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J’y suis allé, et j’ai fait ce que je devais faire ; Mike avait joué mon rôle aussi bien que je l’aurais fait moi-même, peut-être même mieux, et « Adam » s’occuperait de Finn aussitôt que nous réussirions à le joindre. J’ai donc raccroché pour aller transmettre le message d’amour de Greg à Mamie. Je l’ai trouvée revêtue de sa combinaison pressurisée ; elle avait réveillé grand-papa et l’avait habillé, pour la première fois depuis des années. Après avoir fermé mon casque, je suis sorti – pistolet laser à la main.

Arrivé devant le sas n°13, j’ai constaté qu’il était correctement fermé et qu’il n’y avait personne en vue derrière le hublot. Tout allait bien, sauf que le stilyagi chargé de ce sas n’y était pas.

Taper sur le hublot n’a pas donné davantage de résultat. Je me suis décidé à rebrousser chemin, préférant traverser la maison, suivre les tunnels à légumes et sortir en surface par notre sas particulier qui menait à notre panneau solaire.

Là, je me suis aperçu que le hublot était obscurci alors qu’il aurait dû se trouver en plein soleil… Ces satanés Terriens avaient osé débarquer en plein sur la propriété des Davis ! L’énorme train d’atterrissage du vaisseau formait une sorte de trépied au-dessus de moi : je me trouvais juste au-dessous de ses réacteurs.

Je suis descendu et j’ai dégagé l’endroit après m’être bien assuré de la fermeture des écoutilles, puis, sur mon chemin, j’ai hermétiquement fermé toutes les portes étanches. J’ai mis Mamie au courant, lui demandant de poster un garçon avec un pistolet laser à la porte de derrière…

— Tiens, prends celui-ci.

Il n’y avait plus personne, ni garçons, ni hommes, ni femmes entraînées, juste Mamie, grand-papa et les plus petits ; tous les autres étaient partis à la recherche d’émotions fortes. Mamie n’a pas voulu prendre le pistolet laser.

— Je ne sais pas m’en servir. Manuel, et c’est trop tard pour apprendre, il vaut mieux que tu le gardes. Mais ils ne viendront pas dans les tunnels Davis. J’ai des astuces dont tu n’as pas idée.

Je ne me suis pas arrêté pour discuter ; d’ailleurs, c’est toujours une perte de temps de discuter avec Mamie : elle en connaissait un rayon en matière de résistance, car elle s’était arrangée pour survivre sur Luna toutes ces années, et dans des conditions bien pires que celles que j’avais connues.

Cette fois, le sas n°13 était gardé : les deux garçons m’ont laissé passer. Je leur ai demandé les nouvelles.

— La pression est rétablie, maintenant, m’a assuré le plus âgé. Du moins à ce niveau. On se bat vers le boulevard Inférieur. Dites, général Davis, je peux vous accompagner ? Il suffit d’un garde à ce sas.

— Niet.

— Je veux me payer un ver de Terre !

— Ton poste est ici, restes-y. S’il en arrive un par là, il est à toi. Fais quand même attention de ne pas te faire avoir d’abord.

Et je suis parti en vitesse.

Voyez le résultat d’une négligence : je n’avais pas gardé ma combinaison pressurisée avec moi et je ne suis arrivé qu’à la fin de la bataille des corridors… Quel beau « ministre de la Défense » je faisais !

J’ai chargé vers le nord, par le corridor de ceinture, sans fermer mon casque. Je suis arrivé au sas qui donne sur le boulevard : il était grand ouvert. J’ai poussé un juron et me suis précipité pour le refermer, non sans prendre quelques précautions, et j’ai vu pourquoi il était ouvert : le jeune garde gisait au sol. Cela m’a incité à me déplacer avec encore plus de prudence pour me rendre sur le boulevard.

Il semblait désert de ce côté mais, vers la ville, je pouvais voir des ombres confuses et entendre le bruit des combats qui se déroulaient à l’endroit où il s’élargissait. Deux silhouettes revêtues de combinaisons pressurisées et munies de fusils se sont détachées de la foule pour se diriger vers moi. Je les ai flambées toutes les deux.

Un homme armé et revêtu d’une combinaison ressemble à tous les autres ; je pense que ces deux-là m’avaient pris pour l’un de leurs voltigeurs. De loin, ils ne m’apparaissaient pas différents des hommes de Finn, mais je n’ai pourtant pas pris le temps de réfléchir. Un nouveau débarqué ne se déplace pas de la même manière qu’un vieil habitué : il lève trop haut ses pieds et titube toujours en avançant. Non, je ne me suis pas posé de question, je ne me suis même pas dit : « Des vers de Terre ! À mort ! »

Je les ai vus et je les ai flambés ; leurs cendres s’éparpillaient sur le sol avant que je comprenne ce que j’avais fait.

