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En matière de ce que vous pensez, avoir une belle gueugueule, ne suffit pas ; un beau gosse sans volonté n’a jamais eu plus de succès auprès d’une femme que le génie de la Bastille. Et si je vous le dis, c’est que je le sais.

Bruno marmonne quelques paroles que je perçois mal et s’éloigne. J’entends claquer la porte. Else donne un tour de clef à la serrure.

Maintenant, nous sommes entre nous.

*

Je retiens mon souffle et maîtrise mes nerfs. Si par hasard la belle gosse s’apercevait de ma présence ici, elle me jouerait une blague carabinée, et ce lui serait d’autant plus aisé que la position dans laquelle je me trouve m’ôte toutes possibilités d’exécuter un numéro à grand spectacle.

Elle se dévêt, j’écoute le bruit soyeux de ses dessous qu’elle balanstique sur un siège, ça me contrarie un peu parce que, on a beau être l’ennemi de ce petit lot, il est impossible d’oublier son académie, et du point de vue physique, cette fille-là ferait la pige à toutes les stars d’Hollywood. Je m’efforce de penser à autre chose. Ainsi, je me mets à analyser la conversation qu’a eue le couple tout à l’heure. Je m’efforce d’en tirer des conclusions, c’est une douce manie qui m’a toujours réussi.

Il appert de l’exclamation du zigoto : « Tout est au point ici », que nous sommes pas loin de la côte italienne. Sans doute ces crapules avaient piqué sur le large uniquement pour me travailler et se débarrasser de ma petite personne tout à leur aise.

Secundo, ça ne carbure pas bien relativement à l’invention, car Else a parlé de sa contrariété au sujet d’un code qui leur fait défaut.

Peut-être que si je parviens à m’évader de ce rafiot, ma position ne sera pas mauvaise.

Qu’en dites-vous ?

Pendant que je me livrais à ces réflexions encourageantes, Else s’est pagnotée. J’attends encore un peu ; sa respiration est devenue très régulière. Tant pis, je risque le paquet. En douce, je pousse la porte du placard, le plus périlleux, c’est le bruit de déclic qu’elle produit en s’ouvrant. Heureusement, il y a le floc incessant des vagues qui forme une toile de fond sonore. Rien ne bouge sur la couchette.

Je pense que les émotions de la journée ont fatigué la poulette et qu’elle en écrase comme une reine. Je lui prépare un petit réveil dont elle se souviendra un moment. Sans faire davantage de bruit qu’un lézard sur une descente de lit, je m’extrais de ma boîte. La cabine est obscure, mais comparativement au placard d’où je sors, j’y vois assez clair pour lire la date gravée à l’intérieur d’une alliance. Il faut dire que des petits morceaux de clair de lune filtrent par le hublot.

Else est étendue sur son dodo dans un pyjama de soie blanche, ses longs cheveux blonds dénoués auréolent sa tête d’or. Sa poitrine tend la veste du pyjama. Croyez qu’il est navrant de voir une beauté de ce format à la tête d’un gang international alors qu’elle pourrait se faire un blé terrible en tournant des films.

Je m’approche de la couchette et j’allume la lampe de chevet. La lumière, malgré qu’elle soit tamisée et douce, trouble le sommeil de la souris. Cette dernière bat des paupières, puis ouvre les yeux ; elle semble ne pas me voir, mais brusquement, elle sursaute et s’accoude sur son oreiller.

— Hello, Else, dis-je gaiement. Ça t’en bouche une surface, hein, ma colombe ?

Mais elle ne peut proférer le moindre son car elle est littéralement sidérée.

Je souris et m’approche tout près d’elle. Je prends sa tête à deux mains, sans qu’elle songe à se libérer et je l’embrasse à ma façon. Ce baiser-là a l’air de lui faire de l’effet car j’aperçois ses yeux qui chavirent. Je sens que si je voulais, je pourrais profiter de la situation ; du reste, Else n’attend que ça, mais je la repousse et lui flanque une paire de gifles maison.

