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— M’est avis que oui, Monsieur l’Ambassadeur, mais je me doutais que ces carnes auraient pris leurs précautions ; ils sont fortiches.

Je salue et raccroche.

Me voilà en plein pastis ; car je ne peux plus compter repêcher mes zèbres grâce au bateau. De moins, ce renseignement m’apporte-t-il la certitude qu’Else et ses sangliers sont en Italie, à Naples, ou à Rome, et je pense pouvoir éliminer Naples, car cette fille est attirée par les documents comme une panthère par une charogne.

Pourvu que l’ambassadeur ne se les laisse pas crever sous son blair.

J’en ai une sueur froide, rien que d’y songer. Je reprends l’appareil.

— Excusez-moi, Excellence, c’est encore San Antonio. J’ai oublié de vous recommander de bien camoufler les documents, un coup de main est toujours à craindre.

— N’ayez pas d’inquiétude, à l’heure qu’il est, ils sont en France. Je les ai fait rentrer immédiatement par avion spécial.

Je respire. Voyez-vous, j’aime avoir l’esprit libre de tout souci pour travailler.

Je redis bonsoir.

Jeannine est assise dans un fauteuil du hall ; elle me regarde avec intérêt. Dès que j’en aurai fini avec cette histoire, il faudra que je m’occupe de lui changer les idées. C’est pour moi une obligation morale, et je ne la trouve pas pénible du tout.

Je jette un regard à la pendule électrique, elle indique huit heures dix. J’espère que le signore Sorrenti ne va pas tarder à s’amener avec ses chaussettes à rayures et sa cravate bleu azur. J’en ai marre de piétiner sous le regard compassé des ouistitis de la réception. Je vais m’asseoir sur un accoudoir du fauteuil voisin.

— Dites-moi, Jeannine, je suppose que votre frère sera inhumé en France ?

— Bien entendu.

— Après les obsèques, vous pensez revenir dans ce bled ?

Elle a un geste d’une tristesse infinie.

— Jamais ! Tellement de souvenirs sont liés à ce ciel si pur, à cette foule nonchalante… Pauvre Gaétan…

Un type pousse la porte tournante et se dirige vers la réception. Il parlemente avec un des préposés, ce dernier regarde le hall comme pour y chercher un visage. Son regard se pose sur moi. C’est à moi qu’en a l’arrivant. Je fronce les sourcils, et j’attends. Comme prévu, il vient à moi. Il est petit, sans âge, chauve et s’il ne boit pas trois litres de chianti par jour, la rougeur de son pif provient d’un direct du droit très récent.

— Signore San Antonio ?

— Soi-même.

— Je viens de la part dou signore Sorrenti. Il a eu à la dernière minoute oun empêchement. Ma il vous rejoindra ici ceste nouit. Il vous conseille d’aller auparavant boire ou verre de cognac à Il Capitello, via Cavour. Il pense qué vous y possibilité de rencontrer dou monde qu’il vous ferait joyeux de voir. Capito ?

— Va bene.

Mon gnome a l’air satisfait de lui, de moi, et, par la même occasion de l’humanité entière, son percepteur y compris.

Il me rend un paxon bleu qu’il tenait en réserve dans une poche.

— Il signore Sorrenti pense qué vous auriez possibilité d’avoir besoin dé ceci.

Il attend une seconde et me fait un profond salut.

— Buona sera, signore.

Comme je ne suis pas contrariant, je lui réponds :

— Buona sera, signore.

Mais cet endoffé ne bronche pas.

Discrètement, Jeannine me fait signe de l’arroser un peu. Je n’y pensais pas. Je tends vingt lires au bonhomme et il les empoche d’un air dégoûté.

Je déplie le paquet qui me paraît bien lourd pour son volume et je me trouve nez à nez avec un 9 mm accompagné de deux chargeurs.

Ce Sorrenti est un type de ressources.

— Vingt lires, c’est peu, pour témoigner sa satisfaction à un homme qui vous apporte un arsenal complet, objecte Jeannine.

— Il a dû me prendre pour un radin, hé !

Elle hausse les épaules.

— Alors ?

Toujours son éternel « alors » qu’elle vous lâche dans le visage d’un air têtu.

— Ça vous dirait d’aller prendre un verre à Il Capitello ?

— Je comprends.

— Je suppose que c’est une boîte de nuit ?

— Il m’a, en effet, semblé apercevoir cette enseigne au bas de la via Cavour.

— On y va ?

— Allons-y.

— C’est loin d’ici ?

— À trois ou quatre cents mètres.

— Alors, prenons la voiture ; mais nous la planquerons dans les environs ; avec ce paquebot, nous manquons de discrétion.

*

Il Capitello est une boîte sélecte, vous n’ignorez pas ces endroits-là ont pour règle de créer un décor, une ambiance exotiques ou du moins pittoresques. Il Capitello, Jeannine me l’explique, veut dire « le chapiteau » et les directeurs de la tôle se sont inspirés du cirque. Au milieu de la salle, la piste de danse ressemble à celle d’un cirque, tout autour les tables sont étagées en gradins. Les musiciens sont juchés sur une estrade ; ils sont vêtus d’uniformes chamarrés, couverts de brandebourgs et d’épaulettes dorés, mais le plus rigolo, c’est la valetaille, les garçons et les maîtres d’hôtel sont sapés en clown, en dompteur, en Monsieur Loyal, en athlète. Il y a même un petit brun à moustaches de jeune premier qui sert la clientèle vêtu d’une peau de panthère. J’ai vu pas mal de trous de ce genre, mais je reconnais que celui-ci vaut le coup d’œil.

Les clients sont des mecs pourris de pognon, ce sont ceux auxquels les neuf dixièmes du peuple italien ouvrent les portières en rêvant de leur racler la plante des pieds avec des tessons de bouteille.

— Si je pensais que le jour de la mort de mon frère j’irais dans un cabaret dansant…, soupire Jeannine.

— Rentrez à l’hôtel, il en est temps encore, fais-je agacé car je me concentre sur le travail et chez moi, le boulot c’est tellement dominant qu’on pourrait, pendant que je suis en chasse, me faucher mon slip sans que je m’en aperçoive.

— Ne me rudoyez pas, murmure-t-elle, commissaire, je m’excuse, mais… vous comprenez ?

— C’est moi qui suis une grosse brute, dis-je, en passant mon bras sous le sien. En ce moment, j’ai l’âme d’un léopard.

— Tant mieux.

Nous nous laissons guider par un gars vêtu en Pierrot, à une table située en dessous des musicos. Ça tombe bien, c’est pour nous la plus chouette gâche, car de cet endroit, on n’est pas en vue et on peut reluquer tout ce qui se passe dans le cirque.

Je commande du champagne. Faut ce qu’il faut. Je bois à la mémoire du pauvre consul ; d’autant plus volontiers que c’était un brave garçon et que le champagne est fameux. Jeannine trempe ses lèvres dans sa flûte ; elle recommence toutes les fois que je le lui ordonne. Ce qui m’indique que, le cas échéant, elle sait se montrer disciplinée.

Nous sommes là depuis un moment lorsque mon système circulatoire se paralyse ; voici que Bruno fait son entrée à Il Capitello. Il est accompagné d’un couple de copains : une belle rousse assez vulgaire et un bonhomme qui a eu des pékinois et des ours bruns parmi ses aïeux. Décidément, les tuyaux de Sorrenti ne sont pas percés. Si un jour je deviens dictateur, sûr et certain que je l’embaucherai comme chef de ma Gestapo.