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Un orage se déclenche brusquement. Ce n’est pas grave, mais je décide néanmoins de repasser à mon hôtel afin d’y prendre la chouette gabardine que Félicie — ma brave femme de mère — m’a offerte pour mon anniversaire. Je grimpe dans ma chambre et l’endosse ; c’est un imper d’officier américain couleur caca d’oie avec des épaulettes et des boutons tout ce qu’il y a de marrant. Comme Félicie ne fait jamais rien à moitié, elle m’a acheté, en même temps, un chapeau imperméable, à l’intérieur duquel je pourrai, quand je serai à la retraite, élever des poissons rouges.

Ainsi affublé, je ressemble au général MacArthur, d’autant plus que, depuis ma dernière enquête sensationnelle, j’ai laissé pousser ma moustache.

Je me baguenaude sous les arcades en reluquant les magasins. Je me dis de plus en plus que les Ritals ne sont pas trop maladroits, parce que, pour des gars qui ont porté Adolf en triomphe, ils ont tout ce qu’il leur faut pour se remplir la panse, pour se relinger et, oh merveille, pour fumer. Je me précipite dans un tabbaccaio et j’achète une boîte de sigari.

Je ne sais pas si vous avez assez de jugeote pour vous en apercevoir, mais je me mets à apprendre l’italomuche à toute vitesse.

En sortant du bureau de tabac, je jette sur le cours un de ces coups d’œil en lance-flammes dont j’ai le secret et je découvre ma bouille de pinceau usagé dans les parages. Cet affreux Tacaba ne me perd pas de vue. J’ai dans l’idée que si je lâche le guidon un seul instant, il m’assaisonnera à sa manière, laquelle, croyez-moi, manque de douceur. Pourtant, n’allez pas croire que j’aie les jetons ; c’est pas une machine à distribuer des bouts de plomb, comme le Mexicain, qui fera perdre de sa superbe à San Antonio. Si ce gorille me cherche, il va me trouver avant que le Vésuve soit transformé en vélodrome. J’en ai connu des plus coriaces à qui j’ai fait manger leurs dents.

Je regarde ma toquante et la mets à l’heure italienne ; après quoi je me dis que huit heures moins le quart est une bonne heure pour s’empiffrer des spaghetti. Je choisis un restaurant sympathique. Il y a du monde à la terrasse couverte ; des gens légèrement vêtus, aux yeux luisants. Je vous le dis, c’est un peuple curieux que celui-ci. Les hommes ont un air de se ficher de tout qui vous donne envie de vous asseoir par terre et d’attendre la fin du monde en fumant et en rêvassant à de belles mômes au soleil. Si les femmes ne sont pas toutes des reines de beauté, les bonshommes, par contre, ont des bouilles de dieux de l’Olympe.

Je m’installe à une table, au fond de la salle, après avoir accroché mon imperméable et mon galure au portemanteau. Je continue à reluquer les chalands. Je remarque que les jeunes garçons portent des gilets de couleur dont le dos est en laine et le devant en velours ; en général ils sont rouges et verts, ou bien jaunes et bleus, car les copains qui habitent la Botte n’ont pas particulièrement le sens de la discrétion.

Il faudra que je m’offre un truc comme ça ; je le mettrai à Paname pour aller à la pêche, ça épatera les copains.

Le maître d’hôtel s’approche de moi. Il a une tête de veuf inconsolable ; je l’imagine davantage derrière un corbillard que dans un établissement de ce genre.

J’ai l’impression qu’il va me serrer la main en pleurant. Aussi, je me dépêche de faire mon menu, pour me passer l’envie de lui présenter mes condoléances.

— Vous parlez français ?

— Parfaitement, monsieur.

— Alors, qu’est-ce que c’est que de la baccala ?

— De la morue salée.

Je commande des spaghetti et des rognons à la milanaise, parce que, en ce qui concerne ces plats, je sais de quoi il retourne. Je me rattraperai sur la pâtisserie qui est excellente de l’autre côté des Alpes.

