Ce genre de bruit-là, je vous le garantis, c’est un coup de pistolet à canon scié, sans aucun doute. En fait d’armurerie et de balistique, j’en connais aussi long que la rue de Rivoli. M’est avis que l’endroit est malsain et qu’il faut prendre garde à la peinture.
En rasant les murs, je me dirige dans la direction d’où vient la détonation. Je parcours quelques mètres ainsi, dans l’ombre, et je découvre brusquement, sous un porche, le corps d’un zigoto.
Je sors ma lampe électrique-stylo et j’en dirige le faisceau sur le type étendu par terre. Je le reconnais, c’est mon voleur ; il est mort comme il n’est pas possible de l’être : une balle en pleine poire, ça doit être du 9 mm, car sa tronche a éclaté comme une vieille noix de coco hors d’usage. Mon imperméable est rouge de sang et il a sa cervelle dans mon chapeau. Décidément, je n’élèverai jamais de poissons rouges dans ce galurin.
Je réfléchis ferme, vous pouvez m’en croire, et j’arrive à une déduction lourde de sens : Tacaba avait l’ordre d’arrêter mes comptes de fin d’année avec une balle bien administrée. Mon voleur l’a trompé, grâce à l’imper et au chapeau faciles à repérer ; dans l’obscurité, le tueur s’est gouré (heureusement pour le fiston à Félicie) et c’est le pickpocket qui a écopé.
Ceci pour vous prouver une chose, c’est que bien mal acquis ne profite jamais, ainsi que le répétait mon vieux maître d’école.
Si cette figure de fifre n’avait pas eu l’idée de vouloir s’offrir mes fringues, il serait peut-être confortablement assis au Café Piémontais, au lieu d’être ratatiné sur ces marches. Il écouterait la belle pépée de tout à l’heure dans son répertoire. Il reluquerait ses gambettes qui composent la plus belle paire de jambes de Turin.
Alors que maintenant il a la tête aussi grande ouverte que les Galeries Lafayette un jour de vente réclame, et les doigts de pied en bouquet de violettes.
CHAPITRE II
Pas pour cette fois
Il y a des individus qui sont marqués par le destin ; j’en connais un ; dans l’intimité je l’appelle Bibi. En ce monde, il existe des pégreleux qui sont nés pour balayer le trottoir, d’autres pour vendre des bananes et d’autres encore pour manipuler des sulfateuses à répétition. Cela fait une paie qu’en ce qui me concerne, partout où je passe, la nature se transforme en cimetière.
Je regarde avec apitoiement la pauvre gonfle qui vient de se faire descendre et je m’évanouis rapidos en direction de mon hôtel.
Parvenu dans ma piaule, je tire le verrou et je m’allonge sur le lit pour réfléchir convenablement.
Il serait p’t-être temps de vous tuyauter un brin sur l’affaire qui a motivé mon déplacement en Italie. Je suppose que vous êtes tous une bande de navetons menant une vie pénarde et que vous vous y connaissez en matière d’espionnage à peu près autant que moi en matière de cosmographie ; néanmoins, pour ceux qui n’auraient pas le cervelet en iridium, je dois donner quelques explications.
Les voilà :
Début juillet, une bande organisée a fauché à Paname des plans concernant une nouvelle utilisation de l’énergie atomique. L’affaire a été étouffée soigneusement, le Conseil des ministres ayant estimé que, depuis trop longtemps, les Français passent pour des clochettes. Néanmoins, elle est extrêmement grave.
Une rapide enquête des services spéciaux a prouvé que le coup avait été réalisé par une bande organisée, composée des plus baths spécimens de gangsters qui aient jamais tenu un feu en Europe et en Amérique. Il a été prouvé que ces oiseaux de malheur se sont taillés en Italie et que c’est à Rome qu’ils comptent mener les négociations avec des puissances étrangères pour vendre le produit de leur larcin.
Comme on estime que le gars San Antonio n’est pas trop maladroit, c’est moi qu’on a expédié de l’autre côté des Alpes pour essayer de limiter la casse.
Le gouvernement français est entré en contact avec le ministère des Affaires étrangères d’Italie, afin de solliciter son appui. Ce dernier a promis de me prêter un concours total. Mais, malgré cette promesse, je suis résolu à agir seul, because les événements ont toujours prouvé que si les Ritals sont fortiches pour la mandoline, il vaut mieux, dans les cas très graves, compter sur un vieux soutien-gorge que sur eux pour vous soutenir.
Mes chefs m’ont expliqué que la patrie comptait sur moi et ils m’ont servi un tas de boniments tricolores, mais à travers leur salade, j’ai compris que si je ne remportais pas la victoire, je n’aurais plus qu’à me présenter aux services de la voirie afin de me faire évacuer avec les ordures dans le coin où on fabrique l’engrais.
Jusqu’ici, j’ai fait une découverte : c’est que la bande que je pourchasse a été informée de ma présence en Italie et qu’elle a décidé de me faire délivrer un billet d’aller simple pour le Père-Lachaise.
L’enfant se présente mal, vous en convenez ? Je croyais arriver sur la pointe des pieds et voilà que je suis attendu par les artificiers. Heureusement que je dispose d’un répit. En effet, Tacaba, à l’heure actuelle, doit être persuadé que je suis en route pour le purgatoire. Il s’agit donc d’utiliser cette illusion provisoire.
J’attrape mon indicateur et je le compulse vivement. Je découvre qu’il y a un train pour Rome dans une heure, et je suis persuadé que mon tueur va le prendre.
Question de déduction et de psychologie. En effet, quel est le souci dominant d’un gars qui vient d’en étendre un autre ? Se planquer en mettant le plus grand nombre de kilomètres entre le cadavre et lui. Donc, ce bédouin se prépare à quitter Torino pour rejoindre sa bande à Rome.
Je peux me fier à mon raisonnement.
Le temps de réciter un quatrain et mes bagages à peine défaits sont prêts à reprendre la piste. J’explique à l’hôtelier qu’il y a trop de bestioles non homologuées sous le couvre-pied et que je préfère m’évacuer.
Il se met en colère et m’assure « qué lé signore il dité des choses qu’elles étaient honteuses ».
Je pousse la porte sans attendre la fin de ses litanies.
Rappelez-vous que je suis un drôle de futé. La preuve en est que malgré que tout soit complet dans le train de Rome, j’arrive à me faire cloquer une couchette. C’est pas que je tienne tellement à mes aises, mais je me dis que je serai moins en vue dans un wagon-lit que dans un compartiment ordinaire. Le préposé du guichet à qui je demande « una carrozza con letti per Roma » en me demandant si mon petit manuel d’italien parlé ne me fiche pas dedans, me répond que c’est complet. Aussitôt je me triture le caberlot pour savoir comment je vais expliquer à cet endoffé qu’il n’y a jamais eu un train complet pour San Antonio. Mais je le regarde et je constate illico que son angle facial ne me revient pas ; j’ai autant de chances de m’entendre avec cet appareil distributeur qu’une clef à molette avec une demi-livre de sel gros. Je n’insiste pas et m’adresse à un type qui, à en juger par ses galons, doit être général au Honduras ; ça tombe au petit poil parce qu’il s’agit du sous-chef de gare. Je lui montre un billet de cinq cents lires, et, comme par enchantement, il se met à parler français. J’en profite pour sortir ma carte et alors c’est du délire, ce brave homme enlève son képi, ce qui me permet de constater qu’il est chauve comme un hanneton. Je lui affirme que, s’il peut m’avoir une couchette, je lui offrirai, en échange, le billet que je tiens à la main, ma sympathie et un flacon de Lacpène pour faire repousser ses crins.