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Qu’est-ce que vous pariez que voilà le doux nid de la môme Else ? Un examen superficiel m’indique que la chambrette vient d’être « faite ». La couchette est en ordre, et on vient de passer le hublot à la peau de chamois. Donc, si je trouve un petit coin peinard où me dissimuler, je ne crains pas d’être emmouscaillé avant la nuit. Seulement ces endroits-là sont plutôt exigus et le constructeur tire parti de tout. Sous la couchette se trouve un placard. Je l’ouvre, tout est au poil, car ce meuble bas est composé intérieurement d’un unique rayon qui le sépare en deux dans le sens de la longueur. En haut sont rangés les vêtements, en bas est empilée la literie de rechange. Je pratique une niche dans ce compartiment inférieur en ramenant les draps et les polochons sur l’avant du rayon.

Avant de me glisser dans cette planque, je fais un tour d’horizon rapide. Je déniche dans un bar miniature fixé au-dessous du hublot une boîte de nougats et une bouteille de cognac. Je décide d’adopter ces amusettes. J’ouvre le tiroir de la coiffeuse et me trouve nez à nez avec un pistolet de dame à crosse de nacre ; je vérifie le chargeur, il contient ses six balles ; je l’empoche sans hésiter. Maintenant, je me sens en forme pour tenir un siège.

Doucement, je me glisse dans le placard et, pour vous prouver que ma bonne étoile met tout ce qu’elle peut comme éclat, je vous dirai que ce meuble ferme par simple pression et qu’il n’est muni d’aucune serrure ou targette.

Il y a bien des gars vergeots, hein ? Si je n’avais pas une matière grise à haute tension, je vous parie l’aérodrome d’Orly contre un œuf à la coque qu’à l’heure où je vous parle, je serais en train de régaler les poissons avec mes cent soixante livres de bidoche personnelle.

Oui, mais voilà, le petit San Antonio n’est pas un cave et, pour espérer lui damer le pion, il ne faut pas oublier de monter son réveil sur trois heures du matin.

Une fois carré dans le placard, je ramène la pile de lingerie contre moi. De cette façon, en supposant même que la belle Else vienne chercher des fringues de rechange, elle ne peut pas m’apercevoir.

Je croque les nougats, ils sont rudement fameux. Bien sûr, je préférerais m’envoyer une omelette au lard, mais tant pis. Comme le disait un pote à moi qui avait sombré dans la purée : « Si j’avais du lard, je ferais bien une omelette au lard… mais je n’ai pas d’œufs. »

Comme ces sucreries m’ont englué le couloir, je me carre la bouteille de cognac sous le nez et je joue au monsieur qui fait son plein d’essence. Dans le noir, je ne peux pas surveiller le niveau du flacon, aussi je suis tout surpris au bout d’un instant de téter à vide. J’enfouis la bouteille sous un traversin et je me détends.

Est-ce l’effet de l’alcool ou la fatigue ? Toujours est-il que je suis à deux doigts de m’endormir. Alors, je me mets à plat ventre pour être sûr de ne pas ronfler.

CHAPITRE V

Dans le style de Roméo

Le temps que je passe à roupiller, je ne saurais vous le préciser. Lorsque je me réveille, je suis en sueur et j’ai le souffle brûlant ; c’est que l’air n’est pas des plus abondants, ni des plus salubres dans ce placard à la gomme. Je n’ose faire un mouvement car j’ignore si la cabine est habitée. Je déblaie doucement le linge accumulé contre la porte et je pose mon oreille contre le bois. Je n’entends rien, sinon le bruit des vagues et le ronron du navire. Qu’est-ce que je risque ? J’assujettis le petit pétard dans ma main et je pousse la porte. La cabine est vide. Je regarde la pendulette scellée à la cloison ; elle marque dix heures ; le hublot est noir et je me replonge dans le meuble, l’unique solution étant d’attendre les événements.

Les minutes passent, puis les quarts d’heure, puis les heures. Il ne doit pas être loin de minuit quand j’entends s’ouvrir la porte de la cabine. Deux personnes entrent. J’ouvre tout grands mes plats à barbe pour ne rien perdre de leur discussion. Je reconnais les voix d’Else et de Bruno. Et voilà ce que ça donne :

— Fatiguée ? demande le séducteur maison.