Je m’alimente tranquillement. Pour l’instant, Tacaba a disparu. Peut-être que ça lui a donné faim de me voir lire le menu et qu’il est allé s’acheter un sandwich. Peut-être aussi qu’il me prépare un petit récital de Luger qui ne sera pas dans une musette. Il paraît que ce brave cœur peut, à cinquante pas, enlever l’oreille d’un type, sans même déranger ses favoris. Quoi qu’il en soit, je m’expédie mes spaghetti franco de port et d’emballage… Félicie m’ayant toujours enseigné que se remplir convenablement l’estomac est une des plus belles obligations humaines.

Le chianti n’est pas mauvais. Celui-ci a un petit goût de pierre chaude pas désagréable du tout. J’en boirais une pleine citerne sans m’en rendre compte. Je liquide ma fiashe afin de pouvoir examiner l’étiquette du fond tout à mon aise ; après quoi je déguste une tranche napolitaine extra et j’allume un cigare à peine moins gros que la colonne Vendôme.

Comme ça la vie est au poil, et le gars qui viendrait me soustraire à ma béatitude pour me dire le contraire serait aussi bien reçu qu’un encaisseur du gaz qui sonnerait à la porte d’un monsieur en train d’expliquer à sa fiancée les rudiments de la vie conjugale.

Vous comprenez ?

Bon.

Il va être bientôt neuf heures et il y a toujours autant de peuple sous les arcades. Je ne me lasse pas de contempler le va-et-vient ; tous ces visages, toutes ces nippes colorées composent une sarabande qui, la fatigue du voyage aidant, m’envoûte littéralement.

Tout à coup, je crois avoir une hallucination : mes yeux se sont posés sur un type qui sort du restaurant d’un air pressé ; or, chose prodigieuse, j’ai l’impression que le type en question c’est moi. Comme heureusement ma matière grise fonctionne à la vitesse d’un avion à réaction, je réalise que la ressemblance inouïe vient tout simplement de ce que cette crème de salopard a fauché mon bath imperméable et mon chapeau aquarium. Je me mets à braire comme un âne à qui on aurait fait manger un poivron rouge. Je renverse ma chaise et bondis dehors, suivi par le croque-mort-maître d’hôtel qui me poursuit en brandissant un papelard et en glapissant :

— Il conto ! Il conto !

Je me dis que si je ne règle pas l’addition illico, toute la population de Torino va me tomber dessus et me passer au presse-purée. Aussi, sans cesser de courir, pour ne pas perdre mon zigoto de vue, je sors un billet de mille lires de ma poche et je le tends au garçon. Comme par enchantement, celui-ci s’essouffle et découvre qu’il n’a plus assez de jambes pour me rendre la monnaie.

Le voyage débute bien ! Après m’être aperçu qu’on a collé un tueur à gages à mes chausses, voilà qu’un Rital trouve mon imperméable à son goût. Quel pays !..

Le voleur s’est aperçu que je jouais à Police-Secours. Aussi s’est-il mis à courir. Courir n’est pas le mot, à marcher vite devrais-je dire. Et pardon, comment qu’il connaît le patelin, ce mandolinier ! Il attrape des rues mal éclairées, traverse les carrefours au plus fort de la circulation, s’esbigne derrière les arcades. C’est un fortiche ; si je ne mets pas le grand développement, je vais être jojo pour ce qui est de récupérer mon bien.

Précisément, je parviens au bout d’une rue. Je pousse un rugissement, le rascal a disparu ; il n’y a pas plus de type en imperméable dans les environs que d’alligator dans la boutique d’un teinturier-dégraisseur. Je me suis laissé posséder comme une rosière un jour de Quatorze Juillet.

Je m’arrête pour respirer et dès que j’ai repris mon souffle, je me mets à m’enguirlander copieusement. Je me traite d’un tas de noms qui ne sont pas tous dans le dictionnaire. Si M. Larousse m’entendait, il se dirait que son bouquin retarde passablement.

Soudain, je ferme mon appareil et je dresse l’oreille. Un bruit très particulier vient de résonner dans le voisinage.