Je me suis arrêté dans l’intention de me saisir de leurs fusils mais ces derniers étaient enchaînés aux cadavres et je n’ai pas vu le moyen de les détacher : il aurait sans doute fallu une clé. J’ai en outre remarqué qu’il ne s’agissait pas de fusils laser mais de fusils comme je n’en avais encore jamais vus, de vrais flingues qui tiraient de petites balles explosives – mais, cela, je ne l’ai appris que plus tard : à cet instant, tout ce que je savais, c’est que je n’avais aucune idée de la manière de m’en servir. Ces fusils comportaient aussi à leur extrémité une sorte de couteau en forme de lance, ce que l’on appelle une « baïonnette ». J’ai essayé de m’en saisir. Mon propre pistolet ne pouvait tirer qu’une dizaine de coups à pleine puissance et, une fois déchargé, ne pouvait servir de lance ; j’ai donc pensé que ces baïonnettes seraient utiles ; l’une d’elles était tachée de sang, du sang de Lunatique, je suppose.

Au bout de quelques secondes, j’ai abandonné mon projet, utilisé mon couteau de chasse pour m’assurer qu’ils resteraient bien morts et je me suis précipité vers le lieu des combats, le doigt sur la gâchette.

C’était la cohue, pas une bataille. Ou peut-être qu’une bataille ressemble toujours à cela : une confusion, un amas bruyant de gens qui ne savent pas réellement ce qui se passe. Sur la partie la plus large du boulevard, en face du Bon Marché[9] à l’endroit où la grande rampe arrive en pente douce du niveau 8, se trouvaient quelques centaines de Lunatiques, hommes, femmes et enfants, qui auraient dû rester chez eux. Moins de la moitié portaient des combinaisons pressurisées et seuls quelques-uns semblaient armés, tandis que par la rampe se précipitaient des soldats qui étaient, eux, tous armés.

Première chose que j’ai remarquée : le bruit. Un tapage qui emplissait mon casque entrouvert et m’assourdissait les oreilles, un véritable grondement. Je ne sais pas comment je pourrais le décrire autrement ? On pouvait percevoir tous les cris de colère que peut produire une gorge humaine, depuis les piaulements aigus des petits enfants jusqu’aux beuglements furieux des adultes. On aurait cru entendre la plus grande meute de chiens de toute l’histoire… et je me suis tout à coup rendu compte que j’apportais, moi aussi, ma contribution à ce tumulte, hurlant des injures, proférant des obscénités.

Une fille pas plus grande qu’Hazel a franchi d’un saut le garde-fou de la rampe pour venir danser à quelques centimètres des hommes de troupe qui descendaient sur nous. Armée d’une espèce de couteau de cuisine, elle l’a levé puis a frappé ; cela n’a pas dû gravement blesser ce soldat, à travers sa combinaison pressurisée, mais il est quand même tombé, et d’autres ont roulé sur lui. Un de ces soldats est alors parvenu à attraper la gamine et à lui enfoncer sa baïonnette dans la cuisse ; mais elle a disparu hors de mon champ de vision.

Je ne pouvais pas véritablement voir ce qui se passait, ou je ne peux m’en souvenir, ne me rappelant maintenant que des images instantanées, comme celle de cette petite fille disparaissant dans la foule. Je ne sais pas qui elle était et si elle a survécu ; je ne pouvais pas tirer de mon poste, car trop de gens passaient devant ma ligne de mire. À ma gauche se trouvait l’étalage en plein air d’une boutique de jouets ; je m’y suis précipité. Cela m’a permis de me trouver à un mètre environ au-dessus du trottoir du boulevard et de bien voir les vers de Terre qui se jetaient sur nous. Je me suis calé contre le mur, j’ai soigneusement visé, essayant d’atteindre en plein cœur. Au bout d’un certain temps que je ne saurais définir, je me suis aperçu que mon laser ne marchait plus, je me suis donc arrêté. Je crois que huit soldats, à cause de moi, ne sont jamais rentrés chez eux, mais je n’ai pas pris le temps de compter… et pourtant tout m’a semblé durer une éternité. Les gens avaient beau aller aussi vite que possible, il me semblait assister à un film éducatif que l’on fait passer au ralenti, presque plan par plan.

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9

En français dans le texte.