— Tu apprendras, lui expliqué-je tranquillement, que je fais toujours ce qui me plaît. J’avais envie de goûter à quoi était ton rouge à lèvres et de te coller une paire de tartes et me voilà assouvi ; maintenant, nous allons causer.

Elle a l’air complètement sinoquée.

— San Antonio, balbutie-t-elle, vous êtes le type le plus extraordinaire que j’aie jamais rencontré.

— Ne te fatigue pas, ma chérie, tu n’es pas la première qui me dit cela, et si je te racontais par où je suis passé dans ma chienne de vie, tu écrirais un bouquin gros comme ça et ce serait le best-seller de l’année.

« Mais passons. Puisque tu as l’air sage comme l’agneau qui vient de naître, je vais, en deux temps trois mouvements, t’exposer la situation telle qu’elle se présente. Voilà : tu es une bath gamine doublée d’une fichue garce, seulement comme je ne suis pas ici pour faire des études de mœurs, je m’en balance un tantinet.

« Tu diriges une bande de repris de justice et d’assassins et tu en as assez sur la patate pour que n’importe quel jury t’expédie à l’abbaye de Monte-à-Regret sans que le président de la République lève le petit doigt pour empêcher ça, mais nous ne sommes pas en France et ça ne me regarde pas.

« Tu as essayé de me dessouder et tu es prête à recommencer à la première occasion, mais je m’en tamponne parce que je me sens assez pubère pour t’envoyer aux prunes en cas de besoin.

« Enfin, tu as fauché les fameux plans et tu t’apprêtes à les laver au premier tordu qui s’amènera avec une lessiveuse de dollars ou de roubles, alors là je me manifeste. Pour ne rien te cacher de mes convictions intimes, l’énergie atomique, je m’en tape le derrière par terre parce que je suis un sage et que je trouve qu’on a suffisamment d’enchosements comme ça sur la Terre. Seulement, il y a le boulot, le devoir et un tas de machins de ce genre qui ne doivent rien signifier pour toi mais pour lesquels je risque cent fois par jour de me faire mettre l’intestin au grand air. C’est un mec français qui a mis l’appareil au point et il ne se sera pas cassé la nénette pour enrichir une bande de lopettes, tu saisis, mignonne ? Alors, tu vas me rendre les plans dans les deux minutes qui suivent, faute de quoi, lorsque ton Jules, le gominé et dénommé Bruno, viendra pour te bécoter au matin, ce qu’il trouvera sur cette couchette le dégoûtera tellement des gnères qu’il entrera dans un cloître, tu saisis toujours ? Autre chose, ne crois pas que je reculerai devant l’extrême, ce ne sont ni tes yeux de lavande ni ta bouche à la fraise, ni les deux trucs que tu portes sur le devant qui peuvent m’amadouer. Je suis comme ça et si tu ne me crois pas, tu n’as qu’à regarder mes châsses pour te rendre compte que je ne bluffe pas.

Je reprends ma respiration ; après une tirade pareille, je n’ai rien d’autre à faire.

Elle me regarde droit dans les yeux.

— Je te crois, dit-elle, toi au moins, tu es un mâle, les plans, les voilà.

Elle saute de son pageot et se précipite à la coiffeuse dont elle ouvre le tiroir. Une exclamation fuse de ses lèvres. Elle se retourne et me regarde. Moi je suis assis sur son dodo et je me cintre comme le nègre de la réclame pour le Banania. Je joue avec son pétard à crosse de nacre.

— Ma pauvre Else, lui dis-je, tu as tout de la nave.

Cette fois, elle en a un coup dans la pipe. Elle sent que vraiment le garçon qui est en face d’elle n’a pas un pois cassé en guise de cervelle.

— En somme, poursuis-je, la seule ressource que tu as, hormis celle que je te propose, c’est d’ameuter les gens du bord. Je tiens à insister sur le fait que ce serait signer ton arrêt de mort. Au point où j’en suis…