J’allonge le bras et l’empoigne. Elle se laisse remorquer. Quand elle est tout près de moi, j’y vais d’une nouvelle tournée de gifles. Et ça n’a pas l’air de lui plaire.
— Poulet du diable ! rugit-elle, j’aurai ta carcasse.
— Tu l’auras peut-être, oui, ma biche, mais à côté de la tienne dans un tiroir de la morgue.
Brusquement, elle se calme.
— Tout ça n’est pas raisonnable, fait-elle d’un air abattu.
— Tiens, tu débarques !
— Soyons sérieux, objecte-t-elle, je sens bien que pour moi la partie est perdue, je suis à votre merci.
Ce calme soudain sent l’orage, comme lorsque le vent s’arrête brusquement de souffler. Je fais semblant de tomber dans le panneau.
— Tu as l’air de te calmer, Else, et ça ne me débecte pas, attendu que je préfère discuter gentiment. Dis-moi où sont les plans et tu n’entends plus parler d’un ouistiti qui se tient devant toi avec ses poches bourrées d’arguments de valeur.
— Mince alors, dit-elle. J’aimerais tout de même récupérer un peu sur cette affaire. N’y a-t-il pas moyen de transiger ?
Je hausse les épaules.
— Allons, ne mégote pas. Je t’offre ta peau et ta liberté en échange des plans, il me semble que je suis réglo.
Else fait les cent pas dans la cabine, les sourcils froncés. Je ne m’aperçois de rien, bien que je ne la perde pas de vue et je suis drôlement marron quand j’entends frapper à la porte, en même temps qu’une voix questionne :
— La signorita a sonnate ?
Je regarde Else, une lueur mauvaise et narquoise brille dans ses yeux de biche. Je lui ajuste un crochet du gauche à la mâchoire et elle s’écroule ; me voici tranquille avec elle. Je vais à la porte et tire la targette puis j’ouvre en me tenant de côté. Le gorille appelé Pietro fait un pas dans la pièce. On dirait un sanglier. Je bondis sur lui et lui flanque un coup de crosse sur la tête, mais il esquisse un pas à gauche et je lui arrache seulement l’oreille.
Aïe ! ça va barder. Si je m’en tire, c’est que mon ange gardien fait des heures supplémentaires.
En vitesse, je ferme la lourde pour limiter le chahut. S’il y a du raffut, je suis cuit.
Pietro est légèrement estomaqué ; pas trop cependant car il sort son feu de sa ceinture. Avant qu’il ait achevé son geste, je tire et il prend une petite 6,35 dans le cœur. Le voilà par terre. La cabine est pleine de son cadavre, c’est comme s’il y avait un bœuf sur le parquet ciré.
Mais la détonation, pourtant faible, a intrigué son copain, le mammouth, qui radine à la rescousse. Je suis gonflé.
— T’en veux aussi ? dis-je. En voilà.
Et je presse encore sur la détente.
Croyez-moi ou ne me croyez pas, mais deux macchabs de ce format dans une petite pièce de deux mètres cinquante sur deux, ça produit le même effet que des quintuplés dans un seul berceau. Je les enjambe et passe ma physionomie dans le couloir ; personne. Le bruit des balles s’est perdu dans la rumeur des flots. Il y a tellement de heurts, de grincements, de chocs sur un bateau qu’un de plus ou de moins passe inaperçu.
Je mets mes deux compères en tas et je referme la lourde. Après quoi, je remplis un verre de flotte au robinet et le verse sur le portrait d’Else. Tandis qu’elle reprend ses esprits, je repère la sonnette qu’elle a actionnée : celle-ci est située contre un des montants de la couchette, c’est ce qui fait que je n’ai pas vu le geste de la môme blonde lorsqu’elle a appuyé dessus. Par mesure de sécurité, je coupe le fil.
— Excuse-moi, dis-je à Else. Je n’ai pas pour habitude de bousculer les dames, mais tu as, comme on dit dans la littérature d’aujourd’hui, créé une situation d’où il fallait que je sorte. Maintenant, pour te prouver que je ne suis pas ici pour jouer à la main chaude, tu vas jeter un coup d’œil par terre.