— Énervée plutôt.

Il doit s’approcher d’elle et essayer de lui faire une démonstration de mimis mouillés car je l’entends qui proteste.

— Tiens-toi tranquille, Bruno. Que diable, j’ai autre chose en tête.

Lui se met à discuter en italomuche, il roucoule comme un vieux ballot de pigeon, mais ça ne rend pas.

— Tais-toi donc, trépigne-t-elle. Tu ne comprends donc pas qu’il y a un temps pour tout ? En ce moment, je suis préoccupée, tiens, verse-moi un doigt de cognac et va te coucher.

Un petit frémissement me parcourt l’échine. Si le beau ténébreux s’aperçoit que la bouteille a disparu, ne va-t-il pas flairer quelque chose de louche ?

— Dis donc, ta cave est à sec, remarque-t-il.

— Ce sacré Jim doit s’expliquer avec mes flacons, murmure Else. Demain je lui en toucherai deux mots.

— Veux-tu que je le sonne ?

— Pas la peine, verse-moi un verre d’eau. Je n’ai pas non plus l’esprit porté sur des soucis domestiques.

J’entends couler de la flotte dans un verre.

— Vois-tu, poursuit la blonde, ce qui a gâché ma journée, c’est de n’avoir pu crever les yeux à ce flic.

Je vous jure que, dans son placard, le flic en question fait une drôle de trompette.

— Bast, raisonne l’autre, les poissons l’ont fait pour toi.

— Tu es certain qu’il s’est noyé ?

Il émet un ricanement malsain.

— Je l’ai vu, de mes yeux, couler à pic. Je ne sais comment il a fait pour se détacher du mât, mais j’ai idée qu’en plongeant il s’est empêtré dans ses poucettes et, de ce fait, n’a pu nager. Et puis, comme prime, je lui ai mis quelques balles dans le corps. Ne t’inquiète pas de lui, on peut en parler à l’imparfait.

Elle marche dans l’étroite cabine.

— O.K., fait-elle. Maintenant, il faut liquider la grosse question au plus vite. Je ne suis pas tranquille. Si le gouvernement a envoyé un as comme San Antonio à nos trousses, c’est qu’il est fermement décidé à récupérer les plans. D’autre part, avant que nous interceptions le flic, ce salaud a dû se mettre en rapport avec les services secrets italiens et donner tous les détails qu’il possédait ; or, j’ai dans l’idée qu’il en savait pas mal sur notre compte. Tout ça n’est pas fameux, Bruno. Si je m’écoutais, je ferais mettre le cap sur Le Caire. En Égypte, nous serions plus à notre aise.

— Tu n’y penses pas, se récrie-t-il. Tout est au point ici.

Il toussote.

— Pas de danger, reprend cette enflure avec suffisance, tu as vu ce que j’en fais des as de la police ? Crois-moi, nous avons tout le temps.

— Oui, mais il y a un autre contretemps.

— Et lequel ?

— Tu le sais bien, le code.

— Bast, nous finirons certainement par lui mettre la main dessus.

À la façon dont il parle, ce gars-là doit avoir autre chose en tête que la question des plans. Et je crois comprendre quoi. Il est latin, beau gosse et, de ce fait, porté sur la bagatelle. Je suppose qu’il doit reluquer ferme la carrosserie de sa compagne et qu’il donnerait tous les plans du monde pour la prendre dans ses bras et lui expliquer comment don Juan s’y prenait avec les souris.

La preuve que je ne me trompe pas, c’est que j’entends un bruit de baiser. Ce serait tout de même marrant s’ils jouaient au cousin et à la cousine au-dessus de moi.

Mais, décidément, Else n’est pas en forme ce soir.

— Allez, file, ordonne-t-elle durement à Bruno.

Une pépée me parlerait sur ce ton, moi, je commencerais par la poser à plat ventre sur mes genoux et je lui administrerais une fessée telle qu’elle ne pourrait pas s’asseoir sur autre chose que du duvet pendant douze ans. Mais ce Bruno est une pauvre cloche et s’il croit savoir s’y prendre avec le beau sexe, il se goure vilain.