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Une fois au moins pendant que je tirais, j’ai été repéré par un ver de Terre qui a riposté ; il y a eu une explosion juste au-dessus de ma tête et des gravats sont tombés du mur sur mon casque. Peut-être même est-ce arrivé à deux reprises.

Une fois mon laser déchargé, j’ai sauté en bas de l’étalage de jouets et j’ai utilisé mon arme comme une massue afin de me joindre à la foule qui se lançait contre les soldats dévalant la rampe. Pendant tout ce temps, qui m’a semblé interminable (cinq minutes ?), les vers de Terre tiraient sur la foule ; je pouvais entendre les splat assourdis, et aussi, de temps en temps, des plop quand les balles percutaient la chair ; elles faisaient un bang plus violent quand elles heurtaient un mur ou un quelconque objet. J’essayais de m’approcher du bas de la rampe quand j’ai compris que la fusillade avait cessé.

Ils gisaient à terre, morts, tous, jusqu’au dernier… plus un soldat ne descendait la rampe.

24

Sur toute l’étendue de Luna les envahisseurs ont été tués, sinon à ce moment, du moins peu de temps après. Il y a eu plus de deux mille morts chez les soldats, environ trois fois plus chez les Lunatiques qui les avaient combattus, et sans doute autant de Lunatiques blessés ; jamais je n’ai su le compte exact. Nous n’avons fait de prisonniers dans aucun de nos terriers, mais nous avons capturé une douzaine d’officiers et de membres d’équipage dans chaque vaisseau quand nous sommes allés nettoyer la surface.

La principale raison pour laquelle les Lunatiques, généralement désarmés, ont réussi à tuer des soldats armés et entraînés, c’est qu’un ver de Terre ne sait pas se déplacer sur Luna. Notre pesanteur ne représente en effet que le sixième de celle à laquelle ils sont accoutumés et cela retourne contre eux leurs réflexes forgés par l’habitude de toute une vie. Un ver de Terre tire trop haut, sans s’en rendre compte ; instable sur ses pieds, il est incapable de courir correctement et fait continuellement des faux pas. Pire encore, ils ont dû combattre en descendant ; il leur avait naturellement fallu faire irruption aux niveaux supérieurs, puis descendre par les rampes, toujours plus bas, pour essayer de se rendre maîtres de la ville.

Les vers de Terre ne savent pas comment descendre une rampe : il ne faut pas courir, ni marcher, ni voler ; non, c’est plutôt une sorte de danse contrôlée, les pieds touchant à peine le sol, se contentant de rétablir l’équilibre. Un Lunatique de trois ans le fait sans même y penser, il se laisse glisser dans une chute contrôlée, ne posant les orteils que tous les quelques mètres.

Un ver de Terre nouveau débarqué, lui, se retrouve toujours à « marcher dans le vide » ; il se débat, tourne, perd le contrôle de ses mouvements, se heurte aux parois supérieures, indemne mais furieux.

Ces soldats avaient rendez-vous avec la mort ; c’est sur les rampes que nous les avons eus. Ceux que j’ai vus avaient accompli une véritable performance. J’ignore par quel miracle ils étaient parvenus à descendre, vivants, trois niveaux successifs. Néanmoins, seuls quelques snipers en bas des rampes pouvaient tirer avec efficacité ; ceux qui se trouvaient au-dessus devaient se contenter de faire leur possible pour garder l’équilibre et conserver leur arme à la main, avant de s’efforcer d’atteindre le niveau inférieur.

Les Lunatiques ne les ont pas laissés faire. Des hommes, des femmes, et de nombreux enfants, se sont précipités sur eux, les ont fait tomber, les ont tués de multiples manières, à main nue ou en se servant de leurs propres baïonnettes. En outre, je n’avais pas été le seul dans les environs à utiliser un pistolet laser : deux des hommes de Finn, embusqués sur la terrasse du Bon Marché, avaient visé les soldats au sommet de la rampe. Personne ne leur avait donné l’ordre de le faire ; Finn n’a jamais eu la possibilité de commander sa milice turbulente et à demi entraînée. Le combat a commencé, ils se sont battus.