Elle obéit, son visage devient vert.
— Ils… ils sont… morts ? questionne-t-elle.
— La momie de Ramsès II ne l’est pas davantage, assuré-je. Ceci pour que tu te mettes bien dans l’entendement que j’en ai marre de tes gamineries. Je n’aime pas la bagarre, mais lorsque je m’y mets, on ne peut plus m’arrêter. Et je peux t’assurer que si je n’ai pas les plans dans cinq minutes, ton bateau du diable ressemblera plus au Père-Lachaise qu’à un yacht de plaisance.
Tout en parlant, je me suis emparé de ses bas qui traînaient sur un siège et je lui attache les bras et les jambes avec.
— Que vas-tu me faire ? balbutie-t-elle.
— C’est selon. Si tu ne me donnes pas les plans, je te liquide. Et tu ne t’en tireras pas avec du plomb dans la viande, c’est bien trop expéditif pour une roulure comme toi : tu sais, ma mignonne, j’ai de l’imagination, je peux mette le feu à tes fringues, t’arracher les tifs ou t’enfoncer des aiguilles sous les ongles…
Je lui débite mon petit boniment sur le ton glacé. Intérieurement, je jubile parce que ça prend. Cette cocotte me croit vraiment capable de mettre ces promesses à exécution.
Elle me désigne du menton une gravure fixée à la cloison qui représente un paysage hollandais.
— Touche la gravure à l’endroit du pont, dit-elle.
J’obéis, je sens sous mon doigt une rainure. L’image glisse, découvrant un petit coffre. J’ouvre celui-ci, et je soupire d’aise ; les plans sont là, je les reconnais car, avant de partir pour l’Italie, mes chefs m’en ont fait une description très poussée.
Je les prends et je les plie en quatre, après quoi je tâte les poches de mon pantalon — puisque je n’ai plus ma veste. J’en extrais une blague à tabac en caoutchouc qui me sert à tout sauf à conserver du tabac puisque je ne fume que la cigarette. J’y serre les papelards. Après quoi, je me tourne vers Else.
— O.K., poulette. Ça biche. Tu vois qu’on finit toujours par s’entendre. Je sens que si nous poursuivions les mêmes fréquentations, nous finirions par cavaler jusqu’à la plus proche mairie pour nous épouser tout vifs. Alors, il vaut mieux que nous nous disions adieu.
Je dénoue ma cravate et lui la fourre dans la bouche. Après quoi, je noue une serviette-éponge par-dessus. De cette façon, la donzelle ne pourra plus crier.
Je lui donne une claque sur la partie pile de son académie.
— Bye, bye, chérie.
Je sors en prenant soin de bien refermer la lourde. La coursive est déserte, le pont aussi. À quelques encablures, j’aperçois la terre ; décidément, tout est parfaitement orchestré.
Je file sur l’arrière et saisis un filin qui pend ; grâce à lui, je peux descendre dans l’eau sans bruit.
Je nage en direction du rivage proche. Je ne sais pas si ma brasse est académique, mais je vous assure que le champion du monde n’existe pas à côté de moi. J’en mets un fameux coup. Et je jubile vachement. Pour un zig verni, je suis un zig verni. Quelques bosses, une baignade nocturne et les plans sont à moi. Rarement, je n’ai conclu une sale histoire de ce genre aussi rapidement. Évidemment, il y a eu de la casse en quarante-huit heures. Si mes souvenirs sont précis, je compte cinq allongés : le resquilleur de Turin, Tacaba, le bistroquet de Rome et les deux chourineurs de la môme Else, comme c’était tous des balèzes, on peut assurer qu’il y a eu au moins cinq cents kilos de bonhommes mis en l’air.
Faites le compte vous-même.
Et si vous ne trouvez pas votre taf, écrivez à mon éditeur, mais n’allez pas rouscailler auprès de lui parce qu’il pèse lui aussi dans les cent vingt kilos. Et comme c’est un gentleman pas commode, si votre bouille ne lui revient pas, il peut très bien vous faire avaler votre râtelier d’un coup de paluche.