui semble peinte sur elle tellement elle la moule. Ses yeux ressemblent à deux pastilles de nuit d’été, découpés dans du satin. Je vous jure qu’au bras de cette gosse, on n’a pas l’air d’un marchand de frites.

Nous échangeons des politesses d’usage avant d’aller déjeuner. J’ai une faim de cannibale. À vrai dire, j’ignore si les cannibales ont de l’appétit, il faut croire que oui, étant donné les denrées qu’ils se glissent sous les molaires.

Nous passons deux heures exquises. Non seulement Julia est belle à commotionner un centenaire, mais c’est aussi une des filles les plus spirituelles que je connaisse.

Je lui demande la permission de la laisser choir et je me fais conduire à l’aéroport.

CHAPITRE V

Conversations

Au moment où je pénètre dans le bureau de Favelli, celui-ci est en train de questionner un prévenu. Je me rends compte que mon collègue n’est pas un garçon absolument patient, car il flanque autant de beignes sur le museau de son client qu’il y a de virgules dans ce livre.

En me voyant entrer, il se lève.

— San Antonio ! Déjà de retour !

Je lui en serre cinq.

— Il ne s’agit que d’un petit raid, je reprends l’avion pour Nice tout à l’heure, mon bon. Ce soir, je dîne dans le monde.

— Et qui me vaut la joie de vous revoir ?

— C’est toute une histoire.

Il m’envoie une bourrade.

— Comme d’habitude, hein ? Sacré farceur !

Il ordonne à ses poulets d’aller mettre au frais son loustic et il me fait signe de poser la partie de mon individu destinée à cet usage sur son fauteuil tournant, tandis que lui-même s’assied à califourchon sur une chaise.

— Alors ?

En détail, je lui relate l’attentat dont j’ai été victime cette nuit.

Il m’écoute sans bouger les lèvres, puis il me demande très gravement :

— Entre nous, mon cher ami, vous n’avez jamais eu envie d’envoyer balader la police ?

— Si, lui dis-je, très souvent, lorsqu’on discute mes notes de frais.

— Phénomène, va ! En somme vous êtes venu ici avec une idée précise en tête ?

Je déballe ma boîte à chaussures et j’en sors la bombe.

— Il se peut qu’il y ait des empreintes, là-dessus…

— Parbleu…

Il passe un coup de tube au laboratoire et y fait porter l’engin par un de ses sous-fifres.

— Dans quelques minutes nous serons fixés.

Pour tuer le temps, nous grillons des cigarettes.

— Vous croyez, s’informe-t-il, que la bande n’est pas entièrement détruite ?

— Il me semble que la preuve nous en a été fournie.

— Certes, mais une chose me trouble et me chiffonne, San Antonio, c’est que, malgré que votre enquête soit terminée, on cherche à vous faire le coup du père François. C’est maladroit, car, en se manifestant, ces espions, non seulement nous prouvent qu’ils ne sont pas tous arrêtés, mais encore ils nous provoquent.

— Oui, dis-je, votre remarque est pertinente, Favelli, seulement il y a un hic : les membres du gang qui demeurent en liberté ne savent peut-être pas que j’ai terminé mon enquête.

Je fais pivoter mon fauteuil et je mets mes pieds sur un siège voisin. J’allume une nouvelle gitane.

— Ce n’est pas tout ça, poursuis-je : vous allez être gentil et téléphoner à la police de Nice pour lui dire qu’elle m’accorde toute l’aide dont je peux avoir besoin.

Il décroche et réclame Nice au standard. On le lui donne presque aussitôt. Je n’écoute pas toute la kyrielle d’éloges qu’il débite sur mon compte. Je trouve plus passionnant de réussir des ronds de fumée. J’en suis à mon douzième, lorsqu’il se tourne vers moi, l’air satisfait.

— Les voici prévenus, assure-t-il. Vous pouvez faire appel à eux à n’importe quelle heure et dans n’importe quelles circonstances.

— Parfait !

On frappe à la porte vitrée. C’est un garçon du labo qui apporte les résultats. Il me tend un cliché tout frais.

— L’homme qui a manipulé cette bombe était ganté, dit-il. Malheureusement il a fait un accroc à son pouce gauche en branchant le détonateur. Il portait des gants de daim, nous en avons remarqué des parcelles après le fil du détonateur. Il a laissé une empreinte assez bonne sur la partie de la bombe destinée au réglage.

— C’est tout ? questionne Favelli.

— C’est tout, commissaire.

Mon collègue a la même pensée que moi. Il ouvre un dossier et en sort une autre photographie d’empreintes. Je n’ai pas de mérite à deviner qu’il s’agit de celles découvertes sur l’appareil téléphonique au Colorado.

— Regardez !

Je me penche sur les images. Il n’y a pas besoin de sortir de Sorbonne pour constater que ce sont les mêmes.