Voilà d’ailleurs la vraie raison de notre victoire : nous nous sommes battus. La plupart des Lunatiques n’avaient jamais vu à quoi ressemblait un envahisseur, mais partout où des soldats se sont infiltrés, les Lunatiques se sont automatiquement rués sur eux comme les globules blancs se ruent sur un microbe… et ils ont combattu. Personne n’a donné d’ordre : notre organisation, trop faible, avait été prise par surprise, mais nous autres Lunatiques nous sommes battus comme des fous furieux et avons anéanti les envahisseurs. Dans aucune termitière un soldat n’a pu dépasser le niveau G ; on dit même que les habitants du boulevard Inférieur n’ont appris l’invasion qu’après la fin des combats.

Mais ces envahisseurs ont bien combattu, eux aussi. Ces formations ne constituaient pas seulement les meilleures troupes d’intervention antirévolutionnaires, habituées au maintien de l’ordre des N.F. ; on avait aussi endoctriné ces soldats, on les avait drogués. Pour cela, on leur avait rappelé (ce qui était vrai) que leur seule chance de revoir Terra était de prendre les terriers et de les pacifier. S’ils y arrivaient, on leur avait promis d’envoyer des renforts, on leur avait certifié qu’ils n’auraient plus jamais à se battre sur Luna. On leur avait encore dit qu’ils devaient vaincre – ou mourir –, car on leur avait bien fait remarquer que leurs vaisseaux de transport ne pourraient pas décoller s’ils ne gagnaient pas la partie, puisqu’ils auraient besoin de faire le plein d’hydrogène, tache impossible si Luna n’était, d’abord, vaincue (et cela aussi était vrai).

Après cela, on leur avait fait ingurgiter des excitants, des tranquillisants, des drogues pour supprimer la peur, toutes sortes de potions qui transforment une souris en chat enragé et rendent fou furieux. Ils s’étaient donc battus en soldats de métier, sans crainte… et ils étaient morts.

Dans Tycho-Inférieur et dans Churchill, ils ont utilisé des gaz. Les pertes ont été plus lourdes de notre côté : seuls les Lunatiques ayant pu atteindre leurs combinaisons pressurisées sont parvenus à les combattre efficacement. Le résultat était le même, mais il avait pris plus de temps. Ils ont utilisé des gaz tranquillisants car l’Autorité n’avait pas l’intention de nous tuer tous ; elle désirait juste nous donner une bonne leçon, reprendre les rênes et nous remettre au travail.

Si les N.F. avaient attendu si longtemps, si elles avaient ainsi fait preuve d’une apparente indécision, c’est qu’elles voulaient attaquer par surprise. La décision avait été prise peu après notre embargo sur le grain (nous avons eu ces renseignements par les officiers des convoyeurs de troupes faits prisonniers) ; l’intervalle avait été employé à préparer l’offensive et surtout à faire décrire par les vaisseaux une longue orbite elliptique, qui dépassait de beaucoup l’orbite lunaire elle-même, pour passer très en avant de Luna et faire ensuite demi-tour et se retrouver, prêts à attaquer, au-dessus de Farside. Mike n’avait jamais pu les voir car, de ce côté, il était aveugle ; il avait bien assuré une surveillance continuelle de l’espace aérien à l’aide de ses radars balistiques, mais aucun radar ne peut surveiller l’espace qui se trouve au-dessous de l’horizon ; Mike n’a pu voir ces vaisseaux en orbite pendant plus de huit minutes. Ils sont arrivés en rasant les sommets des montagnes, suivant un axe très bas et se sont posés en étant soumis à une grande pesanteur, exactement le 12 octobre 2076, lors de la nouvelle Terre, à 18 h 40 min 36 s 9/10e, sinon au dixième près, du moins avec une très grande précision, d’après ce qu’a pu en déduire Mike en étudiant les échos radar… un beau travail, il faut bien l’admettre, de la part des Forces navales pacifiques des N.F.