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— Merci.

Je sors des locaux de la police en sifflotant La Marche turque, ce qui, chez moi, est un signe d’évidente satisfaction.

*

À deux heures de l’après-midi, je me mets en campagne. Je viens de croquer une timbale de macaroni rudement fameux ; de quoi s’embaucher dans une usine de pâtes alimentaires jusqu’au Jugement dernier. Et je me sens d’attaque.

Moi, rien qu’à la pensée qu’il y a dans la Ville Éternelle une tripotée de zouaves qui rêvent de se faire une descente de lit avec ma peau, je me sens fringant comme une pouliche à qui on aurait fait boire du champagne. Je passe à mon hôtel et j’ai la satisfaction d’y trouver la photo de Tacaba. Je dois reconnaître que le photographe possède à fond son métier, car il a su donner au visage du gorille ce qui, avec la beauté, lui fait présentement le plus défaut : la vie. J’enfouis l’image dans mon portefeuille et je me donne le signal du départ. Direction ? La place Victor-Emmanuel-II.

Je ne me caille pas trop le sang pour dénicher le café où Luigi prétend avoir aperçu Tacaba. C’est un petit coin d’apparence honnête. Imaginez une grande salle tapissée de rouge, à l’entrée de laquelle pend un rideau de perles. Il n’y a personne à ces heures, excepté le patron, une espèce d’hippopotame plus gras qu’une soupe au fromage et qui dort sur son ventre comme sur un édredon.

J’ai beau tousser, il ne se réveille pas ; il doit avoir des aptitudes solides pour la sieste.

Je me décide à crier un bon coup.

— Hep ! signore !

Mais il ne bronche pas. Je m’apprête à le héler à nouveau, lorsque j’aperçois quelque chose qui dépasse de sa veste, en haut du dos. Ce quelque chose n’est autre que le manche d’un poignard. Je touche le front du bistroquet, il est froid comme une glace à la vanille. Je pousse le juron le plus volumineux qu’on a jamais balancé à cinq cents mètres du Vatican. Si je tenais le crocodile galeux qui a délivré au gros homme une carte d’abonnement pour le purgatoire, je crois que je lui cognerais dessus jusqu’à ce qu’à côté de lui une limande paraisse plus épaisse qu’un canot pneumatique.

Je passe dans l’arrière-salle : personne.

Le mieux est de prévenir la police, mais il me vient une autre idée. Je sors sur le trottoir et je fais signe à un sciuscia. Le gamin se précipite sur moi. Réunissant tout ce que je possède d’italien, j’essaie de lui expliquer ce que j’attends de lui. Néanmoins, quoiqu’il me semble assez déluré, il ne comprend rien à mon charabia. Tout à coup le gosse a une idée de génie :

— Do you speak English ? me demande-t-il.

Comme je parle l’anglais à la perfection, je me fends la bouille.

— O.K.

Je tends une carte de visite au lardon. J’y ai inscrit l’adresse de Luigi Sorrenti, accompagnée de cette simple phrase : « Venez presto au café que vous m’avez indiqué ce matin. »

Puis je tire un billet de cent lires, je le partage en deux et tends une moitié au sciuscia en lui expliquant que l’autre moitié lui appartiendra lorsque la course sera faite. J’ai appris à être méfiant.

En attendant l’arrivée de Sorrenti, je débouche une bouteille de Martini, malgré que ce ne soit pas précisément l’heure de l’apéritif, et je m’asperge le tube digestif. Je me dis que mon enquête n’a pas encore commencé et qu’il y a déjà trois cadavres à mettre au frais. Quand je vous disais que partout où je passe le monde se transforme en cimetière !

Tout de même, ça me paraît étrange qu’on ait buté le patron de ce café. En effet Sorrenti, seul, savait qu’il pouvait m’être utile, mais il serait ridicule d’en déduire qu’il est pour quelque chose dans cet assassinat car personne ne le forçait à me signaler l’incident de la bagarre dans cet établissement. Non, pour une fois, je crois à une coïncidence. Ce n’est pas à cause de moi, pour éviter qu’il parle, qu’on a expédié le cabaretier au pays des fantômes, mais pour d’autres motifs. Je retourne dans l’arrière-salle et je me mets en devoir de perquisitionner. Je découvre un pistolet dans une boîte à sel, et je me marre en songeant qu’en guise d’assaisonnement, ça se pose un peu là. Excepté cette arme, je ne trouve rien de louche. Je m’apprête à abandonner mes recherches lorsque j’entends un bruit de pas dans le bistrot. Je jette un coup d’œil et, pardon, qu’est-ce que je vois ! La môme la plus ravissante qui se soit jamais baguenaudée sous le soleil d’Italie. Elle est mince, bien moulée et porte une jupe blanche et un sweater cyclamen. Ses cheveux blonds lui tombent jusqu’au milieu du dos.

Elle ne regarde même pas le fameux dormeur. Elle se dirige vers le comptoir d’un air déterminé et ouvre le tiroir-caisse. Je m’aperçois très vite que ce n’est pas le pognon qui l’intéresse car elle le sort à poignées et le balance à ses pieds. Elle extrait une petite boîte en fer et s’apprête à l’ouvrir. Comme le contenu de ladite boîte m’intéresse également — je suis curieux de nature — je décide d’intervenir.

— Hello, beauté, si c’est du feu que vous cherchez, j’ai des allumettes.

Elle sursaute et se retourne comme si un marchand de charbon avait voulu constater que ce qu’elle charrie dans son corsage n’est pas factice.

— Qui êtes-vous ? questionne-t-elle.

— Écoutez, ma merveille, peut-être bien que je suis le roi de Yougoslavie et peut-être bien aussi que je suis un gars de Belleville, ça n’a pas grande importance, ce qui importe, c’est qui vous êtes, vous, et ce que vous venez fiche derrière le comptoir de feu ce brave homme.

Elle ne répond rien. Cette gamine possède des yeux pervenche et elle s’en sert pour admirer mon anatomie. Elle me regarde avec avidité comme si elle voulait pouvoir se souvenir de plus petit grain de beauté qui enrichit mon visage intelligent.

— C’est entendu, lui dis-je, je ressemble à Jean Gabin, mais ça n’est pas une raison pour me dévorer de cette façon. Vous savez, je ne suis pas un type tellement comestible au fond.

Elle ne répond toujours rien. Nous demeurons chacun d’un côté du comptoir à nous observer. Le silence est tel qu’on entendait sauter un bouton de jarretelle dans un cinéma.

Soudain, il se produit quelque chose et j’avoue que j’en reste baba : trois coups de feu claquent, bien posément, pour qu’on ait le temps de les compter. La mômette blonde a biché un canon, je ne sais pas où, et elle me distribue sa quincaillerie à travers le comptoir avec un beau sang-froid. Ses yeux ne cillent pas. Elle a l’air absolument ravie. Pour être franc, je n’ai jamais rencontré une gnère comme celle-là. Est-ce que ça vous est arrivé à vous d’utiliser une fraction de seconde pour envisager une situation et prendre une décision ? Moi, je n’en suis pas à mon coup d’essai, pourtant, je l’avoue, jamais je n’ai été aussi rapide que cette fois. Ce qui me vient subito à la pensée c’est la remarque suivante : comment se fait-il que les balles de la sirène blonde ne m’atteignent pas ? D’après un rapide calcul de balistique, j’aurais dû les prendre dans l’estomac. Je trouve aussitôt l’explication du mystère : entre le comptoir et moi se trouve le décujus. D’où elle se tient, la môme ne se rend pas compte de la position exacte du cadavre, heureusement pour le bide de San Antonio, si bien que les trois balles ont été interceptées par le bistroquet qui, décidément, est de plus en plus mort. Si j’ai l’air sain et sauf, la donzelle va lever peut-être son mortier et j’en choperai une ou deux dans le museau avant d’avoir eu le temps de sortir mon arsenal. Je vous le redis, toutes ces réflexions, longues à écrire, je me les fais en l’espace d’un éclair. Chez moi, l’instinct commande plus vite que la raison, je prends la physionomie surprise du gars qui ne s’attendait pas à ce petit tour de société. Puis mon visage se convulse comme sous le coup d’une grosse souffrance, je pousse un hoquet d’agonie, tout ce qu’il y a de bien imité et je m’écroule d’une façon spectaculaire. Je suis très satisfait de cette chute-là, si le directeur de la Comédie-Française me voyait, il m’embaucherait tout de suite.